DSP2, Open Banking : quelles perspectives pour les activités de crédit ?

Article co-écrit avec Hervé Phaure, Associé Risk Advisory, Eric Levé, Directeur Risk Advisory, Marine Bauchère, consultante senior FSI, Ghislain Boulnois, senior manager FSI et Alice Georget, senior manager FSI.

Le déploiement du volet technique de la DSP2 était attendu pour septembre 2019. Ce volet concerne la mise en œuvre des Regulatory Technical Standards (RTS) sur les API ou l’accès direct pour les Third Party Provider (TPP) et la mise en œuvre de l’authentification forte. La Banque de France a cependant acté une mise en application progressive de ces deux sujets sur 2020. A date, les TPP sont encore en cours d’intégration des API déployées par les grandes banques françaises. Les banques déploient progressivement leurs dispositifs d’authentification forte sur la consultation des comptes depuis la banque en ligne, l’initiation de virement, et les paiements par carte bancaire.

Quelles opportunités représente la DSP2 pour les activités de crédit ? Et comment les institutions financières peuvent-elles dès maintenant faire évoluer leur business modèle pour entrer dans l’ère de l’Open Banking ?

La DSP2, de quoi s’agit-il ?                                                                                                                  Entrée en vigueur le 13 janvier 2018, la DSP2 régule les nouveaux acteurs du paiement. Son objectif : mieux protéger les clients dans un contexte de cyber criminalité accrue, où les fraudes et usurpations d’identité se multiplient, et favoriser l’innovation, la concurrence et l’efficience du marché. A noter que cette directive ne porte que sur les comptes de paiement (les comptes épargne ne sont pas concernés).                                                                                                                                      La DSP2 porte sur 3 sujets majeurs : communication sécurisée entre les banques et les TPP ; authentification forte pour la consultation des comptes et opérations engageantes ; renforcement des droits des consommateurs.

Les opportunités de la DSP2 pour le crédit

Les opportunités liées à la DSP2 affectent l’ensemble de la chaîne de valeur du crédit.

Pré-acceptation :

Lors de la pré-acceptation, les algorithmes de scoring du risque client pourront être enrichis des données de paiement ouvertes par la DSP2, accessible via des API dédiées. L’utilisation de ces API facilite et sécurise l’accès à ces données pour la banque et simplifie le parcours client (il donne son consentement pour la collecte et l’exploitation de ses données au lieu de scanner des documents justificatifs de ses revenus / dépenses / autres crédits en cours)

L’environnement bancaire français se caractérise notamment par l’absence de « Crédits Bureaux » tels qu’ils peuvent exister dans les autres pays Européens. Dans ce cadre, l’arrivée de données de comptes agrégées constitue une réelle opportunité pour les établissements financiers de renforcer leurs dispositifs d’évaluation des crédits en s’appuyant sur des données détaillées, certifiées et directement interprétables.

Le recours étendu à des données de paiement sur la base du consentement du client final réduira les écarts en matière de capacité à appréhender le risque entre les établissements financiers. Les spécialistes financiers (consommation, automobile, équipement finance) de petite taille ou nouveaux entrants sur le marché pourront bénéficier d’un socle de données élargi face aux acteurs leaders et banque de détail. Nous pouvons donc anticiper une modification des rapports de force et positions concurrentielles entre les acteurs du crédit.

De manière générale, la capacité étendue à appréhender le risque client permettra :

  • Une meilleure appréciation du risque crédit (modèles prédictifs plus performants, utilisation de données de comportement plus fine)
  • Un accès au crédit étendu pour les demandeurs de financement et une capacité d’adresser des segments de population élargis ou nouveaux pour les banques et établissements financiers.

Octroi :

A l’octroi et dès la pré-acceptation, l’utilisation de ces données sur des nouveaux clients permettra de disposer d’une vision en risque ab-initio, en attendant qu’un comportement de compte spécifique aux nouveaux encours soit disponible, généralement après 3 à 6 mois d’existence. C’est en particulier l’occasion de disposer de notes et d’estimateurs de probabilité de défaut (PD) différenciant et prédictifs dès l’engagement et permettant de supporter une structure de délégation et de tarification plus différenciante qui renforcera également la robustesse du provisionnement IFRS 9 et des règles de staging en particulier. L’appréhension plus directe des caractéristiques et potentiels des emprunteurs va également dans le sens de l’orientation actuelle du marché vers des pratiques d’ « instant lending » supportées par des dispositifs systématiques réduisant le nombre d’information demandées aux clients avant l’engagement.

Vie du crédit :

L’analyse des données de paiement en cours de vie permettra de renforcer la capacité des établissements à identifier des changements structurels pour le profil des emprunteurs, et pouvant non seulement matérialiser des impacts au niveau du profil de risque, mais aussi mettre en évidence des opportunités d’accompagnement financier anticipé et adaptées à des usages en évolution.

Gestion des incidents :

L’analyse précoce des incidents de paiement pourra être enrichie par des indicateurs basés sur une évolution de profil de paiement permettant de caractériser une situation à risque et d’orienter le mode de gestion dans le cadre des process de NPL management.

Orientation, recouvrement et valorisation des NPL[1] :

Après détection d’un défaut caractérisé, l’orientation vers différents processus de recouvrement en fonction des profils emprunteur permettra d’une part d’optimiser l’allocation des dossiers vers les différentes équipes de gestion des NPL, mais également de construire des scores de recouvrement et des estimateurs de pertes attendues de type LGD beaucoup plus précis, avant même une première entrée en relation directe.

Enfin, dans le cadre d’opérations de cessions de créances, la caractérisation des profils d’emprunteurs grâce à ces nouvelles données autorisera un compartimentage plus homogène des créances pour le cédant, et une analyse plus précise des potentiels de récupération pour les acheteurs potentiels et donc une lisibilité des prix accrue.

Quel passage à l’action pour les institutions financières ?

Décider de sa stratégie Open Banking :

Les banques doivent engager une réflexion structurante sur leur stratégie d’open banking, autour de 2 modèles (potentiellement complémentaires) :

  • « bank as a plateforme » ou modèle dit « distributeur » : la banque propose ses propres services mais aussi des services de tiers via ses propres réseaux de distribution (physique et digital)
  • « bank as a service » ou modèle dit « producteur » : la banque met à disposition d’autres acteurs (financiers ou non) ses services et ses usines de traitement

Cette logique fragmentera la chaine de valeur du crédit : la banque créera sur certains maillons des centres d’excellences technologiques qu’elle commercialisera en B2B pour générer de nouvelles sources de revenus ; à l’inverse d’autres maillons seront en partie ou entièrement externalisés.

Amorcer la transition technologique :

Face à l’arrivée de la concurrence des BigTechs (Amazon a d’ailleurs déjà investi dans différentes solutions de crédit, ex. LendUp, OnDeck…), la capacité à « augmenter » chaque maillon de la chaine de valeur du crédit par des technologies deviendra un axe concurrentiel clé pour les institutions financières. Pour conserver leur place, les banques devront mener un virage technologique, à l’image de l’assureur chinois Ping An, qui a décidé 2007 de devenir avant tout une plateforme technologique proposant à des tiers des modules techniques de middle et back office assurantiel.

Dans un premier temps, les banques pourront s’appuyer sur les agrégateurs de comptes qu’elles ont commencé à déployer ces dernières années, en réponse aux solutions des fintechs.

Refondre les parcours client :

Les institutions financières devront enfin adresser le volet de l’expérience client (fluidité des parcours digitaux, de l’intégration de l’authentification forte pour accéder aux données des comptes de paiement des autres banques). Les méthodologies de type « design de service » permettront d’accélérer la refonte des parcours client en s’interrogeant sur les irritants actuels clients afin de construire les nouveau parcours cible.

 

[1] Non Performing Loans

Julien Maldonato est Associé Conseil Industrie Financière, expert des sujets d’innovation et de transformation digitale. Il accompagne les Banques, Assurances et Fintech dans le pilotage de projets complexes : création d’activités, lancement d’offres, refonte de modèles de distribution, digitalisation et socialisation de processus. Il est spécialisé dans le digital et technologies de ruptures appliqués aux services financiers : Intelligence Artificielle, Blockchain, objets connectés.

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