Article co-écrit avec Julien Boudou, Senior Manager Risk Advisory.
La crise du Covid-19 impacte fortement l’activité économique des entreprises, fortement touchées par les mesures de confinement et les baisses de production et de consommation qui en découlent. Pour les établissements bancaires, cette crise va se traduire par une augmentation significative à court terme du risque de crédit (avec tous les impacts que cela implique sur les exigences en capitaux règlementaires) et un impact à moyen et long terme sur le business et la capacité à continuer de financer l’économie.
Pour toutes ces raisons, et en lien avec les exigences réglementaires, les banques doivent dès à présent mettre en place des dispositifs de segmentation et de gestion inédits afin d’anticiper au mieux l’évolution du risque sur leurs activités ; mettre en place les axes de gestion les plus adaptés aux nouveaux segments de créances mises en évidence par la crise actuelle ; et enfin favoriser le plus rapidement possible la sortie de la crise et le retour à une situation normale en se donnant les moyens de continuer à financer l’économie.
Face à la crise, le gouvernement Français et la Banque Centrale Européenne ont mis en place un certain nombre de mesures – prêts garanties par l’état, relâchement temporaire du coussin contracyclique, moratoires spécifiques, suspension des distributions de dividende – visant à limiter les effets de la baisse d’activité sur la liquidité des entreprises et leur capacité à faire face à leurs échéances bancaires.
L’EBA a quant à elle précisé ses attentes dans les guidelines du 2 avril 2020 sur la nécessité pour les établissements bancaires de mettre en œuvre dès à présent des analyses spécifiques sur les impacts économiques de la crise. Il s’agit en particulier de pouvoir distinguer les entreprises dont les difficultés financières sont liées directement à la crise sanitaire des entreprises en difficulté pour d’autres raisons. L’objectif est également de déterminer dans quelles mesures ces difficultés risquent de se prolonger dans le temps, ou s’il s’agit de difficultés temporaires et qu’un retour à la normale est envisageable à court terme.
En effet, un certain nombre d’incertitudes persistent sur la capacité des entreprises à résister dans la durée au choc économique issu de la crise sanitaire, ainsi que sur l’augmentation du risque de crédit que devront absorber les établissements bancaires à moyen et long terme (tant pour leurs exigences en fonds propres que sur leurs niveaux de provisions et la gestion opérationnelle des créances en défaut).
Les établissements se doivent donc de mettre en place un dispositif global, d’une part pour répondre aux attentes des régulateurs, et d’autre part pour initier au plus tôt les stratégies structurantes pour gérer au mieux la crise.
Ce dispositif devra dans un premier temps s’appuyer sur des informations de segmentation systématiques définies par les établissements, puis permettre des analyses régulières dans l’objectif de cerner progressivement les impacts sur les portefeuilles, les estimateurs de risques et les provisions.
Il s’agira en particulier de supporter les différentes phases successives suivantes :
Au-delà des objectifs opérationnels, l’enjeu est surtout de mettre en place des stratégies opérationnelles optimales en fonction d’une segmentation permettant de distinguer les différents niveaux de sensibilité des créances à la crise.
Nous identifions 4 principaux segments à différencier :
Par ailleurs, les créances non directement impactées par la crise et appartenant à des périmètres non identifiés comme sensibles devront continuer à être suivies de manière régulière au cours de cette période, afin d’anticiper notamment d’éventuels impacts de second niveau à moyen ou long terme.
A l’heure actuelle, les hypothèses de sortie de la crise sanitaire et de retour à la normale de l’activité restent très incertaines. Il subsiste donc une forte incertitude sur l’intensité de la crise financière qui en découlera, ainsi que sur l’horizon de temps et la vitesse de retour à une situation normale.
Concernant l’arrêté trimestriel de mars 2020, il est difficile, pour le moment, d’évaluer précisément les impacts en provisions de cette crise pour les raisons citées ci-dessus. Devant toutes ces inconnues, le recours à des provisions sectorielles ou collectives, déterminées à dire d’expert et sur la base des observations déjà avérées, parait le plus adapté.
Cependant, tout porte à croire que le marché comme les régulateurs attendront une vision plus précise et complète des impacts de la crise pour le prochain arrêté de juin 2020 (Cf. courrier de la BCE adressé aux banques le 1er avril 2020 à ce sujet). A cette date les banques devront donc être en mesure de remplacer tout ou partie des ajustements du premier trimestre par une vision prospective plus quantitative. Concrètement, il s’agira notamment de définir un nouveau jeu de scénarios forward looking construit autour d’un scénario baseline. Ce scénario dépend du plancher de détérioration économique qui pourra être déterminé en sortie de crise sanitaire, et d’une hypothèse de retour à la normale plus ou moins agressive en temporalité et en vitesse. Ces scénarios devront vraisemblablement intégrer des déclinaisons sectorielles afin de prendre en compte cette situation de crise inédite et les spécificités mises en évidence durant cette première période d’observation.
L’enjeu est fort pour les établissements financiers, qui sont attendus par l’opinion publique et la classe politique dans leur capacité à soutenir l’économie en temps de crise.
Cette nouvelle segmentation client, qui viendra compléter les segmentations risques et commerciales existantes, devra donc également constituer une base pour une réflexion stratégique à moyen terme. Les établissements devront ainsi qualifier précisément les besoins d’accompagnement de ces clients et définir des stratégies plus adaptées et progressives. Il s’agira par exemple de mettre en œuvre des produits de financement adaptés au niveau de retour à la normale, lui-même conditionné par la capacité des clients à atteindre leurs objectifs intermédiaires. On peut également imaginer une logique de rémunération progressive, potentiellement soutenue par des dispositions étatiques ou fiscales.
C’est par ailleurs une opportunité pour les établissements « traditionnels » de démontrer la pertinence de leur business model en se positionnant différemment des nouveaux acteurs de l‘industrie, qui ne disposent pas pour le moment d’une capacité d’accompagnement comparable.
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