Diversité au sein du conseil d’administration, processus de recrutement des administrateurs, simplification des règles encadrant la gouvernance : Frédéric Rose, Directeur général de Technicolor, livre son regard sur la gouvernance d’entreprise.

Retrouvez aussi la première partie de notre entretien avec Frédéric Rose sur l’innovation chez Technicolor.

En quoi la diversité des administrateurs est-elle importante ?

Pour un groupe mondial tel que Technicolor, il serait dramatique que les administrateurs soient issus du même sérail. Cependant, nous ne cherchons pas activement la diversité, notamment dans la nationalité de nos membres. Elle vient naturellement, en recherchant les meilleures compétences dans des domaines précis.

Sur le plan de la parité, la loi Copé-Zimmermann, qui oblige les grandes entreprises et ETI à compter au moins 40% de femmes dans leurs conseils d’administration, a eu un effet extrêmement bénéfique puisqu’elle a obligé chacun à se remettre en question. Ce fut l’occasion, pour les chasseurs de tête, d’approfondir leurs recherches et de prendre conscience que les femmes sont tout aussi qualifiées que les hommes.  

Certains prétendent qu’il faut descendre en compétences pour recruter des femmes aux postes à responsabilité : c’est faux. Le conseil de Technicolor compte des femmes dont le niveau est équivalent, voire supérieur, à celui des hommes. Notre conseil est devenu beaucoup plus large en pensée et nos échanges beaucoup plus riches du fait de cette loi.

Depuis sept ans, nous nous attelons à faire changer le ratio femme/homme, y compris dans les fonctions exécutives. Lorsqu’une entreprise compte 95% de managers de sexe masculin, elle doit se poser des questions, non seulement sur la représentativité, mais aussi sur les opportunités qu’elle a pu manquer.

Les administrateurs attestent-ils selon vous aujourd’hui de compétences plus diverses qu’il y a quelques années ?

Je constate une véritable révolution en la matière. Pendant longtemps, les nominations aux conseils étaient motivées en premier lieu par les relations de certains. De nombreuses entreprises font désormais appel à des chasseurs de tête et recherchent une diversification des compétences.

Chez Technicolor par exemple, où les brevets sont extrêmement importants, nous avons la chance de bénéficier des compétences d’un expert reconnu mondialement dans le domaine de la propriété intellectuelle. Chacun sait que cette personne est à même d’animer le débat et de prendre le lead sur ces questions.

Autre exemple : nous comptons également au sein de notre board la directrice financière d’une entreprise de télécoms. Elle apporte une grande richesse à l’entreprise, notamment dans la thématique de la maison connectée.

Constatez-vous une différence entre la vision des boards européens et anglo-saxons ?

Je vois une différence fondamentale : l’administrateur estime généralement, dans les conseils anglo-saxons, que son rôle se limite à défendre les intérêts des actionnaires, même lorsque ceux-ci nuisent à la création de valeur à long terme.

A l’inverse, la plupart des conseils européens ont davantage tendance à prendre en compte non seulement la logique actionnariale, mais aussi l’intérêt de l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise. Je constate d’ailleurs que les administrateurs anglo-saxons présents au board d’entreprises françaises sont admiratifs de cette vision, qu’ils considèrent plus saine.

Le fonctionnement des instances de gouvernance est-il toujours adapté aux enjeux de la société actuelle ?

Trop de règles encadrent le conseil, notamment en matière de rémunération. Si nous voulons des administrateurs qualifiés, il faut accepter de payer le juste prix. Or, la rémunération est très basse en France. Les administrateurs étrangers qui acceptent de siéger à des boards français témoignent de leur très fort engagement pour l’entreprise non motivé par la rémunération !

Il est par ailleurs inconcevable que le droit français interdise de rémunérer les administrateurs en actions de la société. Les entreprises ont l’obligation de les payer en numéraire, ce qui pose un problème fondamental, philosophique, puisqu’ils ne sont pas intéressés aux résultats et au développement de l’entreprise.

 

Les administrateurs doivent avoir le courage de leurs convictions et être solides pour résister aux sirènes ou aux appels publics.

 

Enfin, je serais très favorable à l’instauration d’une limite du nombre de mandats et même en-deçà des 5 actuellement autorisés. Les administrateurs professionnels sont une véritable maladie pour les entreprises. J’ai compté au sein de mon conseil, en son temps,  des administrateurs qui cumulaient jusqu’à six mandats. Ils ne faisaient rien de plus que toucher les jetons de présence.

Outre la problématique des conflits d’intérêts potentiels, rappelons-nous que toutes les sociétés tiennent leur conseil de résultat sur une période de deux semaines chaque trimestre. Comment être efficace en siégeant à cinq ou six conseils ?

Je préconise une limite d’un seul mandat pour les personnes comptant une fonction exécutive dans une entreprise. Un non-exécutif ne devrait pas en cumuler plus de deux, d’autant plus s’il est président de comité.

Quels risques représentent pour l’entreprise l’entrée au capital d’un actionnaire activiste ?

Le véritable problème pour l’entreprise n’est pas de voir entrer un actionnaire activiste, mais de disposer d’un conseil d’administration « peureux » et donc incompétent.

Chacun a le droit d’exprimer son point de vue, mais un actionnaire détenant une petite partie du capital ne devrait pas pouvoir inspirer de crainte au board. Plus ce dernier est solide et mature, axé sur la stratégie de long terme, plus il lui est facile de résister à ces actionnaires. Les administrateurs doivent avoir le courage de leurs convictions, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas, et être solides pour résister aux sirènes ou aux appels publics.

Lorsqu’un actionnaire n’est pas satisfait du travail effectué, il dispose de deux armes : la première est l’OPA, la seconde consiste à demander la révocation d’une partie des membres du conseil d’administration. Vient alors un travail de conviction au cas par cas.

Comment s’assurer du courage des administrateurs au moment de les recruter ?

Je pense qu’il faut appliquer les mêmes méthodes pour recruter un administrateur qu’un membre du comité de direction. Nous travaillons avec des chasseurs de tête qui nous recommandent des candidats. Ceux-ci doivent rencontrer le directeur général, mais aussi l’ensemble du conseil d’administration. Nous n’avons jamais recruté d’administrateur sans que celui-ci ait été interrogé par chaque membre individuellement.

Il est par ailleurs impératif de réaliser un reference check en appelant les personnes qui ont pu travailler avec cette personne par le passé.