B.I.T.C.O.I.N.

Cette monnaie électronique, magique, mathématique, maléfique, est-elle en plus prise de folie ? Elle dépasse 16 000 dollars, avant de redescendre un peu, le temps d’une prise de bénéfice, pour espérer remonter, mais jusqu’où, puis pour redescendre, mais jusqu’où, et jusqu’à quand ? En fait, pour comprendre ce qui se passe avec elle, il ne faut pas prendre Bitcoin pour un nom, ce que l’on croit souvent, mais pour un acronyme.

B est évidemment là pour bulle (bubble), car comment comprendre autrement cet engouement récent, violent, qui s’enflamme et culmine, au moins pendant quelques instants ! N’oublions pas qu’au début le Bitcoin ne pesait rien : 0,01 dollar… et ce n’était il n’y a pas si longtemps… en août 2008 ! Jamais l’histoire du monde n’a connu pareil engouement : nous sommes au-delà des tulipes de Hollande !

I pour inconnu. Certes, l’autre Inconnu, le billet, n’a pas de nom à son propriétaire ni de trace, à la différence du chéquier, du compte bancaire, du virement. Mais on essaie quand même de réduire de plus en plus son importance. On n’imprime plus les grosses coupures de 500 euros et on réduit le montant des achats possibles en billets. Le chèque est lui aussi sous pression : vivent la carte bancaire, puis le virement, mais avec vérifications ! Or le Bitcoin n’a pas d’empreinte, papier ou digitale, pas de mémoire. Il circule de « lieu » en « lieu », de nuage en nuage plutôt. Inconnu lui, inviolable lui, mais pas du tout ces dollars qui viennent de l’acheter, comme on vient juste de le voir ! Lui, il se garde. I pour Ironie !

T pour technique, tant nous aimons sa modernité, sa complexité, son aura de mobilisation de capacités de calcul, pour le protéger, nous protéger, et donc le valoriser.

C pour cryptomonnaie (cryptocurrency), c’est le caché. Il est ce qui nous échappe, peut-être ce qui est « mal » et veut échapper à la loi, ou bien ce qui est « liberté » et veut échapper à l’inflation et à la dévaluation, à ces manipulations des puissants, elles aussi cachées et peut-être aussi maléfiques. Se cacher, pour se libérer ?

O pour onirique, c’est ce rêve permanent où l’homme crée de la monnaie, avec son intelligence, bien mieux encore que la quête de l’or des alchimistes, avec leur vieux four (athanor), au risque du bûcher. On n’arrête pas le progrès.

I pour instable, bien sûr, comme du mercure ou mieux encore, comme du vif argent. Et c’est bien pourquoi, le 18 décembre, pour le calmer, il sera coté au Mercantile Exchange et au CBOE à Chicago ! Il fera alors son entrée dans un marché réglementé qui va organiser trois coupe-circuits s’il baisse trop vite, de 7, 13 ou 20%. En attendant que le Nasdaq lui ouvre ses portes !

N pour nécessité. Car on ne comprendrait pas la mondialisation du Bitcoin par son seul côté obscur, commerce des armes et des drogues, si on ne voyait pas non plus ce qui le porte : une immense liquidité mondiale, d’immenses inquiétudes et une immense soif de liberté, soutenue par les réseaux privés. Immense liquidité d’abord, car le Bitcoin est bien un des enfants du quantitative easing, de l’achat de bons du trésor par toutes les grandes banques centrales. Les banquiers centraux devraient le reconnaître, cet enfant ! Le Bitcoin vient aussi d’immenses inquiétudes au Venezuela – pour éviter l’hyperinflation, au Nigéria – pour aider les Nigérians à sortir du Naira ou en Corée du Sud – où les habitants rêvent de se protéger de Kim Jong-un. Et surtout, peut-on oublier les émigrés africains qui cherchent à envoyer de l’argent chez eux en quelques secondes, sans les frais considérables que prennent les passeurs et autres transporteurs de fonds ?

Alors, bientôt, le BITCOIN sera la première monnaie mondiale cotée de l’histoire, à la fois monnaie et finance, le meilleur de ces deux mondes, ou le pire ? Tout dépendra de la transparence que pourront apporter les marchés financiers à cette « monnaie ». Si cela marche, si la finance calme enfin la monnaie, la face du monde en sera changée.

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Fondateur de Betbeze Conseil SAS, Professeur de Faculté en Sciences économiques, Jean-Paul Betbeze a été Chef Economiste du Crédit Lyonnais en 1989 puis du Crédit Agricole (et membre de son Comité exécutif) jusqu’en 2013. Ancien membre du Conseil d’analyse économique auprès du Premier ministre et de la Commission Economique de la Nation, il est membre du Cercle des économistes et Président du Comité scientifique de la Fondation Robert Schumann. Auteur de nombreux ouvrages et rapports, il a rejoint le cabinet en avril 2013 en tant qu’Economic Advisor pour apporter son regard d’expert en analyse économique, conjoncturelle et financière.

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