Interview croisée entre Fatih Balyeli, co-fondateur et CEO d’Exaion et Julien Maldonato, Associé Digital Trust, le 7 février 2023.

Exaion est une filiale du Groupe EDF qui se positionne sur des secteurs d’avenir: blockchain, cloud 3D, métavers, cybersécurité, calcul haute performance et quantique. Fatih Balyeli, co-fondateur et CEO d’Exaion, et Julien Maldonato, Associé Digital Trust, en charge de la souveraineté numérique chez Deloitte, nous exposent leur vision des enjeux écologiques et financiers de la décentralisation ainsi que des opportunités permises par le Web3.

 

Filiale du Groupe EDF, premier producteur et fournisseur d’électricité en France et en Europe, Exaion souhaite capitaliser sur la recherche et développement du groupe pour en diversifier ses activités sur des secteurs technologiques de pointe. Pouvez-vous nous présenter vos solutions et leur fonctionnement

Fatih : Exaion a été lancé début 2020 à la suite d’un projet intrapreneurial incubé au sein la Direction de l’Innovation et des Programmes Pulse du groupe. Notre volonté est de proposer une infrastructure décentralisée made in France à l’ensemble des projets de l’écosystème Web3 français et d’accompagner les grandes entreprises en s’appuyant sur les synergies du Groupe EDF. Exaion adresse aujourd’hui 3 verticales : Exaion Node pour la blockchain, Exaion Studio pour l’exploration du cloud 3D et du métavers, et Exaion Compute pour le Edge Computing (nouvelle technologie de traitement de la donnée), le HPC (High Performance Computing ou Supercalculateurs) et le quantique.

Si on zoome sur Exaion Node, nous avons développé une gamme de solutions qui nous permet d’accompagner nos clients dans la mise en place et le déploiement de leurs cas d’usage blockchain sur de nombreux protocoles. Nous proposons une offre de nœuds complète et un accès rapide à de nombreuses blockchains depuis node.exaion.com. Nous disposons de datacenters en Normandie que nous mettons à profit afin de valider les transactions du réseau. Nous supportons et proposons sur notre plateforme des blockchain publiques et sobres d’un point de vue énergétique : Ethereum, EWF, Tezos, Avalanche, Bitcoin en nœuds RPC (développement de Smart Contracts sur la blockchain Bitcoin sans minage pour limiter l’impact carbone), depuis quelques jours Polkadot et Moonbeam, et prochainement Polygon, Cosmos et quelques autres. Pour autant, nous souhaitons rester agnostiques sur la promotion des solutions. De fait, si demain, de nouveaux mécanismes de consensus sont disponibles et qu’ils respectent notre volonté de décarboner cette industrie, alors nous nous positionnerons proactivement afin de les proposer à nos clients.

À ce jour, nous opérons environ 300 nœuds dont plus de 150 sur le protocole Ethereum, 10 en propre, le reste en marque blanche pour le compte de nos clients. Ethereum bénéficie de plusieurs avantages : large adoption (deuxième protocole au monde derrière Bitcoin), nombreuses applications (NFT, finance décentralisée, play-to-earn). Dans le cadre du « Merge », qui s’est produit mi-septembre 2022, Exaion a basculé l’ensemble de ses nœuds Ethereum vers un mécanisme de consensus par preuve d’enjeu (ou Proof-of-Stake, PoS), réduisant leur consommation énergétique de 99,95 %.

En complément de nos infrastructures, nous développons des produits pour administrer et piloter les nœuds que nous mettons à disposition avec une logique éco-responsable et user-friendly en réduisant au maximum le nombre de clics à réaliser pour l’utilisateur. Notre volonté réside dans une solution simple, clé en main et orientée sur l’usage plutôt que sur la technique. Demain, nous mettrons à disposition un catalogue de cas d’usage déjà développés pour lesquels nos clients n’auront plus qu’à remplir quelques informations spécifiques avant de mettre le cas d’usage en production.

Aujourd’hui, nous travaillons main dans la main avec plusieurs clients afin de leur fournir l’infrastructure décentralisée qui convienne à leur projet :

  • Forge, filiale de la Société Générale que nous avons accompagnée dans l’émission d’une obligation de 100M d’euros ;
  • BNP Paribas et EDF ENR qui se sont associés pour proposer la première tokenisation d’une obligation pour financer un projet d’énergie renouvelable ;
  • Trackelec, projet du Groupe EDF pour faciliter la traçabilité de l’électricité fournie à des clients ;
  • La DCF dans le cadre du lancement du KlapCoin, la première cryptomonnaie destinée à financer le développement du cinéma français ;
  • Mais aussi, Lugh (stablecoin euro émis par le Groupe Casino et la Société Générale et audité par Deloitte France) et Dogami.

 

Le Web3, comme toute nouvelle technologie, soulève la question écologique. Nombreux sont ceux qui assimilent la blockchain à Bitcoin avec une image polluante. Quelle est la position d’Exaion sur ces sujets d’écologie et quelles sont les actions menées pour réduire votre empreinte carbone ?

Fatih : Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que le secteur de la donnée est effectivement très énergivore (2 à 3% de la consommation électrique mondiale aujourd’hui, 13 % en 2030 et 100 % de la production électrique mondiale actuelle en 2050) et les leaders de cette industrie sont aujourd’hui asiatiques et américain dont le mix énergétique et fortement carboné.

Il y a donc une place pour les acteurs européens et surtout français pour décarboner cette industrie puisque 97 % de l’électricité produite par EDF est décarbonée (issue du nucléaire et des ENR). De fait, la France doit devenir une terre d’accueil de l’industrie de la donnée et des datacenters.

La désintermédiation des échanges avec la technologie blockchain, le mix énergétique français et les bonnes pratiques mises en œuvre par EDF et Exaion permettent de réduire drastiquement l’impact carbone de l’industrie de la donnée.

Pour vous donner quelques illustrations de ce qui est fait aujourd’hui par le groupe EDF et Exaion :

  • Nous utilisons l’électricité produite en France par EDF, décarbonée à 97 % ;
  • Nos infrastructures sont certifiées ISO 140011 et 500012;
  • Nous priorisons les heures creuses et réduisons nos activités lors des pics de consommation ;
  • Nous assurons une excellente performance d’isolation dans les bâtiments pour éviter la déperdition d’énergie et la surconsommation.

En complément, nous suivons plusieurs bonnes pratiques afin de réduire davantage notre impact sur l’environnement :

  • Utilisation d’un système de refroidissement des machines en free-cooling (utilisation de l’air extérieur qui est à une température plus basse) ;
  • Utilisation d’un système de liquid-cooling (utilisation de circuit de refroidissement dans lequel se propage un liquide froid) pour limiter l’usage de la climatisation et on travaille sur le développement d’un système d’immersion-cooling (mise en immersion au sein d’un liquide froid non conducteur du matériel informatique) ;
  • Au Canada, récupération de la chaleur fatale des datacenters pour chauffer des bâtiments ;
  • Utilisation de protocoles à preuve d’enjeu (ou Proof-of-Stake) qui sont peu énergivores ;
  • Réutilisation des supercalculateurs du Groupe EDF, ce qui permet une réduction significative de l’empreinte carbone par rapport à l’achat de matériel neuf ;
  • Communication à nos clients de leur consommation en gCO2 (38 gCO2/kWh en moyenne) ;
  • Compensation carbone de la consommation de nos activités au travers de projets de reboisement audités et certifiés en France.

Les nouveaux usages numériques qui vont voir le jour vont décupler la demande en puissance de calcul. Il est donc impératif de promouvoir des solutions bas carbones comme celles d’Exaion.

Nous sommes d’ailleurs à l’initiative avec l’Energy Web Foundation du Crypto Climate Accord dont l’objectif est, d’ici 2030, de faire fonctionner l’industrie crypto et blockchain en utilisant de l’énergie décarbonée.

Julien : Il est aussi important de comprendre que les usages dans le Web3 ne sont pas exactement les mêmes que ceux que l’on connaît avec le Web2. La décentralisation nous permet de désintermédier de nombreux cas d’usage. C’est le cas par exemple de la conservation d’actifs ou encore des échanges monétaires. Pour illustrer, Michel Khazzaka a évalué que l’ensemble de la filière cash mondiale consomme 56 fois plus d’énergie que le système Bitcoin (minage compris) du fait de la forte intermédiation.

En outre, la décentralisation et le Edge Computing (architecture informatique distribuée) permettent de stocker du contenu au plus proche de l’utilisateur, évitant ainsi de transmettre les données sur des Datacenter, réduisant ainsi l’impact carbone lié à notre façon de consommer de l’information en ligne.

Aussi, le protocole Zero-Knowledge Proof (ZKP), une nouvelle façon de récupérer la donnée en générant une preuve qu’une affirmation est vraie, sans révéler plus d’informations utiles que l’affirmation elle-même permet de réduire la quantité d’informations transférées. Ainsi, le ZKP permet de réduire l’impact carbone d’une partie de la chaine de valeur liée à la donnée (par exemple lors d’un processus de KYC, je peux prouver que je suis majeur et Français sans avoir à importer une photo de ma carte d’identité).

Il est donc important de traiter le sujet dans sa globalité en prenant en compte l’ensemble de la chaine de valeur avec tous les intermédiaires. La désintermédiation jumelée à la décentralisation doit permettre de révolutionner les usages et réduire leur impact carbone.

 

Le secteur du Web3 est en pleine expansion en France et dans le monde tandis que la règlementation européenne se durcit, quelles sont les prochaines grandes étapes pour Exaion ? 

Fatih : Dans un premier temps, nous pouvons être fier de l’écosystème Web3 français et confiant en son avenir puisque nous avons des références sur l’ensemble de la chaîne de valeur ! Le hardware avec Ledger, les protocoles avec Tezos, les applications avec Sorare et Dogami, le métavers avec The Sandbox, la finance décentralisée avec Morpho ou encore l’analyse big data spécialisée avec Kaiko. L’écosystème français est riche et Exaion souhaite apporter sa pierre à l’édifice en lui proposant le chainon manquant : l’infrastructure.

Exaion est la première filiale Web3 d’un grand groupe européen. L’ambition est d’accélérer pour devenir le partenaire de confiance sur l’infrastructure Web3 au niveau européen voire, sur le podium au niveau mondial.

Pour ce faire, nous souhaitons consolider notre position en France, accélérer sur le reste de l’Europe ainsi qu’en Amérique du Nord avec notre antenne au Canada. Nos ambitions sont sans limites et nous souhaitons nous entourer des meilleurs partenaires pour proposer des solutions clés en main les plus décarbonées possibles à nos clients.

Pour finir, je reste intimement persuadé que la prochaine vague Web3 sera celle des grandes entreprises. Grâce à elles, nous franchirons ce point de bascule qui ancrera le Web3 et la blockchain de manière pérenne dans le paysage français, européen et même mondial en facilitant l’adoption massive par le grand public.

 

Julien : La France, a inventé la thermodynamique lors du Siècle des Lumières grâce à ses scientifiques Sadi Carnot et Antoine Lavoisier. La thermodynamique s’intéresse à l’étude de l’énergie et à sa transformation. Selon ces lois, seule la transformation de l’énergie permet d’augmenter le niveau de néguentropie d’une structure dissipative, ainsi, pour une structure telle que la société humaine cette augmentation de néguentropie par la transformation énergétique correspond à de la production de connaissances, donc une augmentation de l’intelligence.

Les réseaux blockchain du Web3 s’inscrivent dans ces lois thermodynamiques d’une transformation énergétique toujours plus encline à organiser des systèmes plus efficients et intelligents.

Aussi, avant d’être intégrée dans la constitution américaine, la devise « Liberté, Egalité, Fraternité » est issue des principes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 en France. Le Web3 remet au goût du jour ces 3 valeurs républicaines en retrouvant une liberté numérique grâce à l’auto-souveraineté des clés cryptographiques, une égalité grâce aux réseaux-registres distribués et une fraternité au travers des mécanismes d’émission automatisée de jetons numériques.

Ainsi, comme l’évoque Olivier Sichel, Directeur Général Adjoint de la Caisse des Dépôts et Président du Think Do Tank Digital New Deal : « Nous devons créer un Internet des Lumières, européen et humaniste. »

 

1 https://certification.afnor.org/environnement/certification-afaq-iso-14001

2 https://www.afnor.org/energie/faq/cest-quoi-la-norme-iso-50001/