Inondations et PIB

Un embouteillage augmente le PIB : tout est dit.  La crue d’une rivière va ruiner commerçants, artisans, paysans et petits entrepreneurs, affaiblir des entreprises de plus grande taille et provoquer une hausse locale du chômage, avec une forte baisse, toute aussi locale, de l’activité. Ensuite viendront les réparations et les reconstructions. Elles seront financées par l’épargne des sinistrés, par des aides et les assurances, plus par des crédits bancaires. Alors, l’activité va reprendre et la croissance avec, mesurée par l’inusable PIB.

Qu’on ne dise pas que le PNB est sans cœur ! Il est plutôt sans vrai bilan, sans vraie mesure des actifs qui peuvent se voir ainsi, plus ou moins gravement, détériorés. Le PNB : c’est de la dépense, bonne ou mauvaise. C’est partiel bien sûr, car cela oublie la qualité des choix effectués et passe sous silence leurs modes de financement. Mais, c’est comme ça. Pire, c’est myope et ne regarde pas ce qui va se passer dans le futur. Allons-nous oublier, attendre le prochain siècle ou la prochaine catastrophe, imprévisible et lointaine ? Sauf que s’il y a autant de catastrophes d’origine climatique, dites imprévisibles mais qui se produisent en un temps si resserré, c’est peut-être que se déroule un changement en amont. C’est peut-être le réchauffement climatique qui œuvre ainsi, et qui bouleverse les « moyennes » de saison, qu’il s’agisse de température ou de pluviométrie – sans qu’on comprenne encore sa nouvelle logique. Donc il faudrait tenir compte de ce principe d’incertitude. Les politiques devraient au moins changer pour ce qui concerne les zones inondables, et les assureurs tirer la sonnette d’alarme – en augmentant plus leurs primes.

Mais il y a plus grave encore que rester myopes, le nez sur le niveau du fleuve : c’est de ne pas voir l’évolution des risques économiques et sociaux que nous prenons inconsciemment, avec la concentration des richesses. Le PIB français augmente plus ou moins vite, ceci nous inquiète tout le temps, mais le tiers vient de l’Ile de France. Quelques pôles d’activité font l’essentiel de la richesse nationale, donc des risques, tout comme quelques filières, qui n’ont pas besoin d’être quantitativement importantes pour être névralgiques.

Alors comment prendre de l’avance par rapport à de nouveaux drames ? Comment investir pour se protéger, pour éviter les crises et les catastrophes, à tout le moins en réduire l’impact ? C’est là autre chose que la rentabilité et la productivité à court terme, c’est la RSE étendue. C’est la Responsabilité Sociale et Environnementale qui étudie les risques, leur distribution, leurs liens et leur concentration.

Il s’agit en fait, aujourd’hui, de développer un autre chapitre de la croissance de l’entreprise, celui de sa résistance aux chocs. Tout ceci coûte, et doit donc être expliqué en interne et en externe, pour augmenter et valoriser cette résilience de l’entreprise. Au fond, il ne s’agit pas seulement de dire que le PIB mesure des valeurs ajoutées, et donc augmente face à un drame, que de faire en sorte que les drames, qui arriveront toujours, peut-être de plus en plus en termes de dangerosité, nous affectent relativement moins. Ce n’est pas là affaire de bons sentiments, mais de bonne gestion et de bonne comptabilité.

De bonne comptabilité, avec un chapitre à ajouter sur les risques pour toutes les entreprises, et pas seulement les banques. C’est un exercice de recensement et de calcul qu’il faut faire, avec des scénarios de crise plus ou moins sévères.

De bonne gestion, car la prévention des risques n’est pas seulement affaire de murs, de caméras, de firewalls, de tours de garde et d’exercices et de vérifications périodiques, mais de culture individuelle du risque. C’est là le compliqué dans l’entreprise, face à la somnolence du veilleur, à la moindre vigilance, à l’usure, aux fausses alertes, au changement des équipes. Le risque mute plus vite que nos mesures, alors que nos mesures, elles-mêmes, peuvent déjà nous endormir !

C’est donc là un problème de bonne finance, car ces dépenses pèsent sur les résultats et sur la productivité. Difficile de les valoriser pour décider d’investissements. La tendance (française) serait à normer et forcer, comme pour les banques (stress tests) ou pour les maisons (inondations ou séismes). Mais impossible pour les entreprises, sauf à développer enfin ce chapitre nouveau de la RSE, à en parler aux actionnaires et aux médias. Mieux vaut prévenir (et investir) que guérir : mieux vaut donc en parler.

 

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Fondateur de Betbeze Conseil SAS, Professeur de Faculté en Sciences économiques, Jean-Paul Betbeze a été Chef Economiste du Crédit Lyonnais en 1989 puis du Crédit Agricole (et membre de son Comité exécutif) jusqu’en 2013. Ancien membre du Conseil d’analyse économique auprès du Premier ministre et de la Commission Economique de la Nation, il est membre du Cercle des économistes et Président du Comité scientifique de la Fondation Robert Schumann. Auteur de nombreux ouvrages et rapports, il a rejoint le cabinet en avril 2013 en tant qu’Economic Advisor pour apporter son regard d’expert en analyse économique, conjoncturelle et financière.

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