« 4P » pour faire décoller l’e-santé

En matière de santé, la position des Français peut sembler paradoxale. Alors qu’une majorité de nos concitoyens se montrent a priori favorables à l’innovation dans le domaine de la santé, ils ne se convertissent qu’à pas comptés aux nouveaux produits et services apparus sur le marché de l’e-santé.  L’audience de nombreux sites web de santé s’érode, les objets de santé connectée peinent à séduire, le partage des données personnelles de santé suscite des réserves… Pour les acteurs du marché, il est urgent d’entendre les besoins et préoccupations exprimés par les Français, puis de revoir leur « marketing mix » autour de « 4P » spécifiques à l’e-santé : proposition de valeur, personnification, pédagogie et partenariats.

Proposition de valeur

Les Français achètent un produit ou souscrivent une offre d’e-santé s’ils en perçoivent l’utilité concrète. A l’inverse, le gadget « tendance » risque de finir au fond d’un tiroir : alors qu’en 2016, les Français étaient 19 % à déclarer utiliser les objets de santé connectés (balance, bracelets sportifs, podomètre, etc.), ils ne sont plus que 13 % début 2017. Les applications mobiles de suivi de santé connaissent une désaffection similaire.

Quelles sont donc les principales préoccupations de nos concitoyens en matière de santé aujourd’hui, pour lesquelles d’éventuelles solutions innovantes auraient des chances de trouver preneurs ? D’après le sixième baromètre OpinionWay pour Deloitte sur la santé des Français, ces préoccupations sont de trois ordres. D’abord, faciliter l’accès aux médecins. Près d’un Français sur deux a déjà dû renoncer à des soins, faute d’un rendez-vous dans des délais « convenables », ou en raison d’un manque d’informations (1 sur 4). Et pour les habitants des zones rurales, le problème est aggravé par l’éloignement. Dès lors, les outils permettant d’orienter les patients, de faciliter la prise de rendez-vous, de consulter un docteur, de renouveler une ordonnance ou de prendre un deuxième avis médical à distance sont plébiscités. Ensuite, la prévention et le « mieux vivre ». 93 % des Français considèrent que la prévention pourrait permettre d’améliorer la vie quotidienne, mais pour passer à l’acte, 44% attendent des conseils et programmes d’accompagnement personnalisés. Enfin, le « bien vieillir », c’est-à-dire reculer l’âge de l’entrée en dépendance. A cet égard, les solutions de télésurveillance médicale et de téléassistance, qui permettent le maintien à domicile, sont celles dont l’usage a le plus progressé depuis un an.

Personnalisation

Une tendance profonde se dévoile dans notre étude : oui, les Français sont prêts à évoluer vers une médecine « augmentée » ; non, ils refusent d’aller vers une médecine « automatisée ». L’humain, c’est-à-dire la relation personnelle incarnée par un professionnel de santé, reste central. Et une offre d’e-santé qui entendrait s’abstraire de ce paradigme serait probablement vouée à l’échec.

Ainsi, nos concitoyens sont presque deux tiers à admettre qu’on puisse recourir aux robots pour de l’assistance chirurgicale ou du suivi thérapeutique, y compris sur eux-mêmes, si cela permet d’améliorer leur prise en charge. Ils ne sont donc pas rétifs à l’innovation, même radicale. Mais simultanément, la crainte de voir diminuer les interactions humaines constitue le deuxième principal frein au recours à l’e-santé, derrière les craintes relatives à la confidentialité des données. C’est donc en termes de complémentarité, plutôt que de substitution, entre technique et soin dispensé par un praticien, que devraient raisonner les acteurs de l’e-santé.

Pédagogie

Le contexte de risque technologique omniprésent (piratage, espionnage) pèse sur la perception des Français, qui par conséquent, hésitent à partager leurs données de santé. Ces réticences constituent le premier frein à l’essor de l’e-santé (en augmentation par rapport à la dernière édition du Baromètre Santé). Il y a donc un important effort d’explication et de réassurance à produire par les acteurs du secteur.

Plus précisément, les Français font confiance à leur médecin traitant, avec lequel ils sont 90 % à se déclarer prêts à partager leurs données, ainsi qu’avec les professionnels de santé comme les pharmaciens ou les opticiens, quoique dans une moindre mesure, voire avec leur mutuelle. Ensuite, plus on s’excentre du domaine médical, plus la défiance grandit : ainsi seulement 38% des personnes interrogées font confiance aux nouveaux acteurs technologiques.

Une plus grande clarté sur l’usage qui sera fait de leurs données apparaît nécessaire aux Français, qui sont même 62 % à juger « indispensable » la création d’un label sur les applications d’e-santé pour garantir leur sécurité et leur conformité à la réglementation. La transparence est de mise : montrer en quoi le service rendu justifie le partage de données, et comment ces dernières sont protégées.

Partenariats

La question des données personnelles l’illustre bien : parfois, il pourra s’avérer nécessaire de conclure des alliances stratégiques, en vue de mutualiser des actifs, pour des acteurs qui, seuls, ne disposeraient pas de l’ensemble des « briques » pour construire une offre aboutie : technologie, financements, valeur ajoutée et compétence médicales, accès aux patients, confiance et légitimité attribuées par ces derniers.

Si l’on prend l’exemple des mutuelles : les Français estiment qu’elles devraient jouer un rôle dans la prévention, et ils sont aussi une majorité à considérer qu’elles devraient rembourser des services d’e-santé. Par ailleurs, c’est avec elles que les patients se montrent le plus disposés à partager leurs données, hors professionnels de santé. Dotées de ces atouts, les mutuelles ont donc une opportunité de se positionner en « agrégateur » de services d’e-santé, associées à des acteurs technologiques, d’une part, et aux professionnels de santé de leur réseau, d’autre part.

En définitive, l’e-santé passe aujourd’hui par une étape bien connue des spécialistes de l’innovation : celle où les premières offres peinent à répondre aux attentes initiales, parfois disproportionnées. Mais le terreau reste favorable pour les acteurs qui persisteront et sauront ajuster leur offre aux spécificités de ce marché.

 

Pour en savoir plus, n’hésitez pas à me contacter.

Jean-François est en charge de missions de conseil auprès des acteurs de la protection sociale. Il travaille notamment sur des sujets tels que la gestion de projets de partenariat et de rapprochement, la redéfinition d’organisations/de processus, la mise en place de systèmes d’information complexes et aussi, l’élaboration de plans stratégiques et de business plans. Avant d’entrer chez Deloitte en 2006, Jean-François a travaillé pour des compagnies d’assurance, des mutuelles, des IP et des courtiers dans le domaine des assurances de personnes.

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