Entreprises : et si la solidarité restait ?

Article co-écrit avec Cyrielle Sénéchal-Chevallier, Manager Innovation Sociale

L’isolement de nombreuses personnes âgées, l’impact de la fracture numérique sur l’égalité des chances à l’école, les conditions de travail difficiles et les bas revenus de certaines professions, les violences conjugales, le mal-logement ou encore l’inégal accès aux soins sont autant de problématiques sociales structurantes mises en exergue par la période de confinement que le monde vient de vivre.

La crise sanitaire, si particulière par sa dimension universelle, a déclenché de nouveaux élans de solidarité, venus de particuliers, d’entreprises, d’associations ou encore d’acteurs publics. En complément de l’intervention des pouvoirs publics et de la société civile, des entreprises se sont adaptées rapidement pour proposer des solutions face à l’urgence, en mobilisant leurs ressources humaines et financières, leurs outils de production, et leurs capacités de recherche et d’innovation.

Elles ont adopté des démarches partenariales et ont pour certaines laissé de côté des logiques compétitives pour partager des connaissances utiles à la fabrication de produits indispensables à la protection des populations.

La contribution des entreprises s’est appuyée sur quatre principaux leviers de transformation, auxquels beaucoup avaient déjà eu recours par le passé, et qui pourraient agir sur le long terme en faveur de la réduction des inégalités sociales.

Innover pour fournir des produits et services accessibles aux plus fragiles

Plusieurs entreprises ont transformé une partie de leur chaîne de production pour fabriquer des produits et des équipements nécessaires face aux défis sanitaires soudains : du gel hydroalcoolique a été produit par l’industrie cosmétique, des masques et des blouses par l’industrie textile, ou encore des respirateurs par des constructeurs automobiles. Plusieurs banques telles que le Crédit Agricole ou BNP Paribas ont quant à elles proposé le report de remboursement de crédit pour certains clients particuliers ou professionnels fragilisés par la crise.

Des entreprises ont ainsi démontré leur capacité à transformer leurs modes opératoires face à l’urgence. Si elles ont concédé des pertes de revenus dans un contexte de crise, elles doivent nécessairement viser sur le long terme des solutions qui allient visée sociale et viabilité économique pour envisager de les passer à l’échelle. Cela s’inscrit dans la continuité de démarches d’entreprises pionnières au cours des dernières décennies, qui ont inventé des modèles économiques innovants et pérennes permettant de développer de nouveaux produits ou services pour adresser des clients vulnérables : dispositifs de micro-crédit et micro-assurance développés par de nombreux acteurs de la bancassurance, réparation de véhicules à prix coûtant par Renault, micro-réseaux de distribution dans des pays en développement pour la commercialisation de lampes solaires par Schneider Electric, de matériaux de construction par Lafarge ou encore des produits alimentaires par Danone…

Et si les entreprises renforçaient l’innovation sociale au service des populations vulnérables…

  • en adressant des problématiques sociales, en cohérence avec leur cœur de métier, pour accompagner des clients confrontés aux fractures sociales ou territoriales, aux situations de handicap ou de dépendance,
  • en mettant en place des dispositifs d’intrapreneuriat ou en constituant des équipes dédiées pour inventer de nouvelles façons de produire et distribuer des biens ou services accessibles au plus grand nombre,
  • en co-construisant de nouvelles offres avec des associations, des entrepreneurs sociaux, des acteurs publics ou des prescripteurs sociaux ?

Ancrer le facteur humain dans ses démarches, pour tous les maillons de sa chaîne de valeur

Dans le contexte de la crise, les entreprises ont été jugées en fonction des démarches qu’elles ont mises en place pour protéger leurs salariés exposés au virus ou à des vulnérabilités financières.

Chanel a par exemple maintenu les rémunérations de ses salariés malgré un ralentissement d’activité, et Walmart a déployé une politique de congé d’urgence pour ceux qui étaient atteints par le Covid-19.

Dans une approche plus large de leur chaîne de valeur, alors que des entreprises de l’industrie textile ont été critiquées pour avoir suspendu des commandes et refusé de payer des articles confectionnés par leurs fabricants, d’autres ont mis en place des dispositifs destinés à soutenir leurs fournisseurs et prestataires confrontés à des problèmes de trésorerie, à l’instar de L’Oréal ou Samsung. Dans le secteur spécifique de la grande distribution, la logistique en circuits courts s’est développée, à la faveur de la production locale.

Cette prise en compte du facteur humain, tant en interne que dans les relations avec leurs fournisseurs, s’inscrit dans des approches de long terme pour les entreprises, à travers des politiques de lutte contre les violations des droits de l’homme et les discriminations de toute nature, l’accompagnement de salariés face aux difficultés rencontrées dans les sphères professionnelle et personnelle, ou encore la contractualisation avec des fournisseurs engagés comme les structures d’insertion par l’activité économique ou les entreprises adaptées. Pour sa chaîne d’approvisionnement, Nestlé a ainsi mis en place une politique d’achats responsables intégrant le respect des droits de l’homme, qui s’appuie sur des standards et le suivi d’indicateurs.

Et si les entreprises renforçaient la solidarité sur toute leur chaîne de valeur…

  • en structurant leurs dispositifs de prévention et de protection, pour assister leurs salariés face aux risques sociaux, comme la pénibilité au travail, la précarité, la maladie ou la dépendance d’un proche,
  • en appliquant une tolérance zéro contre les atteintes aux droits de l’homme et les discriminations, tout au long de leur chaîne de valeur,
  • en soutenant la production locale à travers des stratégies d’approvisionnement repensées?

Développer les dons financiers, en nature ou en mécénat de compétences, et les mettre en cohérence avec leur stratégie d’entreprise

De nombreuses entreprises ont renforcé leurs démarches philanthropiques sous forme de donations financières au cours des derniers mois, pour venir en aide à des associations, des organisations internationales ou des établissements de santé. Certaines comme Orange ont créé des fonds spécifiquement dédiés à la crise actuelle.

Les dons en nature se sont quant à eux matérialisés par exemple par la distribution de tablettes par Boulanger pour des patients hospitalisés et des personnes résidant en EHPAD, de recharges téléphoniques prépayées par SFR pour des personnes en grande précarité, ou de mobilier par Maisons du monde pour des lieux d’hébergement destinés à des femmes victimes des violences conjugales. IBM a par ailleurs mis des supercalculateurs à la disposition des chercheurs tandis qu’Accor a accueilli des soignants et des personnes sans domicile fixe dans ses chambres d’hôtels.

Les entreprises ont également mobilisé leurs collaborateurs à distance ou sur le terrain, en organisant leurs propres actions de solidarité, ou en relayant les initiatives proposées sur des plateformes en ligne qui ont connu une explosion des inscriptions au cours du confinement.

Ces actions conjoncturelles font écho à l’accélération récente des démarches mises en place par les entreprises pour mobiliser leurs salariés dans des initiatives sociétales, et ainsi répondre en partie à leur recherche de sens. Les entreprises se sont également engagées de façon croissante en faveur d’actions sociétales directement connectées à leur secteur d’activité : implication des constructeurs automobiles sur la mobilité durable, initiatives d’EDF et Rexel contre la précarité énergétique, collaboration de plusieurs marques de luxes dont Hermès, Repetto et J.M. Weston pour former des demandeurs d’emploi aux métiers du cuir, soutien aux associations d’aide alimentaire par des acteurs de la grande distribution comme Carrefour ou le groupe Casino…

Et si les entreprises renforçaient leurs initiatives sociétales, vers une philanthropie stratégique connectée à leur cœur de métier…

  • en liant davantage leur positionnement philanthropique et leur stratégie d’entreprise, pour accroître leur impact social et renforcer leur résilience,
  • en consacrant une partie de leurs bénéfices à des actions de solidarité ciblées, l’accès des personnes défavorisées à leurs produits et services, notamment en planifiant davantage leur gestion des invendus,
  • en encourageant leurs salariés à venir en aide à des personnes vulnérables sur leur temps de travail à hauteur de quelques jours par an ?

Oser porter l’engagement sociétal au plus haut niveau de l’entreprise

Plusieurs dirigeants d’entreprises se sont engagés pendant la crise, à travers des réductions de leurs salaires à l’image du PDG de Saint-Gobain, des déclarations individuelles et des tribunes collectives pour exprimer leurs engagements pour un monde plus inclusif.

Au-delà de la portée symbolique et du caractère d’exemplarité de certaines actions, l’impulsion des dirigeants œuvre pour une déclinaison des engagements en cascade dans leurs organisations, et contribue à une logique collective favorable au plaidoyer et à l’innovation.

Certaines alliances inter-entreprises créées au cours des dernières années ont renforcé leur dynamique collective en portant des ambitions communes face à la crise comme les coalitions Business for Inclusive Growth (B4IG) et « 10% pour tout changer ».

Et si les entreprises changeaient la norme pour une visée sociale systématique…

  • en se fédérant davantage pour maximiser leur impact social collectif, à travers des alliances sectorielles ou trans-sectorielles,
  • en rendant des comptes avec une nouvelle approche de la performance, impliquant la mesure de leurs impacts sociaux et environnementaux,
  • en déclinant des objectifs de performance sociale dans leurs différentes entités, aux différents niveaux hiérarchiques ?

Vers une nouvelle mission pour les entreprises ?

Les entreprises devront continuer à jouer un rôle solidaire renforcé, face à des finances publiques trop contraintes pour adresser l’ensemble des défis sociaux structurants qui touchent les pays les plus pauvres mais aussi les pays dits développés. Car si la crise sanitaire a été un accélérateur d’innovation sociale dans un contexte où le coronavirus tue, il n’en reste pas moins que de nombreuses autres maladies tuent, tout comme la faim, le sans-abrisme, les entorses aux droits de l’homme sur les chaînes de production ou les violences conjugales. Et d’autres marqueurs d’inégalités de revenus et d’opportunités fragilisent la cohésion sociale.

Les entreprises ont aujourd’hui l’opportunité d’agir pour :

  • répondre aux attentes sociétales croissantes de leurs clients, de leurs financeurs, de leurs employés, et des écosystèmes locaux au sein desquels elles opèrent ;
  • explorer de nouveaux marchés, en rendant leurs produits et services plus largement accessibles ;
  • devenir finalement des entreprises citoyennes, associant performances économique, sociale et également environnementale, pour une solidarité qui s’exprime aussi à l’égard des générations futures.

Ywan accompagne, dans une perspective exigeante et créative, la transformation des organisations, des territoires et des filières vers des modèles de développement durable plus respectueux de l’environnement et des hommes. Il s’est spécialisé au fil des missions dans la transformation des modèles agricoles et agroalimentaires mais ses 15 années d’expérience de la RSE lui confèrent une expertise multisectorielle.

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