Article co-écrit avec Bérénice Harfouf Ponthus, Senior Manager Transformation RH et Expérience Employé, Deloitte Conseil

Dès 1999, deux diplômés de Harvard et experts en stratégie, Joseph Pine et James Gilmore [1] ont théorisé le concept d’expérience et prédit le passage d’une économie des biens de grande consommation vers une économie d’expérience. Il s’agit là d’un changement de paradigme fort puisque l’on passe d’un modèle où l’entreprise impose son produit sur le marché et les consommateurs doivent s’en satisfaire et à une entreprise qui construit son offre (produit et service) autour des besoins des consommateurs. Pratiqué depuis le début des années 2000, le concept d’expérience client est apparu comme la clé du succès pour des Apple, Amazon, Airbnb, IBM, Starbucks, Uber, etc. qui ont su se différentier en repensant leur approche et créant une valeur nouvelle pour le client. Alors pourquoi la théorie de l’expérience n’est-elle pas plus souvent appliquée par les directions RH vis-à-vis de leurs employés, que l’on peut considérer comme les premiers clients de l’entreprise ? La fonction RH ne doit-elle pas elle aussi se démarquer pour attirer et fidéliser les talents ? S’adapter rapidement aux transformations externes, comme le digital, les attentes des millénials ou encore les nouveaux modes de travail ?

Qu’est-ce que l’expérience employé ?

La notion d’expérience employé fait écho à celle d’expérience client, qui renvoie aux émotions ressenties par un client avant, pendant et après l’achat d’un produit ou d’un service. Elle est le résultat des interactions qu’un client peut avoir avec une entreprise ou une marque. L’expérience employé, elle, est constituée de l’ensemble des interactions qu’un employé (au sens le plus large du terme, les individus composant la force de travail) peut avoir avec une entreprise au cours de son parcours, que ce soit en tant que candidat, salarié, alumni ou retraité.

Vos employés sont vos premiers clients 

« Vous ne pouvez pas vous attendre à ce que vos employés dépassent les attentes de leurs clients si, au préalable, le management ne dépasse pas les attentes de ses employés. » Howard Schultz, créateur et CEO de Starbucks, un des leaders de l’expérience client et de l’expérience employé.

Le parcours employé est ponctué de moments forts propres à chaque entreprise, comme le recrutement et l’intégration, la prise de poste et l’exécution de ses activités, l’évaluation de la performance et la reconnaissance, la formation et la mobilité (interne ou externe). Pour être réussie, l’expérience se doit d’être simple, agréable, satisfaisante et mémorable.

Les bénéfices d’une telle approche sont nombreux : les employés se sentent écoutés et considérés, ils perçoivent le sens de leurs actions et partagent les objectifs de l’entreprise. Le triptyque attractivité, engagement, rétention se révèle bien meilleur et impacte positivement la performance globale de l’entreprise. Ainsi, il existe une corrélation directe entre qualité de l’expérience employé et qualité de l’expérience client, et, selon Gartner, une augmentation de 2 % du taux de satisfaction des employés entraîne une amélioration de 1 % de la satisfaction des clients [2].

Les trois dimensions de l’expérience employé

80% des personnes interrogées au cours de notre étude Tendances RH 2017 indiquent que l’expérience employé est un sujet prioritaire mais seulement 22% en ont mis en œuvre les principes au sein de leur entité. Pour construire cette expérience employé, il est possible d’agir sur trois dimensions.

La première, et la plus visible, est l’environnement de travail, qui comprend les espaces de travail physiques, les outils (PC, portables, portails, applications…), mais aussi les possibilités de travailler de chez soi ou depuis des tiers lieux.

La seconde dimension est celle des relations humaines. Elle consiste à agir sur la culture et les valeurs de l’entreprise, les modes de management, le rapport à la hiérarchie, la communication vers et entre les employés.

Enfin, la troisième dimension est celle de l’organisation ; elle consiste à se plonger dans les processus et rôles pour qu’ils apportent de la valeur et du sens aux employés et managers.

On perçoit ici la notion de transversalité, indispensable à la création d’une expérience. En effet, travailler sur ces dimensions nécessite une collaboration de la RH avec d’autres services de l’entreprise (informatique, moyens généraux, achats, communication…). De plus, selon la segmentation de sa force de travail, le poids et la richesse de ces dimensions peuvent varier. Par exemple, une expérience réussie pour des populations de commerciaux ne fera pas appel aux mêmes leviers qu’une expérience pour conçue pour des populations sédentaires.

Le secret ? Positionner l’employé au cœur des processus RH

De nombreux exemples existent pour illustrer ces trois dimensions : Google qui met à disposition de ses salariés des services du quotidien dans ses locaux (pressing, coiffeur, lavage de voiture…), Danone qui propose des séances régulières de discussion avec l’équipe dirigeante ou bien L’Oréal qui digitalise son processus d’intégration.

Mais le secret d’une expérience employé réussie n’est pas dans le benchmark des bonnes pratiques, il se trouve…chez vos employés ! En effet, l’erreur la plus fréquemment commise consiste à « supposer » ce qui est bon pour ses employés, à s’appuyer sur une vision à priori de leurs besoins. La clé du concept d’expérience réside dans la capacité d’écoute et d’empathie vis-à-vis de ses employés et managers. Comprendre quels sont les enjeux, leurs parcours, leurs difficultés quotidiennes, leurs attentes, leurs émotions…

L’utilisation de l’analytics en RH permet d’identifier nombre de ces éléments. Le design thinking, démarche de conception visant à placer le sujet au centre, permet quant à lui de co-construire avec les employés et les managers l’expérience souhaitée, personnalisée, créatrice de valeur et accélérateur de performance. Chaque expérience devient unique dans la mesure où les besoins, les moments forts, les leviers à disposition des RH varient d’une entreprise à une autre. Et c’est tant mieux, car c’est en étant uniques que les entreprises créent leur avantage compétitif.

Au même titre qu’elles ont adopté une vision client, les entreprises doivent donc remettre le collaborateur au cœur de leurs réflexions pour mieux attirer et fidéliser les talents. Changer de paradigme et oser l’expérience employé peut créer un réel avantage pour la fonction RH et la renforcer dans son rôle de partenaire stratégique de la direction générale.

[1] Joe Pine et Jim Gilmore, The Experience Economy : Work is Theatre and Every Business a Stage, Harvard Business Press, 1999.
[2] Etude Gartner, How to Get Your Customer Service Employees to Care About the Customer, Avril 2015

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