Gare au concours de colombes !

Ne dites plus « guerre des monnaies », dites : « concours de colombes ». C’est pareil en plus gentil, mais finit… pareil. Une « colombe », pour les marchés financiers, c’est un banquier central qui prend son temps pour remonter ses taux d’intérêt et lutter ainsi contre l’inflation. C’est l’inverse d’un « faucon », toujours pour parler « marchés financiers ». Il monte ses taux au moindre frémissement des prix. Alors : colombes contre faucons, comme d’habitude, ou colombes contre colombes, maintenant ? Regardons ce qui se passe dans le ciel, puis redescendons sur terre.

Colombe : voilà des mois que Janet Yellen, la Présidente de la Banque Centrale américaine, joue les prolongations avant d’augmenter encore ses taux d’intérêt. Ce pouvait être janvier, puis mars, on attend juin, à moins que ce ne soit septembre ou décembre. L’explication officielle de cette prudence est une situation mondiale fragile et une reprise américaine modeste, avec une Banque Centrale data dependant. Elle entend épouser l’activité, et surtout ne pas être trop en avance. La vérité est que cette attitude lui permet de ne pas faire trop monter les taux d’intérêts à long terme et surtout le dollar, ce qui soutient l’activité et la bourse, et freine toutes les autres colombes.

Super colombe : volons au Japon. Voilà des années que la croissance économique est faible dans l’archipel et surtout que l’inflation ne repart pas. La récession et la déflation rodent, plombent les déficits et font monter la dette publique. Alors, la Banque Centrale du Japon abaisse ses taux d’intérêt au-dessous de zéro, achète plus que jamais des bons du trésor plus, indirectement, en bourse. Bref, la super colombe nipponne fait tout ce qu’elle peut pour faire repartir l’inflation, au risque d’inquiéter les autres (colombes).

Colombe anglaise : en plein débat sur le Brexit, il est évidemment exclu que la Banque d’Angleterre monte ses taux, même si les salaires montent de 2 % dans le Royaume. Elle pourrait même les baisser !

Volons à Francfort : quelle migration ! Là, Mario Draghi maintient ses taux d’intérêts à zéro, achète chaque mois 60 milliards d’euros de bons du trésor et vient de se lancer dans l’achat d’obligations privées des meilleures entreprises de la zone, pour 20 milliards. Officiellement, il veut faire repartir l’inflation : c’est « son mandat ». Tout le monde comprend aussi qu’avec des taux aussi bas, il veut maintenir un euro faible, notamment par rapport aux Etats-Unis, importer de l’inflation et ainsi faire (encore) baisser ses taux d’intérêt réels. Le tout soutiendra la reprise.

Regroupons nos volatiles : la colombe américaine joue les prolongations avant de monter ses taux d’intérêts ; la colombe japonaise prévoit de les baisser encore ; la colombe anglaise prend tout son temps et la colombe de la zone euro attendra l’envol de ses collègues. Officiellement, il s’agit de faire en sorte que l’inflation remonte chez chacune. Officieusement, il s’agit de faire en sorte que le taux de change d’une colombe ne monte pas par rapport à celui d’une autre.

Ce jeu peut-il durer longtemps ? Non, pour trois raisons. D’abord, la colombe japonaise joue le jeu le plus dangereux. La dette publique du pays dépasse le double du PIB, ce qui ne tient que parce que c’est l’épargne japonaise qui l’a achetée et que le pays a beaucoup d’actifs à l’extérieur. Mais, quand elle roucoule qu’elle va continuer à acheter des titres et baisser les taux pour faire repartir l’économie, les marchés la croient au point qu’ils achètent le yen qui monte…l’inverse de ce qu’elle voulait ! Faudra-t-il en rajouter, au risque de déstabiliser la monnaie (de la troisième économie du monde) ? Ensuite, les inquiétudes montent vis-à-vis de toutes ces entreprises qui s’endettent partout de plus en plus, profitant de ces taux si bas, alors qu’elles sont déjà risquées. Le jour où les taux remonteront, leur situation deviendra problématique, a fortiori si elles se sont endettées en dollars. Enfin, les Etats eux-mêmes, au Japon et en zone euro notamment, inquiètent. Ils se disent qu’ils ont le temps pour faire des réformes, puisque l’argent est si peu cher, des réformes qui sont pourtant seules à même de faire repartir la croissance. Mario Draghi ne cesse de le répéter ! Viendra toujours un moment où une colombe le sera un peu moins qu’avant, inquiétant alors la volière financière mondiale. Pas besoin donc de faucons, pour faire remonter les taux.

 

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Fondateur de Betbeze Conseil SAS, Professeur de Faculté en Sciences économiques, Jean-Paul Betbeze a été Chef Economiste du Crédit Lyonnais en 1989 puis du Crédit Agricole (et membre de son Comité exécutif) jusqu’en 2013. Ancien membre du Conseil d’analyse économique auprès du Premier ministre et de la Commission Economique de la Nation, il est membre du Cercle des économistes et Président du Comité scientifique de la Fondation Robert Schumann. Auteur de nombreux ouvrages et rapports, il a rejoint le cabinet en avril 2013 en tant qu’Economic Advisor pour apporter son regard d’expert en analyse économique, conjoncturelle et financière.

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