Cachez ces risques que je ne saurais voir

C’est entendu : les marchés financiers sont quasiment parfaits. Ils voient toutes les informations, les traitent en temps réel, au mieux. Le problème est que celles qu’ils reçoivent sont biaisées dans un sens très négatif, mettant en avant tout ce qui est dramatique, pour frapper les esprits ! Alors, les marchés essaient ensuite, au mieux, de corriger, de chercher des lieux de croissance, pour ne pas dire d’espoir, et, dans leur cas, de profitabilité.

Brexit, Trump, tensions avec la Chine… cette montée des inquiétudes devrait normalement conduire à un ralentissement très fort, même tempéré par une recherche plus opiniâtre de la profitabilité. Mais tel n’est pas le cas. Les banques centrales améliorent en effet la donne, pour ne pas dire qu’elles la changent, en comprimant fortement les taux d’intérêt à court et surtout à long terme.

Le thermomètre est cassé. Normalement, prêter à plus long terme est plus coûteux qu’à court terme. Normalement, prêter à un acteur plus risqué est plus coûteux qu’à un acteur moins risqué. Mais aujourd’hui, comme le risque a partout diminué du fait de ces politiques monétaires, les pentes des taux sont toutes extrêmement plates. Donc prêter à long terme n’est pas vu comme beaucoup plus risqué que prêter à court terme et il faut prêter à vraiment plus risqué pour que ceci se voie dans le rendement ! Ces distorsions conduiront un jour à des déconvenues, quand les taux monteront, notamment pour les emprunteurs fragiles. Mais nous n’en sommes pas là. Entretemps, elles changent profondément les métiers de financement.

Ainsi, la banque n’est plus rémunérée pour son travail d’analyse et de prise de risque par la transformation de dépôts à court terme en crédits à moyen et long terme. Alors soit elle prête moins, soit elle prend plus de risques, sachant qu’elle doit réduire ses frais fixes, autrement dit son réseau et ses emplois. De son côté, la compagnie d’assurance-vie se trouve face à des clients auxquels elle ne peut plus promettre des rendements élevés, sauf à leur faire prendre plus de risques et à en prendre elle-même davantage. Dans ce même contexte, les gestionnaires d’actifs ne peuvent aussi que se concentrer.

Mais la recherche de rendement demeure. Elle demeure parce que certains investisseurs ne sont pas convaincus de la durée de la phase de faible croissance, de faible inflation et de faibles taux que nous vivons, ou bien parce que certains opérateurs financiers leur proposent des produits et/ou des pays et/ou des secteurs mirifiques. Plus les taux d’intérêt sont bas, plus les espoirs de les dépasser sont élevés !

La forward guidance, la préparation des esprits aux taux futurs par les banques centrales, doit alors intervenir plus, mais avec plus de limites. Soit elle est crue dans ses annonces de taux durablement bas, et alors le risque de trappe à liquidité est béant. Soit elle ne l’est pas, et la chasse au rendement est ouverte. Les régulateurs doivent donc intervenir pour s’assurer de la qualité des intermédiaires financiers et les empêcher de prendre ou faire prendre trop de risques, à un moment où rien ne se voit. Les décideurs politiques ont aussi leurs mots à dire pour expliquer que les sorties de crise passent par la prise de risque, mais qu’il doit être correctement analysé… sachant qu’ils doivent faire les réformes qui s’imposent. Sinon, c’est pire !

Autrement dit, les vérificateurs des comptes, les analystes, la presse, tous les experts doivent jouer un rôle plus important que jamais pour empêcher de rêver. Le risque majeur de cette situation vient de ceux qui savent que le thermomètre est cassé et qui en profitent. Il peut s’agir de vendeurs de produits financiers qui les présentent comme peu risqués et rentables (bien sûr), pour financer comme toujours des pays émergents ou des entreprises fragiles. Il peut s’agir d’entreprises qui en profitent pour se surendetter, cacher leur situation ou jouer la croissance externe à tout prix. Il peut s’agir d’états qui profitent de l’aubaine pour financer leur croissance sans faire les réformes (flexibilité, retraites, déficit) qui permettront de la maintenir.

Mais ne l’oublions pas : ces taux bas sont la solution pour sortir de crise. Le risque ne disparaît pas quand son prix baisse artificiellement : il augmente, surtout si on n’en profite pas intelligemment. Après, on pleurera et on critiquera les « décideurs ».

 

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Fondateur de Betbeze Conseil SAS, Professeur de Faculté en Sciences économiques, Jean-Paul Betbeze a été Chef Economiste du Crédit Lyonnais en 1989 puis du Crédit Agricole (et membre de son Comité exécutif) jusqu’en 2013. Ancien membre du Conseil d’analyse économique auprès du Premier ministre et de la Commission Economique de la Nation, il est membre du Cercle des économistes et Président du Comité scientifique de la Fondation Robert Schumann. Auteur de nombreux ouvrages et rapports, il a rejoint le cabinet en avril 2013 en tant qu’Economic Advisor pour apporter son regard d’expert en analyse économique, conjoncturelle et financière.

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