L’euro repart à la conquête d’un statut de monnaie internationale

Le cas de l’Iran a frappé les esprits. Donald Trump dénonce l’accord sur le nucléaire conclu avec Téhéran par les Etats-Unis, la Russie et l’Europe et il rétablit un embargo. Les entreprises européennes sont poussées par leur gouvernement à désobéir et à continuer à commercer avec l’Iran ? mais elles doivent toutes renoncer. Le risque pris à cause de l’extraterritorialité du droit américain est trop gros. Et l’utilisation du dollar suffit à pouvoir les renvoyer devant la justice américaine. Que faire ?
Bruxelles a imaginé un mécanisme de troc qui contourne l’utilisation du dollar. On verra si le dispositif marche. Mais la réponse de long terme est évidemment de faire de l’euro une monnaie de paiement international et de permettre de se passer du billet vert. Du coup, la réflexion a été relancée sur l’internationalisation de l’euro, sa faisabilité, les coûts et les avantages.
En général, les raisonnements politiques sont favorables à l’utilisation de la monnaie comme outil de puissance mais les économistes y voient une perte d’autonomie de la politique monétaire. Une monnaie plus largement utilisée est sujette à plus de chocs venus de l’extérieur, en premier lieu par la force des mouvements de capitaux. Dans une remarquable analyse, prononcée le 15 février au Conseil des affaires étrangères à NewYork, Benoît Coeuré, membre du conseil exécutif de la Banque Centrale Européenne, se déclare plutôt favorable à une internationalisation de l’euro. Il réconcilie les discours politiques, comme celui d’Emmanuel Macron, en faveur d’une « souveraineté européenne » aiguisés par l’affaire d’Iran et les principes monétaires d’une saine gestion de l’euro.
D’abord, note Benoît Coeuré, le rôle de l’euro comme monnaie de substitution au dollar était l’un des motifs de son adoption. L’euro n’était pas seulement un outil pour compléter le Marché Unique mais aussi une arme contre l’hégémonie du dollar, doté du « privilège exorbitant » d’être « notre monnaie et votre problème », selon la réponse célèbre du secrétaire au Trésor John Connally faite aux Européens inquiets du flottement unilatéral décidé par Richard Nixon en 1971. En 1999, lors du lancement de l’euro, le but était aussi international. Pourtant, dès 2002, le rôle de l’euro comme monnaie internationale faiblit. Sa part, de 24% à sa naissance, montée à 27% en 2002, tombe ensuite régulièrement, à moins de 22% aujourd’hui. Comme monnaie de réserve, l’euro, avec une part de 20%, n’a jamais sérieusement remis en cause l’hégémonie du dollar (65%).
La souveraineté européenne s’appuie sur la démographie, la taille de l’économie ou la défense, mais passe-t-elle aussi par une monnaie avec un statut « global » ? Le basculement du monde d’un univers coopératif à celui des confrontations (entre la Chine et les Etats-Unis) donne la réponse. La Chine a ouvert la voie d’une internationalisation du Renminbi, Pékin vient de créer un petroyuan pour régler un premier contrat pétrolier. Le FMI, de son côté, a intégré la monnaie chinoise dans la détermination des DTS (Droits de tirages spéciaux, la monnaie mondiale si l’on veut).
Pour la BCE, l’utilisation de l’euro sur la scène mondiale continue de ne pas être dans son mandat, c’est une affaire de marché. Mais Benoît Coeuré note que si l’euro a vu sa place s’amoindrir, c’est à cause de trois facteurs : l’instabilité créée par la crise grecque, l’inachèvement d’un marché européen de capitaux profond et ouvert et, enfin, l’absence d’un porte-parole qui donne une voie unique sur la scène internationale, comparable à celle du gouvernement américain pour le dollar et à celle de Pékin pour le Renminbi.
Répondre à ces faiblesses apporte un bénéfice double. Permettre de donner un rôle accru à l’euro mais, surtout, aux yeux de la BCE, forcer à consolider la zone euro. Le but extérieur serait en somme bon pour l’intérieur.
Dans la balance des plus et des moins, la BCE ajoute que l’internationalisation amoindrirait l’inflation importée, l’une des tâches de Francfort, et attirerait plus de capitaux. L’autonomie de ses décisions monétaires serait plus étroite mais la transmission de la politique monétaire serait favorisée. Au total, on l’a compris, Benoît Coeuré vote pour.
Le débat n’est pas clos. Il est probable que des économistes allemands viendront contester ces vues « françaises ». Mais l’entrée dans l’ère des confrontations, basculement historique, apporte la conclusion : l’internationalisation de l’euro est relancée.

Editorialiste au journal Les Echos et à L’Opinion, Eric Le Boucher est co-fondateur du magazine en ligne Slate.fr. Il a travaillé au Monde de 1983 à 2011. Il a été membre de la Commission pour la libération de la croissance française dite « Commission Attali ». Il est également membre puis président du Codice, Conseil pour la Diffusion de la Culture Economique. Il est membre du conseil scientifique du CEPII (Centre d’études prospectives et d’informations internationales). Il est l’auteur de « Mémoires volées » (Ramsay,1979), « Economiquement incorrect » (Grasset, 2005), «Les saboteurs » (Plon 2014).

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