Frédéric Moulin : « La confiance est probablement l’actif immatériel le plus précieux »

Exemplarité des pratiques, comportement des dirigeants, responsabilité sociale des entreprises… La confiance accordée aux entreprises est-elle régie par des notions d’éthique ou de morale ? Comment endiguer le phénomène de défiance qui touche certaines grandes organisations ? Frédéric Moulin, président du conseil d’administration de Deloitte France, livre son analyse.

Comment la confiance en entreprise se construit-elle selon vous ? 

La confiance est un élément essentiel de construction pérenne des liens entre les individus, et par là même entre les organisations. C’est la base sur laquelle peuvent se construire des projections sur l’avenir et un développement de long terme. Cette confiance est donc recherchée par toute entreprise vis-à-vis de ses parties prenantes : salariés, clients, actionnaires, fournisseurs, pouvoirs publics… L’action du management et son exemplarité sont un élément essentiel de la construction de cette confiance. Notre monde actuel se caractérise par une globalisation sans précédent, mais aussi par le fait qu’il n’a jamais été aussi transparent. Il n’a jamais été aussi facile ni aussi rapide d’accéder à l’information et de réagir de manière publique à tout événement, via les médias sociaux.

 

La confiance ne se décrète pas, elle se construit et se gagne avec le temps.

 

Tous les dirigeants sont donc regardés, scrutés dans leurs actions, et toute approximation – ou faute – est notée. L’autre élément fondamental est que la confiance doit s’exercer dans un cadre. Cette confiance est renforcée et crédibilisée quand l’action des dirigeants est contrôlée : la gouvernance dans l’entreprise en est donc un élément structurant.

Quels sont les leviers qui permettent de susciter cette confiance ?

La confiance ne se décrète pas, elle se construit et se gagne avec le temps, entre les individus comme entre l’entreprise et ses parties prenantes. Dans notre monde global, c’est aujourd’hui probablement l’actif immatériel le plus précieux. L’élément fondamental de structuration de la confiance, c’est d’être clair, d’expliquer ce que nous faisons, notamment dans les difficultés, et de dire la vérité. Le paradoxe est qu’il est de plus en plus difficile de la démontrer : les jeunes, en particulier, ont de moins en moins confiance dans l’entreprise. Cela s’explique par des promesses non tenues par certaines d’entre elles : restructurations, licenciements… Aujourd’hui, les jeunes cherchent en permanence des preuves pour accorder leur confiance.

La morale et l’éthique ont-elles leur place dans la construction de la confiance ?

Oui, bien sûr. Je ferais une distinction entre la morale et l’éthique. La première est du ressort de l’individu, de ses valeurs et des règles de vie que chacun d’entre nous se fixe.

 

Si la charte éthique n’est qu’un moyen de se défausser des responsabilités de chacun sur les niveaux inférieurs, elle ne sert pas à grand-chose

 

L’éthique représente l’ensemble des règles de comportement qu’un collectif doit respecter. Ces règles éthiques dépendent de l’écosystème, du moment et du lieu où ce collectif s’exerce. Elles peuvent être différentes sur certains points entre certains pays, par exemple. Le contexte social n’est pas le même aux Etats-Unis, en France ou en Chine.

Quelle est selon vous la valeur d’une charte éthique pour une entreprise ? 

La charte éthique est un instrument qui formalise des règles de comportements éthiques dans l’entreprise. Elle est bien sûr utile, mais ce n’est pas l’Alpha et l’Omega de l’éthique dans l’entreprise. Elle est utile à condition qu’elle soit en accord avec la culture de l’entreprise et de ses dirigeants, et qu’elle soit naturellement vécue comme un corpus de règles respectées par chacun. Elle peut alors permettre aux nouveaux venus d’adopter plus rapidement les bons comportements, et surtout d’éviter les erreurs involontaires. Si, au contraire, la charte n’est qu’un moyen de se défausser des responsabilités de chacun sur les niveaux inférieurs et un moyen de sanction, alors elle ne sert pas à grand-chose. Autrement dit, une charte éthique n’a de sens que dans la mesure où elle est en adéquation avec les valeurs de l’entreprise, valeurs respectées par tous et en premier lieu par ses dirigeants qui ont la première et la plus grande responsabilité dans le domaine. Il n’en reste pas moins que le sujet de l’éthique dans les affaires est extrêmement complexe et que l’application de la charte éthique dans l’entreprise pose des problèmes réguliers, sensibles et difficiles à résoudre.

Le cas Enron, dont le code d’éthique n’a pas empêché les dérives, ne remet-il pas en question l’importance de ces chartes ?

Manifestement dans le cas d’Enron, un certain nombre de dirigeants et de responsables ne respectaient pas les valeurs essentielles qui fondent la confiance dans le monde des affaires. Et les courroies de contrôle, comme la gouvernance et le contrôle externe, n’ont pas fonctionné. Dans un tel environnement, une charte éthique ne sert à rien.

Comment expliquer la montée en puissance de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) ces dernières années ?

La RSE est un mouvement important qui trouve sa source dans plusieurs phénomènes. Il faut tout d’abord y voir la conséquence de la relative impuissance du politique et de l’Etat dans certains sujets et la nécessité de reprise par l’entreprise d’un certain nombre d’actions. L’importance de la RSE est par ailleurs liée à la nécessité pour l’entreprise d’expliquer et de démontrer son action vis-à-vis des tiers intéressés, dans ses domaines d’activités et de compétences, mais aussi envers la société.

 

Il est essentiel que la richesse créée dans l’entreprise se répande dans son environnement.

 

La pression et l’émulation des pairs et des autres entreprises poussent par ailleurs chaque entreprise à réfléchir et à construire une démarche responsable, sur les plans environnemental, social et sociétal. In fine, les démarches RSE contribuent positivement à renforcer la confiance que les tiers accordent aux entreprises concernées.

Quel est l’enjeu des politiques RSE selon vous ? 

Face à l’impuissance de l’Etat, je suis convaincu qu’il nous faut aller chercher ailleurs la réponse à un certain nombre de questions et de situations que nos sociétés rencontrent aujourd’hui. Pour moi, ces réponses se trouvent soit dans l’initiative individuelle, via notamment les milieux associatifs, et dans l’aide au développement et aux plus fragiles, soit dans l’initiative de l’entreprise. Celle-ci a des compétences et des savoir-faire qu’elle peut mettre au service de causes de façon bénévole. Ces initiatives doivent forcément se faire dans un quantum mesuré, le but premier de l’entreprise étant de gagner de l’argent.
Il est essentiel que la richesse créée dans l’entreprise se répande dans son environnement. C’est le cas généralement pour les salariés et les actionnaires. Mais cette richesse doit également permettre aux entreprises de rendre les sociétés dans lesquelles nous vivons plus fortes et plus solidaires. Chez Deloitte, par exemple, je suis très fier du succès rencontré par les actions de notre Fondation (qui ne représente qu’une partie de nos actions RSE). Ce succès repose sur plusieurs piliers. Tout d’abord, l’utilisation de nos savoir-faire dans les domaines du conseil, de la finance et du recrutement, mais aussi l’appétence de nos collaborateurs (notamment les plus jeunes) pour s’investir dans des actions concernant l’éducation, l’entrepreneuriat, la parité ou le développement. Il s’explique aussi par la structuration de nos actions dans un cadre organisé avec des objectifs clairs. L’année dernière, 1 200 collaborateurs et associés, sur un effectif total de 3 500 personnes, ont participé volontairement à une action de la Fondation.

Certains évoquent une défiance croissante envers le management au sein des entreprises. Peut-on établir un lien entre cette perte de confiance et la question de l’éthique ?

Ce phénomène est centré sur les ETI et les grandes entreprises. On ne l’observe pas dans les petites entreprises ou les milieux associatifs. Certes, la défiance, ou plutôt le manque de confiance préalable envers les grandes entreprises, est liée à des promesses non tenues. Certains enfants ont vu leurs parents, à qui l’entreprise avait promis un emploi à vie, se faire licencier. Il y a aussi le cas d’employés qui ont pris connaissance de scandales ou d’abus commis au profit de quelques dirigeants peu scrupuleux. En cela, nous pouvons faire le lien entre perte de confiance et problème éthique. Je préfère prendre les choses positivement : cette confiance est devenue une ardente nécessité pour la plupart des grandes entreprises. C’est une valeur importante sans laquelle je pense que la réussite sera moins assurée. C’est donc un paramètre qu’il faut prendre en compte au-delà de toute considération morale. Elle passe avant tout par le respect, par chacun, des règles de comportement et des valeurs de l’entreprise, ainsi que par l’exemplarité du management.
Chez Deloitte, cette confiance est nécessaire pour plusieurs raisons. Pour attirer et recruter les meilleurs, tout d’abord, ainsi que pour conserver nos talents. Elle est aussi cruciale pour servir nos clients. Je tiens à rappeler qu’ils achètent une prestation intellectuelle ; cette prestation ne vaut plus rien s’ils n’ont pas l’assurance que nos services sont rendus avec compétence, objectivité et indépendance. Enfin, elle est essentielle pour assumer notre mission de « tiers de confiance » vis-à-vis de la société et des pouvoirs publics.

Confiance & Gouvernance est un cercle de réflexion initié par Deloitte pour questionner les modèles de gouvernance d'aujourd'hui et de demain. Suivez les débats entre les acteurs économiques et la société, et partagez le fruit des réflexions d'administrateurs et de dirigeants, français et étrangers.

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