Cas d’usage des captives de réassurance, entre gestion du risque corporate et opportunité financière

Article co-rédigé avec Cyril Chalin, Charles-Henri Carlier, Joseph Delawari et Pape Modou Mbow.

La loi de finances pour 2023 a suscité un regain d’intérêt des groupes industriels et commerciaux pour les captives de réassurance. En instaurant une réserve de bénéfices en différé d’imposition, la « provision pour résilience », la France encourage la gestion du risque d’entreprise dans le temps. Elle devient à présent une juridiction attractive pour l’installation de captives de réassurance. Le nombre d’agréments par le superviseur a déjà doublé en deux ans, et la tendance va s’accroître.

Le recours à une captive de réassurance n’est néanmoins pas standardisable. L’intégration réussie d’une captive dans la stratégie d’assurance d’un groupe est un projet sur mesure, qui doit répondre à un usage dessiné en fonction des risques du groupe, de son appétence en matière de rétention et des conditions de marché. Par ailleurs, ces outils, même s’ils disposent d’allègements de supervision, sont régis par les réglementations applicables aux assureurs et aux réassureurs.

 

1. Les cas d’usage les plus courants des captives

Revenir sur deux idées reçues sur les captives permet en premier lieu de délimiter ce qu’une captive n’est pas.

  • Opérer une captive ne modifie pas l’appétence au risque d’un groupe. La captive n’est pas un outil pour s’assurer plus ou pour réduire ses cessions, mais pour mieux s’assurer et gérer ses risques. Une captive n’est pas un outil pour remplacer de manière permanente le recours à l’assurance, mais au contraire qui renforce les liens avec le secteur financier.
  • Les captives ne sont pas des instruments dont le premier objectif est d’agir sur la fiscalité. Ce sont en pratique des outils de surface financière limitée, découlant de leur intervention en appoint du programme d’assurance du groupe. Si certaines dispositions fiscales facilitent leur activité dans le temps, le frottement découlant de la taxe sur les conventions d’assurance (articles 991 et suivants du code général des impôts – inférieur à 9% des primes pour les principaux risques industriels) est une désincitation immédiate à augmenter la surface des programmes d’assurance sans souhait réel de céder du risque au marché.

La mise en place d’une captive est un projet sur mesure, mais qui répond souvent à un ou plusieurs objectifs de la liste non limitative suivante.

  • Sécuriser sa continuité d’activité économique

De nombreuses activités économiques requièrent la souscription d’une police d’assurance dite obligatoire. Parmi les assurances obligatoires, figurent par exemple en France des garanties de responsabilité civile (laboratoires pharmaceutiques, structures hospitalières, promotion immobilière, …) ou financières (opérateurs de voyages, loi Hoguet pour les réseaux immobiliers, …). Ces activités ne peuvent être exercées sans assurance.

Une captive de réassurance permet de prendre le relais de capacité des assureurs en cas de désengagement du programme. Recourir à une captive pour les activités sujettes à assurance obligatoire apporte de la sécurité pour la continuité d’activité.

  • Compléter les capacités du marché

Une captive de réassurance est un outil de complément du programme d’assurance, dans lequel les excédents accumulés au fil du temps peuvent, à terme, constituer des fonds conséquents. Ces réserves peuvent être utilisées en complément de capacité pour le programme d’assurance, conjoncturellement ou de façon permanente.

La montée en charge doit néanmoins être progressive et une captive ne doit être considérée comme un véritable complément de capacité qu’à hauteur de ses réserves financières accumulées, sous peine de basculer dans une logique d’auto-assurance.

  • Accéder à un marché plus profond

Une captive est une entité régulée du système financier à part entière, qui fait entrer son groupe d’appartenance dans le cercle professionnel du secteur financier. Elle peut contracter directement auprès des réassureurs au niveau mondial, ce qui permet la négociation non intermédiée de leurs tarifs et peut être gage de plus de capacité réservée.

  • Récupérer de la marge tarifaire

Céder ses risques dans le cadre d’un programme d’assurance s’accompagne nécessairement d’une perte de marge à travers le cycle. Les entreprises n’ont pas vocation à s’auto-assurer, mais elles peuvent juger ponctuellement ou sur des aspects localisés de leur programme que la tarification est excessive, et qu’elles pourraient porter une partie du risque. Une captive de réassurance permet d’établir les traités de réassurance rapatriant ces zones de risques auxquelles l’entreprise est appétente, marge tarifaire comprise.

Mener une telle réflexion est d’autant plus pertinent que le programme d’assurance est imposé par les contraintes juridiques locales.

 

2. Les captives en tant qu’instruments financiers

Les captives de réassurance bénéficient de mécanismes fiscaux particuliers. Leur fonctionnement, ainsi que ce que la loi de finances pour 2023 a mis en place pour la France, repose sur une provision déductible de l’assiette de l’impôt sur le revenu, alimentée par les excédents techniques d’un exercice sur l’autre. Ces provisions peuvent devenir importantes avec le temps, et constituer de véritables fonds disponibles pour compenser les sinistres futurs.

Cette facilité, dérogatoire du principe comptable d’indépendance des exercices, est justifiée par le petit nombre de sous-jacents dans les risques que les captives portent. Une dimension supplémentaire est nécessaire pour la bonne diversification des risques : le temps.

En France, la loi de finances pour 2023 a institué la provision pour résilience comme dispositif alternatif aux provisions d’égalisation. Cette nouvelle provision apporte 4 innovations :

  • Un report d’imposition pendant 15 ans, soit 5 ans de plus que la provision pour égalisation (sauf transport aérien, attentats et terrorisme) ;
  • L’augmentation du niveau de dotation possible (90% des excédents, contre 75% pour les provisions d’égalisation) ;
  • L’extension à la plupart des risques d’entreprise, couvrant notamment des branches très larges comme les dommages aux biens professionnels, la responsabilité civile générale et les pertes pécuniaires ;
  • La mutualisation des excédents constitués au titre d’une branche, qui peuvent être utilisés pour les pertes d’une autre.

 

L’effet de cette provision sur les cashflows n’est réplicable par aucun autre mécanisme ou instrument financier existant. En l’absence de captive, les excédents qui auraient été dotés en provision pour résilience sont constatés en résultat d’entreprise et imposés. La capacité à faire face à des sinistres est alors amoindrie de l’impôt acquitté, et des éventuelles distributions du résultat. Si des sinistres atypiques en sévérité surviennent, comme par exemple les pertes d’exploitation constatées pendant la crise sanitaire de 2020, les entreprises peuvent certes recourir au report en avant des pertes mais la récupération n’est pas immédiate, ni totalement tangible.

Pour exploiter pleinement le potentiel de ce dispositif, les captives doivent être judicieusement positionnées. Leur montée en charge sera nécessairement progressive dans le temps, puisqu’elles sont alimentées par la cession de zones localisées du programme d’assurance.

 

3. Les bénéfices pour la gestion du risque d’entreprise

  • Un outil pour mieux connaître ses risques

En tant que société régulée, une captive de réassurance interagit avec un superviseur (l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution, en France). Elle lui reporte des états réglementaires détaillés, et doit mettre en place un cadre prospectif d’anticipation de ses risques (calculs de solvabilité, rapports ORSA – Own Risk and Solvency Assessment). Cet environnement de reporting exigeant et les échanges avec le superviseur sont des accélérateurs pour l’indentification et la mesure du risque d’entreprise.

Une captive est un lieu privilégié pour constituer des historiques longs de données de sinistralité, pour les exploiter avec des outils statistiques puissants, et pour centraliser la surveillance des risques d’un groupe.

  • Un outil de prévention du risque

En tant que porteur de risque, une captive est intéressée aux cotés des assureurs du programme à la maîtrise de la sinistralité. Elle accompagne les assureurs dans la conduite d’actions de prévention des risques, avec le poids d’un acteur interne au groupe. Elle peut agir sur le monde réel, et devenir un lieu d’initiative pour le pilotage des programmes de prévention des risques et d’incitation financière à la sécurisation des installations assurées.

 

 

 

Cyril est diplômé de l’ENSAE et actuaire qualifié. Il dispose d’une expérience professionnelle de 17 années en audit et conseil en actuariat. Cyril accompagne des organismes d’assurance dans de nombreux domaines autour du reporting financier et réglementaire, de la gestion des risques ou de l’organisation opérationnelle. Il participe au groupe de travail de l’Institut des Actuaires sur la Fonction Actuarielle et anime un groupe interne à Deloitte au niveau européen sur cette même problématique.

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