L’emploi en France passe par les Entreprises de Taille Intermédiaire

C’est toujours l’échappée qui fait accélérer le peloton : un tiers des nouveaux emplois viennent ces dernières années de 5 600 unités seulement, les ETI ! C’est là un processus décisif, à comprendre et à encourager. D’abord, l’emploi repart partout en France, avec 240 000 emplois nouveaux en 2017, dont 147 000 dans les services et le reste, soit 88 000 dans… les services de l’intérim. Ceci permet à l’agriculture et à l’industrie d’augmenter leurs effectifs, mais indirectement et temporairement, en souhaitant un rebond plus solide. Positive, cette évolution reflète le fait que la France est une économie de services, mais pas assez nettement car elle ne dit pas ce qui se passe par taille d’entreprises, où pourtant l’essentiel a lieu.

De fait, ce rebond de l’emploi est porté pour plus d’un tiers par les « grosses PME », les Entreprises de Taille Intermédiaire, celles qui occupent plus de 250 salariés (Insee, Les entreprises en France, édition 2017). Entre 2009 et 2015 en effet, celles qui représentent seulement 5 600 unités (sur un total de 2 354 000 en France), ont créé 89 600 emplois sur 254 300, soit 35,2%. Ce n’est pas si mal, comparé aux 121 300 emplois créés par les 954 000 unités légales de moins de 10 salariés, ou encore comparé aux 103 200 crées par les 144 000 unités de 10 à 249 salariés ! Et c’est évidemment mieux que les 59 800 emplois détruits par les unités de 5 000 salariés ou plus.

Ce fer de lance des ETI en France s’explique par un taux de marge élevé (23% pour l’ensemble des secteurs et 30 environ dans le manufacturier), lié à un taux d’exportation autour de 23 % pour les ETI multinationales dans l’ensemble des secteurs, et de 38% pour le manufacturier. C’est cette rentabilité qui permet l’emploi, avec des salaires élevés, et l’exportation.

On comprend à quel point il faut les soutenir. Les fameux « seuils » sociaux, à 10, 20 et 50 salariés représentent pour elles, à chaque fois, un obstacle à franchir. S’il y a ainsi 20 000 entreprises qui ont 10 salariés en 2006, selon l’étude la plus récente de l’Insee (Analyses, n°2, décembre 2011), elles sont 40 000 environ à en avoir 6, ou 7, ou 8, ou 9. Pour le seuil à 20 salariés, 4000 y sont en 2006, mais 7000 en ont respectivement  16, 17, 18 ou 19. Plus nettement encore, 600 en ont pile 50, mais elles sont 1500 à en avoir 46, 47, 48 ou 49.

L’Insee a tenté de simuler ce que serait une répartition lissée des entreprises, sans effet de seuil. Pour les ETI, leur nombre augmenterait de manière marginale. Comme le note l’étude de l’époque : « selon les données de l’OCDE pour l’année 2006, la proportion d’entreprises de plus de 50 salariés parmi celles de 10 à 249 salariés est de 14 % en France contre 18 % en Allemagne. Sur cet écart de 4 points, les effets de seuil ne pourraient expliquer qu’au plus 0,3 point ».

Les effets de seuil existent donc, ils sont significatifs, mais sont plus un reflet qu’une cause. Ils le sont, parce que les marges des entreprises sont faibles. Ce n’est pas « la peur du syndicat » qui est en jeu, ou encore les surcoûts liés aux nouvelles structures de représentation : ce sont ces surcoûts, rapportés à des résultats modestes. Et quant au dialogue syndical, là encore, il est d’autant plus difficile que la rentabilité est faible. En effet, si le problème syndical était si présent, la France serait le pays des robots industriels. Or on en compte  127 pour 10 000 salariés en France, contre 531 en Allemagne !

Pour continuer à créer des emplois, il faudra encourager les entreprises à grossir : les startups à devenir très vite PME, les PME à devenir ETI, les ETI à grossir encore, à l’allemande. Pour cela, il faudra continuer à simplifier les procédures et les normes, à abaisser les charges pour les salaires au-delà de 2,5 SMIC et à diminuer les impôts, sachant que la réforme de l’ISF devrait changer le paysage. En même temps, il faut savoir que les taux d’intérêt vont monter et que, surtout, les tensions inflationnistes peuvent faire repartir les salaires à la hausse.

C’est donc dès maintenant qu’il faut parler intéressement et participation, compléments de retraite, mutuelles et surtout formation. De plus en plus en effet, la formation est le salaire et l’emploi de demain et d’après-demain. Mais pas de formation sans davantage de rentabilité, car c’est aussi l’investissement le plus risqué. Cette rentabilité accrue doit apparaître dans les ETI, pour entraîner ensuite tout le système productif, PME et TPE et startups, et pour convaincre les Grandes entreprises de travailler plus avec elles. Soutenir ces 5 800 ETI, leurs marges et leur formation, c’est le triplet qui paraît le plus rapidement efficace pour croître plus en exportant plus, en faisant accélérer l’ensemble du peloton productif français et en convainquant mieux ce peuple incrédule : nous !

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Fondateur de Betbeze Conseil SAS, Professeur de Faculté en Sciences économiques, Jean-Paul Betbeze a été Chef Economiste du Crédit Lyonnais en 1989 puis du Crédit Agricole (et membre de son Comité exécutif) jusqu’en 2013. Ancien membre du Conseil d’analyse économique auprès du Premier ministre et de la Commission Economique de la Nation, il est membre du Cercle des économistes et Président du Comité scientifique de la Fondation Robert Schumann. Auteur de nombreux ouvrages et rapports, il a rejoint le cabinet en avril 2013 en tant qu’Economic Advisor pour apporter son regard d’expert en analyse économique, conjoncturelle et financière.

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