Destruction-créatrice pour les Français, Creative-destruction pour les Anglais : qui a raison ?

Destruction-créatrice disent les Français, en pensant à Josef Schumpeter. Il les inquiéte beaucoup en ayant annoncé, en son temps (Capitalisme, Socialisme et Démocratie,  1942), la fin de la démocratie et du capitalisme face au système soviétique. Creative Destruction est l’ordre anglais, l’adjectif avant le substantif ! Schumpeter est clair : Le Capitalisme se nourrit au changement économique. Il demande toujours le « grand vent » (Gale) de la Creative Destruction !

Ordre infortuné de la langue française, car ce n’est pas la Destruction qui est créatrice, mais la Création qui est destructrice. Détruire ne crée rien en soi : détruire les hypermarchés ne permet pas l’essor du commerce en ligne ! C’est l’essor du commerce en ligne, avec Internet et son omniprésence domestique, qui forcent les hypermarchés à changer, et certains à fermer. La « disruption », mot anglais capté en français, est la manifestation permanente des chocs que nous vivons, tant dans les chaînes de production que de distribution de  biens et services (banque, assurance…), avec ses effets sur l’organisation des entreprises, sur leurs valorisations et bien sûr l’emploi.

La destruction est celle du capital financier (la valeur des entreprises dépassées s’effondre), du capital industriel (l’obsolescence est bien plus rapide que l’amortissement), du capital immatériel (les organisations sont dépassées), du capital humain (les compétences et savoir-faire anciens sont en partie inutiles) et du capital social (les réseaux). La création en est l’exact symétrique, avec l’idée qu’elle est plus variée en intensité et en vitesse, et souvent plus détaillée.

Nous en sommes là, dans une vague unique de créations et de destructions : les organisations, les carrières, les salaires sont en jeu, comme les savoirs antérieurs. Il faut donc continuer de créer, donc de détruire, pas le choix, pour trouver les réponses. Mais nous ne sommes plus dans le monde de Schumpeter, où la démocratie ne résisterait pas face à l’URSS, et moins encore dans celui de Marx, où « les gains des uns sont les pertes des autres ». Les gains sont plus rapidement obtenus que jamais, sur une base mondiale. Ils sont énormes, très concentrés, souvent hors impôts. En face, les pertes sont partout, croissantes, souvent au-delà des gains. Les déficits et les dettes, publics et privés, font la différence, à payer plus tard. Sans réactions, les instabilités sociales ne font que monter.

En face, il faut donc encourager la création… pour la stabilisation ! La base en est la formation permanente et la discussion dans l’entreprise, la défense de la part de marché par la qualité des prestations et la force de réseaux d’achat-production-vente. Rien n’est pérenne et les avantages ne sont pas « acquis » s’ils ne sont pas efficaces dans la durée, donc non légitimes.

Rien n’est donc évident. On comprend le risque URSS du plan, contre le marché, ou son avatar chinois de la « stabilité », contre la démocratie. L’URSS a, en son temps, échoué contre le marché. Le Plan ne peut gérer la variété des demandes qui vient de la création de produits différents (et qui est une manifestation de la liberté). La Chine se trouve à faire face, désormais, à une phase de créations continues, avec la révolution de l’information en cours, alors qu’elle entend maintenir un système de parti unique. Elle veut troquer démocratie contre stabilité. Elle peut réussir encore, grâce à la taille de son marché intérieur qui lui permet un important développement régulier. Face aux GAFA américains (Google, Amazon, Facebook, Apple), elle va développer ses BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi). Et ce n’est pas fini, elle développera ses supercalculateurs, ses voitures autonomes, villes nouvelles, nouvelles énergies, tout simplement parce qu’elle a des besoins de rattrapage autrement plus importants que les Etats-Unis. La question qui se pose est de sa capacité à contenir les destructions qu’amènent toutes ces créations. Qu’en pensent les Chinois ?

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Fondateur de Betbeze Conseil SAS, Professeur de Faculté en Sciences économiques, Jean-Paul Betbeze a été Chef Economiste du Crédit Lyonnais en 1989 puis du Crédit Agricole (et membre de son Comité exécutif) jusqu’en 2013. Ancien membre du Conseil d’analyse économique auprès du Premier ministre et de la Commission Economique de la Nation, il est membre du Cercle des économistes et Président du Comité scientifique de la Fondation Robert Schumann. Auteur de nombreux ouvrages et rapports, il a rejoint le cabinet en avril 2013 en tant qu’Economic Advisor pour apporter son regard d’expert en analyse économique, conjoncturelle et financière.

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