Colette Lewiner, administratrice indépendante : « L’urgence est à la simplification de la gouvernance »

Pour l’administratrice indépendante (EDF, Bouygues, Eurotunnel, Nexans, Ingénico), le modèle de gouvernance des entreprises françaises doit se recentrer sur son rôle d’aide stratégique au développement et à l’évolution de l’entreprise, et éviter la tentation de se substituer au management.

Retrouvez aussi la première partie de notre entretien avec Colette Lewiner sur sa vision de l’entreprise et de la gouvernance.

Quel est le rôle du conseil d’administration ?

Il doit bien sûr veiller au bon fonctionnement de l’entreprise et au respect des lois et règlements mais également entériner et suivre la stratégie à moyen terme.
Le conseil doit être attentif à ne pas se substituer au management ni s’immiscer dans la gestion quotidienne. 

Nous sommes aujourd’hui à une période de changements rapides liés à la digitalisation de notre économie. Dans ce contexte, je pense que le conseil d’administration doit partager avec le management un exercice de prospective afin de tenter de prévoir l’évolution à long terme du secteur dans lequel se situe l’entreprise et les changements nécessaires de son modèle d’affaires.

Olivier Huart, PDG de TDF, entreprise dont vous avez été présidente, évoquait lors d’une interview des échanges téléphoniques quotidiens avec les actionnaires. Qu’apporte cette fréquence aux relations entre le conseil d’administration et le management ?

J’ai assuré pendant quatre ans la présidence non exécutive de TDF dont Olivier Huart était Directeur Général. Effectivement Olivier partageait très régulièrement des informations avec les administrateurs qui représentaient les actionnaires et c’était très utile. Ces échanges fréquents étaient possibles car TDF était détenu par un nombre limité d’actionnaires (en l’occurrence par des fonds d’investissements).
Lorsqu’il s’agit de sociétés cotées, avec un actionnariat dispersé, l’exercice n’est plus possible.

Quel est l’apport de l’administrateur indépendant au conseil ?

D’abord, de par son expérience, l’administrateur indépendant fait bénéficier l’entreprise de son regard externe, ce qui est très important. D’autre part, il ou elle apporte son expertise dans un secteur ou un domaine de compétence particulier qui viendra compléter celle des autres membres du conseil. Par exemple une jeune femme spécialiste du digital vient de rejoindre une société dont je suis administratrice. Sa contribution est précieuse, même si elle n’est pas experte du secteur dans lequel œuvre cette entreprise.

Séparation des fonctions de Président du conseil d’administration et de Directeur Général ou cumul de ces deux responsabilités par un seul dirigeant, quel est le mode de fonctionnement le plus efficace ? Comment le conseil doit-il préparer la succession des dirigeants ?

Je crois d’abord qu’il ne faut pas être dogmatique et qu’il faut doter une entreprise, à un moment donné de son histoire, du meilleur mode de gouvernance.
Sur le plan de la gestion du conseil d’administration à proprement parler, la dissociation de ces fonctions peut être préférable, dans la mesure où elle permet au président de consacrer plus de temps à son conseil. Cela facilite par ailleurs la succession du directeur général.

 

Le conseil ne doit pas se penser comme une entité en soi ; ainsi son bon fonctionnement n’est pas une finalité en tant que telle mais une façon de contribuer à  la bonne gestion de l’entreprise.

 

Un certain nombre de fonds d’investissement et de proxys sont d’ailleurs favorables à cette dissociation.

Il faudrait, en théorie, que le conseil réfléchisse en permanence à la succession du dirigeant ainsi qu’à celle des principaux managers. Mais le problème est délicat car il comporte, par définition, un aspect psychologique important.

En Norvège, pays en avance sur les questions de gouvernance, le conseil d’administration examine très régulièrement les plans de successions de façon ouverte et transparente, en partenariat avec le management. La France accuse un certain retard sur ce sujet.

Voyez-vous d’autres points sur lesquels les entreprises françaises pourraient s’inspirer du modèle de gouvernance norvégien ?

Les entreprises norvégiennes disposent d’un comité de nomination qui n’émane pas du conseil d’administration, mais directement des actionnaires. Cela permet de sélectionner des administrateurs répondant aux souhaits des actionnaires et pas seulement à ceux du président de l’entreprise.

Selon le code de gouvernance norvégien, le directeur général n’est pas administrateur, et ne devrait pas siéger aux réunions du conseil d’administration. J’estime toutefois que cette mesure va trop loin car le directeur général connaît l’entreprise mieux que personne, et a donc toute légitimité à participer aux travaux du conseil.

La formation des administrateurs est-elle suffisante aujourd’hui selon vous ?

Les administrateurs doivent se donner la peine d’apprendre les spécificités de l’entreprise. Celles-ci offrent des formations aux nouveaux administrateurs (induction days) qui sont très précieuses. Ensuite, c’est à l’administrateur lui-même de se former sur le secteur et d’approfondir sa connaissance de l’entreprise en demandant à rencontrer certains de ses dirigeants ou en visitant des installations par exemple. Là aussi, le code de gouvernance norvégien est plutôt en avance par rapport à la France. L’idée de formation régulière des administrateurs y figure. Toute la question est de trouver les sujets et les modalités de ces formations.

Constatez-vous une forme d’inflation réglementaire au sein des conseils d’administration ?

Oui. Le meilleur exemple, à mon sens, est la perte du statut d’indépendant par l’administrateur après une période de douze ans dans l’entreprise. Cette règle ne me semble pas fondée car je pense que l’indépendance est avant tout un état d’esprit.

Or, le code AFEP/MEDEF préconise une proportion de 30% à 50% d’indépendants. Certains sont donc contraints de quitter le conseil d’administration à l’issue de cette période de douze ans. C’est dommageable : connaitre et comprendre certains groupes demande beaucoup de temps.

Cette règle est née de la suspicion qu’un administrateur présent depuis plus de douze ans était nécessairement sous l’emprise du management. En poussant le raisonnement à l’extrême il serait donc préférable d’avoir des administrateurs qui n’auraient pas eu le temps de comprendre l’entreprise ?

L’évaluation du conseil d’administration a lieu chaque année, et vise à améliorer son fonctionnement. La règle de faire réaliser cette évaluation par un tiers de façon régulière est bonne, à condition de donner un temps de parole suffisant à l’évaluateur externe pour la restitution de ses travaux au conseil.

Faut-il faire évoluer la gouvernance face à la mutation de l’économie ?

La question qui se peut se poser aujourd’hui est celle du rôle du conseil d’administration.

A mon avis, la première mission du conseil d’administration consiste à préserver les intérêts des actionnaires de l’entreprise. De façon plus générale je dirais que le conseil d’administration doit aussi veiller à l’intérêt de toutes les parties prenantes et notamment celui des collaborateurs. Le conseil ne doit pas se penser comme une entité en soi ; ainsi son bon fonctionnement n’est pas une finalité en tant que telle mais une façon de contribuer à  la bonne gestion de l’entreprise.

On peut parfois assister à une forme de dérive narcissique, dont je pense qu’il faut savoir se garder.

Confiance & Gouvernance est un cercle de réflexion initié par Deloitte pour questionner les modèles de gouvernance d'aujourd'hui et de demain. Suivez les débats entre les acteurs économiques et la société, et partagez le fruit des réflexions d'administrateurs et de dirigeants, français et étrangers.

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