De la COP21 à la COP22 : après les ambitions, place à l’action !

La COP21 a permis de définir un objectif majeur : celui de contenir le réchauffement climatique sous la limite des deux degrés (voire moins) par rapport à l’ère préindustrielle. La déclinaison concrète de cet objectif global, dont la COP22 sera la première étape, est désormais un enjeu majeur pour les Etats mais également pour les entreprises. Pour fédérer les efforts de ces dernières, des projets se développent déjà ; c’est notamment le cas de l’initiative Science Based Targets, lancée par le CDP (Carbon Disclosure Project), le WRI (World Resources Institute), l’UNGC (UN Global Compact) et le WWF, et déjà rejointe par plus de 170 entreprises dans le monde. Même si l’aspect scientifique d’une telle initiative relève plutôt de l’affichage, elle permet de fédérer des entreprises et de les accompagner concrètement dans leur stratégie de lutte contre le changement climatique.

Concevoir et mettre en place une stratégie « deux degrés » à l’échelle d’une entreprise est loin d’être simple. Prix de l’énergie peu élevé, prix du carbone très faible sur le marché des quotas européens… le contexte économique est à première vue défavorable à ce type de politiques. Et pourtant ces stratégies sont pertinentes dès le court terme. Elles doivent permettre aux entreprises de rassurer investisseurs et actionnaires en montrant leur capacité à renouveler leurs business models – au moment où, en France, le décret d’application de la loi de transition énergétique portant sur le reporting des entreprises en matière de climat vient d’être publié.

Ces stratégies visent en effet à réduire l’impact global des émissions de gaz à effet de serre des entreprises et concernent donc à la fois :

  • leurs activités ;
  • les produits et services qu’elles mettent sur le marché ;
  • leur consommation de ressources, notamment d’énergie ;
  • leurs politiques d’innovation et de R&D ;
  • leurs investissements.

Elles ne peuvent réussir sans l’implication de leurs collaborateurs. Plus généralement, elles nécessitent dans bien des cas de repenser les relations avec l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise, et en conséquence la communication corporate de celle-ci.

Pour définir une stratégie « deux degrés » efficace, il convient dans un premier temps de se fixer des objectifs quantifiés, clairs et transparents. Des démarches internationales comme l’initiative Science Based Targets commencent à se développer pour aider les entreprises à cadrer et diriger leur action. Le principe de base de Science Based Targets est simple : les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) adoptés par les entreprises sont considérés comme « science based » s’ils sont en ligne avec le niveau de décarbonisation nécessaire pour limiter le réchauffement climatique à moins de deux degrés, par rapport aux températures de l’ère préindustrielle (comme décrit dans les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat – GIEC). Quelques critères simples sont fixés :

  • les objectifs doivent couvrir les émissions Scope 1 et Scope 2 de toute l’entreprise et doivent prendre en compte tous les gaz à effet de serre pertinents (tel qu’il est requis par le GHG Protocol Standard) ;
  • un objectif ambitieux et mesurable doit être fixé pour les émissions du Scope 3 quand celles-ci couvrent une part significative (supérieure à 40 % du total des émissions des Scopes 1, 2 et 3) des émissions totales de l’entreprise ;
  • les objectifs doivent avoir pour cible temporelle une année située entre 5 et 15 ans de la date de l’annonce de l’objectif ;
  • l’entreprise devra publier tous les ans l’inventaire de ses émissions de GES.

Ces critères obligatoires sont accompagnés de recommandations supplémentaires, notamment : fixer un objectif à long-terme (par exemple 2050), exprimer les objectifs en termes absolus et relatifs et analyser les émissions du Scope 3 avant de fixer les objectifs de réduction.

Sur ces bases très larges, les entreprises sont libres de choisir la méthode qu’elles préfèrent pour fixer leurs objectifs. Des cas d’étude ainsi qu’un exemple de méthodologie sont fournis par l’initiative. La méthodologie proposée, basée sur une déclinaison sectorielle de l’objectif global des deux degrés, est pertinente surtout pour quelques grands secteurs particulièrement émetteurs.

En laissant une grande liberté sur les méthodes, l’initiative Science Based Targets permet de réunir à la fois des entreprises qui se lancent dans l’exercice et des entreprises déjà engagées selon leur propre méthodologie. Certaines des entreprises les plus mises en avant dans le cadre de cette initiative avaient des objectifs déjà en place avant que celle-ci ne débute. Coca-Cola Enterprises, par exemple, s’était déjà fixé des objectifs ambitieux de réduction absolue de ses émissions de gaz à effet de serre dès 2011, plusieurs années avant la COP21. Ces objectifs empiriques, basés sur ce que Coca-Cola s’estimait capable de réaliser dans une démarche à fois ambitieuse et réaliste, ont été validés a posteriori comme pouvant être considérés comme science-based.

On aurait pu imaginer une dénomination de l’initiative plus directement en rapport avec l’objectif poursuivi (« two degrees targets ») ou l’autorité de référence (« climate-compatible targets » ou « GIEC targets »), la référence à la science laissant en effet penser que l’initiative est centrée sur la méthode alors qu’elle est avant tout une stratégie de mobilisation des acteurs économiques.

Même si elle peut donc être considérée comme plus politique que scientifique, l’initiative Science Based Targets repose sur trois caractéristiques clés, qui sont capitales, de façon générale, pour que l’application de l’Accord de Paris par les entreprises soit une réussite :

  • cohérence des objectifs spécifiques de chaque entreprise avec l’objectif global des deux degrés ;
  • engagement des entreprises, de manière ambitieuse et transparente ;
  • dynamique collective des entreprises regroupées au sein d’une même initiative.

C’est parce qu’elle sait lier science et politique, à l’instar de la démarche du GIEC, que l’initiative est pertinente et peut réussir à mobiliser les entreprises. Seules de telles logiques « sociotechniques » sont à même de permettre le succès de la transition énergétique tant les enjeux humains et comportementaux sont indissociablement liés aux enjeux scientifiques et techniques. On peut simplement regretter que, dans l’affichage de la démarche, cette dimension politique et sociétale soit gommée, comme si seule la science était en mesure de guider une action ambitieuse et de préparer l’avenir.

L’initiative Science Based Targets a donc le grand mérite de commencer à fixer un cadre pour les entreprises qui souhaitent s’inscrire, à leur échelle, dans une perspective compatible avec le respect des engagements internationaux en termes de changement climatique. Elle permet également créer une dynamique collective et émulatrice. Pour continuer et approfondir cet engagement des entreprises, un effort de rationalisation et de mise en cohérence de la fixation des objectifs et de leur suivi dans le temps sera cependant nécessaire dans les prochaines années, au sein de cette initiative ou bien dans d’autres cercles plus ou moins formels.

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