Les réponses de long termes aux crises climatiques et géopolitiques impliquent des besoins de financement étatiques majeurs qui mettent le régime de contrôle des aides d’Etat au cœur du réacteur.

Le thème de la réindustrialisation occupe une place croissante dans les agendas stratégiques des pays occidentaux en général, et de la France en particulier.

Les effets délétères de la désindustrialisation en termes de richesse nationale, d’emplois et d’aménagement du territoire étaient déjà une source de préoccupation préalablement à la pandémie. Celle-ci n’a fait que renforcer le diagnostic, en révélant les conséquences pour les pays occidentaux de la fragmentation internationale des chaînes de valeurs industrielles, en termes de vulnérabilité aux chocs et de dépendances aux industries des grands pays fournisseurs, vers lesquels la production s’était déplacée.

Le besoin de réindustrialisation a encore été accentué par la montée des tensions géopolitiques, qui créent à la fois un risque pour les entreprises et une contrainte renouvelée de souveraineté pour les Etats.

Enfin, cette aspiration à la réindustrialisation se double de l’impératif impérieux de transition climatique, qui impose de faire drastiquement diminuer les niveaux d’émissions des process industriels. La réindustrialisation peut être un facteur de progrès environnemental, lorsqu’elle permet de limiter les émissions de l’empreinte carbone des produits consommés en France, via l’appui sur des mix énergétiques européens moins carbonés, et/ou la réduction des émissions liées au transport. Mais cette transformation à accomplir se traduit par la nécessité d’énormes investissements, marqués par un niveau d’incertitude élevée quant à la validité des solutions technologiques et au devenir de la demande.

Ce double impératif de réindustrialisation et de transformation climatique redonne une place cruciale aux Etats (et aux regroupements d’états telle que l’Union européenne). Le renouveau des industries est en effet porteur de plusieurs externalités sociales (sur l’emploi, la souveraineté, et la réussite de la transition climatique), qui justifient l’implication de l’Etat aux côtés des acteurs privés, lesquels sont par ailleurs souvent incapables de porter seuls les lourds enjeux de financement associés à ces projets de réindustrialisation et d’innovation verte. En conséquence, les politiques de soutien évoluent de manière forte et rapide.

Trois évolutions marquantes sont à souligner :

  • L’augmentation spectaculaire des montants et de l’échelle des soutiens publics: ce sont près de 400 milliards de dollars qui devraient être distribués aux Etats-Unis via l’IRA, près de 390 milliards de subventions dans le cadre du plan « Next generation » de l’Union Européenne, ou encore près de 54 milliards d’euro par l’Etat français dans le cadre du plan France 2030. Cette explosion des montants se traduit à la fois par de plus nombreux projets financés, par l’augmentation des montants maximaux, ainsi que par l’augmentation de l’intensité du financement, c’est-à-dire le pourcentage maximal des dépenses pouvant être pris en charge par des acteurs publics.
  • La prise en compte croissante des problématiques de transition et donc des critères environnementaux, qui se manifeste à la fois par le très fort soutien aux technologies clés de décarbonation (énergie renouvelables, hydrogène, écosystème du véhicule électrique…), mais aussi par la prise en compte des impacts environnementaux de projets n’étant pas directement consacré à la transition climatique.
  • La prise en compte assumée des critères de souveraineté, qui conduit notamment les acteurs publics européens à accepter de financer (dans certains cadres tels que les PIEC – Projets important d’intérêt européen commun) non seulement le déficit d’un projet, mais également le coût d’opportunité de réaliser ce projet en Europe plutôt que dans une autre géographie. C’est ainsi par exemple qu’un projet d’usine qui génèrerait en Europe, sur sa durée de vie, une valeur actualisée nette négative de 200 millions, alors qu’un projet similaire en Asie génèrerait un profit de 100 millions d’euros, pourrait théoriquement solliciter un financement de 300 millions, qui entérine le choix politique de ne pas seulement combler les défaillances de marché, mais aussi de viser un objectif volontariste de relocalisation.

Mais ce soutien marqué, au service d’une nouvelle politique industrielle, reste bien entendu assortie de conditions. Tout l’enjeu consiste à assouplir les doctrines d’interventions publiques pour prendre la mesure des enjeux associés à cette réindustrialisation, tout en conservant des standards élevés de vérification de la pertinence de ces soutiens et de l’absence d’effets distorsifs de concurrence. Ce point est capital tant pour l’efficacité absolue de la dépense publique (en ne dépensant que des sommes effectivement nécessaires) que pour sa bonne allocation entre projets (en fléchant ces sommes vers les projets les plus porteurs, et qui en ont le plus besoin).

Lorsqu’il s’agit de candidature individuelle d’entreprises ou de consortiums, les acteurs privés doivent être en mesure de présenter un dossier démontrant à la fois l’intérêt du projet et ses impacts, mais aussi la nécessité de l’aide et sa proportionnalité. Il leur faut pour cela construire un business plan du projet incluant l’aide, mais aussi une appréciation de la situation contrefactuelle dans laquelle l’aide ne serait pas accordée, et/ou dans laquelle un projet alternatif serait réalisé.

Lorsqu’il s’agit de régime d’aides dont l’Etat a validé le principe d’ensemble avec la Commission européenne, l’enjeu sera plutôt pour les Etats de mener en fin de programme une évaluation qui permette de démontrer l’effet incitatif des aides et son impact sur l’économie, s’il veut pouvoir renouveler le programme en question.

Dans tous les cas, nos équipes d’économistes accompagnent les acteurs publics et privés dans l’évaluation fine de l’impact économique de ces projets, la réalisation des documents de calcul d’équilibre financier des projets, ainsi que les modélisations de marché qui supportent les hypothèses utilisées. L’ensemble de ce travail d’expertise est crucial pour attester la pertinence des projets eux-mêmes, et du soutien public qui leur permet d’exister.

C’est à ce prix que l’Europe pourra concilier i) l’ambition d’une transformation profonde et rapide de son industrie, ii) la compétitivité de la localisation européenne par rapport aux autres zones régionales cherchant à attirer ces investissements, et iii) le maintien d’une concurrence loyale entre acteurs et pays européens.