Article co-écrit avec Elodie Ciulli, Manager Deloitte Développement Durable.
Chaînes rompues en raison de problèmes logistiques, produits invendus… la pandémie de Covid-19 a mis en évidence la fragilité de nos chaînes d’approvisionnement alimentaire. La grande leçon que nous pouvons tirer d’un tel bouleversement est la nécessité de créer une chaîne d’approvisionnement alimentaire plus durable, en repensant la façon dont les entreprises s’engagent, avec qui elles s’engagent et leurs objectifs. Il ne s’agit plus seulement pour elles de bien connaître leurs fournisseurs et de pouvoir retracer le parcours de leurs marchandises : il est temps d’initier une réflexion plus large sur la nutrition mondiale, la préservation du capital naturel et la garantie d’une vie décente pour les agriculteurs. Cette transition s’articule autour de trois convictions que nous partageons chez Deloitte Développement Durable : la coordination et le dialogue entre tous les acteurs de la chaîne, la nécessité d’investir dans l’agriculture française et enfin la lutte contre les inégalités alimentaires.
Repenser le modèle de la chaîne alimentaire : du producteur au consommateur final
La chaîne d’approvisionnement alimentaire ne pourra devenir véritablement durable que si les entreprises repensent le processus du producteur au consommateur final. Le partage de la valeur tout au long de la chaîne doit être repensé et un lien direct entre les agriculteurs et les consommateurs doit être créé.
La priorité est aujourd’hui de développer des offres en faveur de produits plus sains, de redoubler d’attention sur l’origine des produits, de veiller à la qualité de la contractualisation avec les agriculteurs, et de renforcer les actes de transparence et de pédagogie auprès des consommateurs et des parties prenantes. Ces enjeux doivent être adressés à chacune des étapes de la chaîne alimentaire :
Investir dans la transition agricole française, fer de lance d’une alimentation durable de proximité
Si on souhaite faire de l’agriculture française le fer de lance d’une alimentation durable de proximité, des investissements conséquents seront nécessaires sur deux fronts prioritaires : le juste prix et le local.
- Garantir le juste prix et défendre le pouvoir de vivre des agriculteurs
Garantir le juste prix est une nécessité, après des années de crise d’un monde agricole en tension face aux injonctions d’une transition qui coûte chère, à l’accélération des risques liés au dérèglement climatique et à une crise des vocations.Il est essentiel de revaloriser les métiers de ce secteur vital, en développant par exemple des paiements pour services environnementaux car les agriculteurs sont au cœur des solutions pour une économie plus résiliente. Il sera également indispensable de repenser le partage de la valeur en incluant le consommateur de manière transparente dans la fixation du prix, d’imaginer des dispositifs de contractualisation à long-terme pour compenser les fragilités économiques et climatiques et de soutenir la formation et l’orientation vers des filières d’excellence agricole.
- Miser sur le local, eldorado d’une nouvelle géographie alimentaire
Dans plusieurs pays, de nombreux détaillants ont commencé pendant la crise sanitaire à privilégier l’approvisionnement local, en particulier pour les fruits et légumes. L’approvisionnement local signifie moins de transports, moins d’émissions de gaz à effet de serre et une meilleure compréhension des besoins des agriculteurs et des consommateurs locaux. Pour encourager ou s’inscrire dans ce mouvement, il importe de maintenir des offres 100% françaises afin de soutenir les filières, de renforcer la part de l’approvisionnement de proximité notamment dans les chaînes de restauration, mais aussi de développer le modèle du circuit court tout en réduisant le coût du transport et son impact environnemental. Une autre piste d’action prioritaire est la mise en place de systèmes de production territorialisés pour limiter la dépendance aux importations et développer un modèle d’autosuffisance des zones urbaines denses en population.À mesure que l’approvisionnement local gagne en popularité, nous constatons un nouveau lien entre les villes et les zones rurales. Par exemple, en France, 47% des consommateurs préfèrent les produits locaux, tandis que 66% pensent que les agriculteurs ne sont pas suffisamment payés pour leur production.
- Démocratiser le droit de manger mieux : le combat contre les inégalités alimentaires
La crise sanitaire et le confinement ont renforcé le sentiment d’inégalités vécues ou perçues par une partie des français, qui souhaitent accéder à une meilleure alimentation, plus saine, plus locale, plus responsable mais subissent une pression financière de plus en plus forte sur leur budget.La transition du modèle agro-alimentaire doit profiter à tous. C’est pourquoi il est fondamental de proposer une offre de qualité, responsable, et accessible au plus grand nombre et de définir des gammes de produits essentiels dont les prix seront maîtrisés. Les promotions sur les produits alimentaires doivent également intégrer des engagements en matière de soutien à la transition agricole et lutte contre la crise climatique. Cette quête du « bon pour tous » doit être complété par un effort de pédagogie, afin de sensibiliser les populations à la santé et à la nutrition. Il s’agit par exemple de rassurer sur la qualité des produits et des recettes et de développer l’étiquetage nutritionnel. Il est essentiel de donner aux consommateurs une information fiable et transparente, afin de les orienter dans la jungle des labels et des certifications. Les grandes marques, notamment, peuvent consacrer une partie de leurs ressources marketing pour promouvoir l’éducation en matière de santé et de nutrition. Il s’agit également d’encourager une évolution du régime alimentaire en diminuant la part de féculents et produits carnés dans l’assiette des français au profit des fruits et légumes, de capitaliser sur la volonté des français de consacrer plus de temps à cuisiner et de lutter contre la progression constante de l’obésité en France.Enfin, lutter contre les inégalités alimentaires, c’est ré-évaluer la digitalisation des pratiques et la place des métiers « essentiels ». Avant la crise, la tendance était à la digitalisation des pratiques, la robotisation, les caisses automatiques, la déshumanisation des commerces. Alors que cette crise sans précédent a rappelé le rôle essentiel des salariés « du quotidien » souvent peu valorisés, il sera important de conserver un esprit de solidarité dans les pratiques et les stratégies futures. L’entreprise digitale tournée vers l’agilité doit veiller à ne pas marginaliser des salariés pourtant en première ligne pendant la période de crise sanitaire.
Le moment est venu d’accélérer la transition du modèle français et européen en matière d’agro-alimentaire, pour bâtir une chaîne de valeur plus résiliente. La crise sanitaire a montré qu’il était urgent d’enclencher un plan de relance, capable à la fois d’imposer des modèles plus vertueux et de redonner aux pays européens leur souveraineté alimentaire. Cette démarche doit cependant être pensée de manière globale : pour éviter un repli territorial et lutter contre la précarité alimentaire, il est indispensable d’organiser la solidarité alimentaire en redistribuant les revenus et l’alimentation et en accompagnant les pays les plus importateurs vers davantage de résilience.