La récession américaine : quand et comment ?

Récession : c’est un mot horrible en finance et interdit aux banques centrales – surtout pour la banque centrale américaine (la Fed). Pour elle, c’est même l’échec de toute son action. Elle est en effet construite pour procurer la croissance non inflationniste et le plein emploi sur longue période, en incitant à investir et à consommer, avec tout le crédit nécessaire, mais sans plus.

Aujourd’hui, d’après ses prévisions, la Fed est pratiquement arrivée à ses fins. La croissance 2017 serait ainsi comprise entre 2,1 et 2,2%, montant à 1,8-2,2% en 2018 puis à 1,8-2% en 2019, ce qui serait son niveau de long terme. Dit autrement, nous sommes à un an du maximum de croissance aux Etats-Unis ! Le taux de chômage pourrait alors atteindre un minimum de 4% en 2018 et l’inflation monter à 2,1% en 2019, poussant les taux courts à 3,1%. Le maximum d’emploi non inflationniste : nous y sommes presque !

Evidemment, ces prévisions sont « polies ». Elles évitent le mot récession (deux trimestres successifs négatifs) pour laisser penser à un ralentissement auto-stabilisateur. Mais ceci n’arrive jamais : les entrepreneurs veulent toujours s’endetter pour investir – surtout les plus fragiles, les ménages s’endetter pour la maison ou l’automobile – surtout (là-aussi) les plus fragiles. Plus de croissance avec plus de crédit pour jouer les prolongations, avec plus de crédit chez les plus fragiles : c’est toujours ainsi que se jouent les derniers trimestres de l’expansion. Les salaires montent, l’inflation aussi, la croissance fléchit, les marges sont sous pression, et les taux d’intérêt montent. Jusqu’à ce que la croissance bascule.

Mais, pour les Etats-Unis aujourd’hui, les choses risquent d’être plus compliquées encore, car les autorités politiques ne sont pas satisfaites de ce 2% de croissance. Donald Trump parle de 3%, 3,5%, voire de 4%. Les experts ont beau mentionner que 2% est le nouveau potentiel de l’économie, donc que croître plus est difficile et inflationniste, et quasi impossible pour 3,5%, il ne l’entend pas ainsi.

Pour « forcer » la croissance, Donald Trump entend jouer sur plusieurs registres : plus de crédit (en relâchant les conditions d’octroi de prêt), plus de dépenses publiques (un programme de grands travaux), plus de profits (en diminuant les impôts), plus de simplifications (avec une modernisation des administrations), plus d’emplois rapatriés (avec les renégociations des traités d’échanges et une baisse d’impôts pour faire rentrer les 2 200 milliards de dollars de trésorerie « stockés » en Europe)… Mais rien ne sera rapide, d’autant que le taux de chômage, actuellement au plus bas, s’est accompagné d’une baisse du taux emploi à 62,9%, depuis un maximum de 67% en 2002 et de 66,5 % juste avant la crise. On peut donc penser que ceux qui veulent, et surtout peuvent, travailler le font.

La contrainte qui pèse sur la croissance américaine vient donc de la population disponible et surtout formée. La révolution technologique en cours détruit des emplois moyennement qualifiés, avec une pénurie de techniciens hautement qualifiés, tandis qu’à l’autre extrême d’autres pénuries se dessinent aussi, dans la distribution et la construction. Elles impliquent des formations de base, plus faciles et rapides, sachant qu’en même temps les allocations chômage sont sous pression. Mais Donald Trump a restreint l’accès des étrangers les mieux formés à Silicon Valley !

Croître plus vite peut donc emprunter deux voies : l’augmentation de la production potentielle (formation, modernisation et diffusion des nouvelles technologies) ou l’accélération de la croissance par la fiscalité et les grands travaux. La voie de la croissance potentielle est la plus sûre, mais la plus lente. La voie fiscalo-budgétaire est plus rapide, mais plus inflationniste.

Or Donald Trump veut surtout aller vite, pour des raisons politiques, liées aux élections mid-term, et peut-être à un second mandat, nul ne sait. Dans les deux cas, il a intérêt à forcer la croissance, au risque de l’inflation, et de la récession – la Fed devant alors monter les taux plus et plus tôt que prévu. La récession américaine pourrait donc se rapprocher, si Donald Trump, et les marchés financiers, trouvaient que 2% de croissance c’est décidément trop lent, dans ce monde qui change si vite.

La vérité est que le monde va plus vite, mais qu’il faut s’adapter à la vitesse du capital humain ! C’est en capital humain qu’il faut investir beaucoup et toujours : le rendement n’est peut-être pas immédiat ou spectaculaire, mais il a l’avantage d’être stable et durable. La récession, c’est le prix de l’impatience.

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Photo by Jp Valery on Unsplash.

Fondateur de Betbeze Conseil SAS, Professeur de Faculté en Sciences économiques, Jean-Paul Betbeze a été Chef Economiste du Crédit Lyonnais en 1989 puis du Crédit Agricole (et membre de son Comité exécutif) jusqu’en 2013. Ancien membre du Conseil d’analyse économique auprès du Premier ministre et de la Commission Economique de la Nation, il est membre du Cercle des économistes et Président du Comité scientifique de la Fondation Robert Schumann. Auteur de nombreux ouvrages et rapports, il a rejoint le cabinet en avril 2013 en tant qu’Economic Advisor pour apporter son regard d’expert en analyse économique, conjoncturelle et financière.

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