Banques centrales : la guerre de Quatre aura lieu

Comment les quatre grandes banques centrales du monde vont-elles agir pour sortir des politiques non conventionnelles qu’elles mènent, chacune, depuis 2008 ? Fed, BCE, BoJ, BoE sont en effet les quatre banques centrales des quatre grandes économies industrialisées du monde. Elles sont officiellement indépendantes des pouvoirs politiques, ce qui ne veut pas dire qu’elles ne lisent pas le journal, ni qu’elles ne regardent pas ce que fait la cinquième : la (dépendante) banque centrale de Chine (BoC).

Indépendantes, cela veut dire qu’elles ont chacune un objectif interne de stabilité des prix. Et il se trouve que c’est le même : 2% d’inflation à moyen terme. Autrement dit, ces quatre banques centrales veulent toutes la double stabilité, monétaire (contre l’inflation) et financière (pour renforcer les banques). Pour y arriver, elles veulent toutes plus de croissance, donc plus de profitabilité, et plus de stabilité des prévisions des entrepreneurs et des ménages, les uns pour investir et embaucher davantage, les autres pour consommer et épargner plus régulièrement. En théorie, tout est donc en place pour une sortie lente, coordonnée et coopérative des grandes économies de la crise actuelle.

Hélas, toutes les économies ne sont pas les mêmes, ni toutes les monnaies, ni toutes les conjonctures ! Les Etats-Unis sont entrés les premiers dans la crise et en sont sortis les premiers, avec une politique monétaire très volontariste, plus l’aide du dollar. Suivent le Royaume-Uni, avec le Brexit et après une dépréciation de la livre, puis la zone euro et le Japon. Normalement, les Etats-Unis devraient continuer à hausser leurs taux courts et, cette fois, à vendre une part des encours de bons du trésor qu’ils ont amassés. Les taux courts américains seraient donc stabilisés un temps, les taux longs montant, puis les taux courts et ainsi de suite, le tout très graduellement. Il s’agit d’éviter une hausse trop forte des taux longs américains. Ce serait un double choc : pour la bourse américaine (puis les autres) et pour les entreprises et pays fragiles, car endettés. Il s’agit aussi, bien sûr, d’éviter une trop forte hausse du dollar.

Cette course de lenteur américaine arrange tout le monde, mais il n’est pas sûr qu’elle résolve les problèmes de surendettement, privé et public, que l’on retrouve partout. Le Royaume-Uni pourrait se trouver le plus en difficulté, avec l’inflation qui monte suite à la dévaluation de la livre (vers 3% ?), et à la complexité du Brexit, plus les élections législatives annoncées pour le 8 mai.

La zone euro, France en tête, ne souhaite évidemment pas de hausse des taux, même si l’inflation monte et s’établit à 1,5% en zone euro. Monsieur Draghi a « précisé » la notion de « 2% à moyen terme ». Elle lui laisse, et à tous, des mois de tranquillité. L’Allemagne n’est pas vraiment pressée, l’Italie non plus. Le Japon ferme le banc, avec un pays surendetté mais avec une inflation à 0,2%, promettant aux Japonais, détenteurs essentiels de leur dette publique, une perte très lente de la valeur réelle de leur créance. Quel panorama ! Donald Trump découvre l’obligatoire patience que vont devoir manifester les grandes banques centrales indépendantes, dans cette lente sortie de crise.

Et c’est alors que tous les regards vont se porter sur la croissance chinoise, à 6,9% avec une inflation qui va vers 2% et bientôt vers l’Inde, la sixième à entrer en lice, avec environ 7% de croissance et 5% d’inflation. Si les quatre grandes décident d’attendre, ce seront donc aux autres de monter leurs taux, donc de faire apprécier leurs monnaies par rapport au dollar et à l’euro notamment. Donc la guerre de Quatre aura lieu… à Six !

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Fondateur de Betbeze Conseil SAS, Professeur de Faculté en Sciences économiques, Jean-Paul Betbeze a été Chef Economiste du Crédit Lyonnais en 1989 puis du Crédit Agricole (et membre de son Comité exécutif) jusqu’en 2013. Ancien membre du Conseil d’analyse économique auprès du Premier ministre et de la Commission Economique de la Nation, il est membre du Cercle des économistes et Président du Comité scientifique de la Fondation Robert Schumann. Auteur de nombreux ouvrages et rapports, il a rejoint le cabinet en avril 2013 en tant qu’Economic Advisor pour apporter son regard d’expert en analyse économique, conjoncturelle et financière.

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