Financement des petites entreprises en France, constitution d’un capital de confiance d’une nouvelle activité auprès de clients, gestion des équipes et conservation de l’esprit d’entreprise à la suite d’un rachat… Céline Lazorthes, fondatrice de la cagnotte en ligne Leetchi, racheté par Crédit Mutuel Arkea, livre son regard sur l’écosystème des start-ups et sur le rôle de l’entrepreneur aujourd’hui.

Retrouvez aussi notre interview vidéo de Céline Lazorthes en bas de cet article.

Quels facteurs expliquent, selon vous, le succès de Leetchi ?

Ce succès est avant tout la somme de petites réussites. Il est aussi le fruit de nombreux échecs sur lesquels nous avons su capitaliser. L’équipe solide et bienveillante que j’ai constituée au début de l’aventure est également un facteur de succès fondamental : les premiers collaborateurs sont restés et ont grandi en même temps que l’entreprise.

Comment avez-vous géré le financement de l’entreprise ?

Nous avons tout d’abord bénéficié d’une subvention OSEO d’un montant de 20 000 euros avant de débuter le projet. La première levée de fonds de 450 000 euros en Seed en février 2010, a été suivie d’une série A de 1,2 million en septembre 2010. Nous avons poursuivi avec une série B de 4 millions d’euros en février 2012. Au total, nous avons levé près de 7 millions d’euros avant de céder l’entreprise en septembre 2015 au Crédit Mutuel Arkéa. Ce dernier a investi 10 millions d’euros dans l’entreprise.

Que répondez-vous à ceux qui affirment qu’il est très difficile pour les jeunes entreprises françaises de lever des fonds ?

Je ne peux pas m’exprimer au nom de tous, mais j’observe que le financement en France a connu un véritable changement de cap au cours des dernières années. Quand, il y a 10 ans, lever 5 millions d’euros était très difficile: c’est aujourd’hui beaucoup plus simple. L’étape suivante, qui consiste à dépasser 15 à 30 millions d’euros, demeure en revanche délicate. De nombreuses entreprises n’ont d’ailleurs d’autre choix que de se tourner vers l’international.  

Quels sont les principaux défis pour une entreprise comme Leetchi, cherchant à émerger en tant que tiers de confiance ?

Dans un métier comme le nôtre — c’est-à-dire une activité bancaire, consistant à collecter de l’argent pour le compte de nos clients — la garantie de la sécurité, et donc la confiance, représente le challenge numéro un. Cela se construit étape par étape.

L’internaute est naturellement relativement bienveillant, et a plutôt tendance à accorder sa confiance : le défi est de parvenir à la conserver sur le long terme. Il faut à tout prix éviter le moindre grain de sable dans la machine. La qualité de service est primordiale. Une entreprise comme Leetchi ne peut pas se permettre la plus petite interruption de service ou faille de sécurité. C’est pourquoi nous investissons plus de 40% de notre R&D dans la sécurité.

Quelles sont les raisons qui ont motivé votre choix de vous faire racheter par Crédit Mutuel Arkéa ?

Pour la petite histoire, au moment de lancer le projet, j’ai eu beaucoup de mal à trouver une banque, jusqu’à ce que je frappe à la porte du Crédit Mutuel. L’établissement qui a accepté de nous ouvrir un compte en banque est finalement celui qui nous a racheté cinq ans et demi plus tard !

Le rachat a eu lieu en 2015, à une période où Leetchi existait depuis 5 ans et se trouvait dans une phase de rentabilité. Nous financions notre croissance et continuions notre développement. Pour que le  projet continue de se développer, j’ai vu à ce moment-là l’opportunité de trouver un partenaire qui nous permettrait de passer à l’étape supérieure.

Nous avions deux options : réaliser une nouvelle levée de fonds, ou revendre l’entreprise. Le premier scénario semblait logique dans la mesure où notre niveau de financement restait relativement faible. Mais lorsque nous avons reçu l’offre de Crédit Mutuel Arkéa, elle nous a semblé parfaitement naturelle dans la mesure où nous entretenions avec ce partenaire historique de Leetchi des relations de confiance réciproque depuis le début de l’aventure.

Ronan Le Moal, le président du Crédit Mutuel Arkéa, a d’ailleurs passé cinq ans à notre conseil d’administration en tant que board member indépendant avant de devenir actionnaire. Il nous a énormément aidés sur de nombreux sujets, comme la constitution du dossier en vue de devenir un établissement bancaire.

Nous nous sommes donc logiquement tournés vers lui pour continuer à nous développer et accélérer à l’international tout en gardant notre âme. Dix-huit mois plus tard, la promesse est tenue, puisque le développement de la société est encore plus rapide que ce que prévoyait notre business plan. Nous avons par ailleurs conservé notre indépendance, ce qui était la clef du succès de notre relation.

 

J’aime expliquer la relation qui nous unit comme une forme d’incubation.

 

Cette indépendance connaît-elle des limites ?

Elle est entière. Il ne s’agit pas de marketing, mais d’une indépendance réelle et entière. Je crois d’ailleurs savoir que ce point se vérifie dans toutes les acquisitions menées par le groupe, comme l’atteste Fortuneo par exemple, racheté il y a près de dix ans. Conserver notre ADN était pour nous une priorité, notamment dans l’accompagnement des équipes. Nous avions à cœur de rejoindre un groupe qui nous ferait bénéficier de sa force sans pour autant nous écraser par le poids de son histoire. Crédit Mutuel Arkéa parle d’ailleurs plutôt de « raccordement » que d’intégration pour les entreprises rachetées.

Comment la gouvernance de Leetchi a-t-elle évolué à la suite du rachat ?

L’entreprise disposait auparavant d’un conseil d’administration que je présidais. Aujourd’hui, la gouvernance est composée d’un conseil de surveillance et d’un directoire. Ce dernier, que je préside, entretient des relations régulières avec le conseil de surveillance, dont les membres sont issus de Crédit Mutuel Arkéa. Un point d’étape se tient tous les trois mois. Cette gouvernance accorde une grande autonomie au management et au directoire.

Nous ne comptons aujourd’hui aucun administrateur indépendant. Nous ne nous l’interdisons pas, mais la nécessité ne s’en est pas fait sentir jusqu’à présent grâce aux profils aux différentes compétences de notre actionnaire présents au conseil de surveillance.

Quel est son apport ?

Quatre personnes du groupe siègent au conseil d’administration, avec des métiers et des responsabilités différentes mais complémentaires. Ce sont des spécialistes des domaines de la monétique, de la banque, de la technologie… Ils nous apportent une grande connaissance du métier, et disposent d’un recul qui nous manque parfois lorsque nous sommes absorbés dans la gestion du quotidien.

Avez-vous vécu des situations de désaccord autour de la stratégie de Leetchi après le rachat ?

Non. Il était acquis au moment du rachat que nous resterions maîtres de notre stratégie. Nos ambitions étaient très claires, tout comme la direction que nous voulions prendre. Pour autant, Crédit Mutuel Arkéa nous apporte énormément. J’aime expliquer la relation qui nous unit comme une forme d’incubation. Ce groupe, qui compte 10 000 collaborateurs, dispose de fonctions support infiniment plus développées que les nôtres. Nous avons donc accès très facilement à des experts en matière de conseil juridique, de gestion du risque, de conformité…

Nous faisons par ailleurs notre possible pour nous nourrir de leur expérience industrielle et des années de connaissance de leurs métiers. C’est un partenariat très fructueux.

De son côté, Crédit Mutuel Arkéa se nourrit-il de vos façons de travailler ?

J’en suis convaincue ! Nous organisons régulièrement des événements pour accueillir certains collaborateurs du groupe et leur présenter notre métier. Nous sommes aussi souvent sollicités pour partager notre regard et donner notre avis sur différents points, comme des choix technologiques ou encore des projets d’acquisitions.

S’adosser à une structure de la taille du Crédit Mutuel est-il selon vous indispensable pour les fintechs à partir d’un certain stade de développement ?

Cela dépend vraiment des entreprises et de leurs problématiques spécifiques. Le dirigeant a pour rôle de trouver les meilleures manières de soutenir et de développer son projet. Il peut s’agir de recrutements de collaborateurs, de l’accueil d’administrateurs indépendants au sein du board, ou encore de financements. Il n’existe pas de réponse unique.

Ne peut-on pas voir dans la démarche de grands groupes tels que Crédit Mutuel Arkea la volonté de s’offrir une image agile et innovante en procédant à l’acquisition de start-ups telles que Leetchi ?

Je ne peux pas parler à la place de Crédit Mutuel Arkea. Je remarque toutefois que le groupe se présente comme la « banque des entrepreneurs », ce qui me semble pertinent et justifié. Il s’agit d’un établissement de taille moyenne. Il a donc l’obligation de se montrer plus agile et de s’adapter aux besoins de ses clients. Je crois que le groupe a très bien compris qu’il avait un vrai rôle à jouer dans l’entrepreneuriat en prenant des positions dans le secteur du numérique. Il ne s’agit pas de communication, mais d’un véritable positionnement stratégique.

Retrouvez aussi notre interview vidéo de Céline Lazorthes.