Droits de l’homme et entreprises : la mesure de la performance est-elle prématurée ?

Depuis l’adoption des Principes Directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme (PDNU) en 2011, et leur prise en compte au sein d’un nombre croissant de normes et de standards volontaires, le respect des droits de l’homme est devenu un enjeu incontournable en matière de RSE[1]. Cette évolution conduit le milieu des affaires à définir des indicateurs de performance (ou KPIs, Key Performance Indicators) – Saint Graal de la gestion d’entreprise – afin d’évaluer et de communiquer les résultats de ses actions dans ce domaine.

Mettre en place des systèmes de management avant de se précipiter sur les indicateurs

Définir des paramètres statistiques fiables sur un sujet aussi qualitatif et contextuel s’avère néanmoins difficile. D’après une étude que nous avons menée en février 2015, si 85 % des grandes entreprises européennes utilisent les critères proposés par la Global Reporting Initiative (GRI) en matière de droits de l’homme, très peu d’entre elles construisent et suivent des indicateurs « maison » pour mesurer l’efficacité de leur approche (ou uniquement sur un enjeu spécifique ou un périmètre limité).

Au-delà de la complexité de conduire un exercice d’évaluation d’impact social à l’échelle d’une multinationale, il se peut par ailleurs qu’il soit encore trop tôt pour définir des KPIs. Les entreprises n’en sont en effet qu’au début de leur approche en matière de droits de l’homme, et les programmes mis en œuvre sont pour la plupart expérimentaux. Si ces derniers ne sont pas encore suffisamment structurés pour être ne serait-ce que duplicables, la quantification de la performance peut-elle vraiment être perçue comme la prochaine étape ?

La mise en place d’une « diligence raisonnable » (due diligence), point clé des PDNU, apparait en revanche comme une exigence croissante de la part des investisseurs, standards volontaires ou encore instances de régulation. Il s’agit d’une évolution notable des attentes en matière de reporting extra-financier, y compris dans des pays où la pratique est déjà encadrée par la loi. En France, les entreprises cotées sont légalement tenues de publier des informations sur 42 thématiques spécifiques de RSE, dont les droits de l’homme, dans leur rapport annuel – mais la nature des informations à publier est laissée à leur appréciation. Or les systèmes mis en place par les entreprises pour identifier et contrôler leurs impacts sur les droits de l’homme à chaque étape de leur chaîne de valeur va devenir un point de vigilance de plus en plus important.

Prendre le temps de la conduite du changement

Parallèlement au déploiement de processus robustes de due diligence, l’évolution des perceptions et des comportements en interne est une étape clé, et souvent négligée. Les droits de l’homme sont un sujet encore relativement nouveau et peu intuitif pour la plupart des managers ; or ces derniers doivent être en mesure d’évaluer de façon autonome les risques qui surviennent dans leurs domaines fonctionnels ou opérationnels. A cet égard, les droits de l’homme sont à considérer comme un enjeu de conduite du changement.

Deloitte a récemment accompagné le groupe pharmaceutique Sanofi sur la définition de sa stratégie 2015-2017 en matière de respect des droits de l’homme. Engagé depuis 10 ans dans une démarche ambitieuse pour intégrer les droits de l’homme tant au niveau corporate qu’au niveau local, confronté à un foisonnement de standards et d’exigences, le Groupe souhaitait faire le point avant d’identifier les actions prioritaires à mettre en œuvre. Deloitte a commencé par conduire une analyse d’écart entre les actions précédemment engagées par Sanofi et les critères d’une due diligence tels qu’établis par les PDNU. Des objectifs opérationnels adaptés au contexte de Sanofi ont ensuite été identifiés pour chaque étape clé d’une due diligence, depuis l’engagement politique jusqu’à la remontée des plaintes. Les recommandations de Deloitte ont enfin été transposées dans un outil  dédié, le Human Rights Maturity Model, afin d’aider la Direction RSE dans le pilotage et le renforcement de sa démarche en matière de droits de l’homme.

Les employés doivent se voir accorder le temps nécessaire à l’assimilation et à l’adoption de nouvelles pratiques. Sécuriser des courbes d’apprentissage et d’expérience adaptées à la culture organisationnelle de l’entreprise est indispensable pour faire évoluer durablement les comportements en interne.

Communiquer sur la démarche de progrès – même si elle paraît lente

Le chemin à parcourir peut être long avant qu’une culture d’entreprise soit à même de garantir la prise en compte des droits de l’homme dans l’organisation. Pourtant, l’entreprise doit fournir une information continue et actualisée sur les efforts accomplis.

Notre expérience acquise auprès des entreprises nous a montré que ces dernières préfèrent souvent attendre de premiers résultats avant de communiquer sur leurs actions. Cette réserve est compréhensible – ne serait-ce que par crainte du « social washing ». Il est pourtant recommandé de surmonter cette appréhension. Les parties prenantes sont plus conscientes qu’on ne le croit de la complexité pour les entreprises de gérer leurs impacts sur les droits de l’homme. S’il est vrai qu’à long terme, elles évalueront les résultats obtenus, aujourd’hui elles attendent encore surtout des entreprises qu’elles se donnent une obligation de moyens, et qu’elles communiquent avec transparence.

Dans ce contexte, décrire les efforts engagés pour renforcer la capacité de l’entreprise à conduire une due diligence robuste s’avère être une stratégie de communication externe efficace. Cela démontre qu’à défaut de disposer d’une batterie d’indicateurs, l’entreprise agit néanmoins concrètement pour mettre ses engagements en pratique. La description des difficultés ou obstacles rencontrés dans le processus est également de mise – pour générer de la confiance, mais également des opportunités de dialogue avec des tierces parties pouvant mener à l’identification de solutions. Un descriptif précis et factuel de l’existant, ou un indicateur de déploiement inscrit dans une feuille de route opérationnelle structurée, peuvent être avoir plus de valeur ajoutée qu’un KPI construit à la hâte, pour l’entreprise comme pour ses parties prenantes.

[1] Responsabilité Sociale de l’Entreprise.

 

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