Le réveil de deux inflations : la technique et la classique

L’inflation s’est réveillée, changée. Aux Etats-Unis, nous sommes au-delà de l’objectif de 2% d’inflation. L’inflation « totale », qui intègre les données économiques et financières, se monte à 3,14% en mars, selon les derniers calculs de la Banque de réserve de New-York. L’inflation « sous-jacente », hors nourriture et énergie, atteint 2,9% si l’on annualise la hausse des trois derniers mois et 2,1% sur un an, sachant que l’inflation courante est à 2,1%. Sur les mêmes bases, les prix à la production montent de 3,5% sur les trois derniers mois et de 3% sur un an.

En Allemagne, on annonce 1,8% d’inflation en 2018 et 1,9% en 2019, les salaires ayant régulièrement repris de la vigueur. En zone euro, l’inflation remonte à 1,4% en mars 2018, après 1,1% en février. En France enfin, l’inflation accélère à 1,6% en mars. On dira que « c’est la faute au tabac » (+13,2 sur un mois, mais pour un poids de 1,9% dans l’indice). Mais ce sont les prix de produits manufacturés et surtout des services qui rebondissent.

Un constat global s’impose : l’inflation s’est réveillée. Mais ce n’est plus la même. Il y a en effet quatre façons classiques de « faire de l’inflation » : par la hausse des salaires (mais lesquels, c’est la question ?), par celle du pétrole, par la TVA et par l’inflation importée, avec un taux de change qui baisse. Et chaque fois, bien sûr, il faut plus de monnaie, pour la permettre et l’accompagner. Mais rien de tout cela n’est mécanique.

Voilà en effet des années que la monnaie est abondante comme jamais, et quasi gratuite partout, trois ans que le chômage a quasiment disparu aux Etats-Unis et en Allemagne, mais les salaires y montaient peu et l’inflation moins encore. Tel n’est plus le cas depuis quelques mois. L’inflation se réveille, avec retard, dans un paysage social profondément fracturé. Fracturé du fait des conséquences de la crise passée (les subprimes) et surtout de la révolution industrielle en cours, celle de l’Intelligence Artificielle. Entre correction des excès passés et débroussaillage du nouveau monde, l’inflation se fraye un nouveau chemin, intermédiaire.

L’histoire de cette nouvelle combinaison, inflation nouvelle + inflation classique, commence aux Etats-Unis. Le taux de chômage est toujours très bas, à 4,1% de la population active, mais avec un taux d’utilisation des capacités installées à 78%. Or jamais l’écart n’a été aussi grand entre la mobilisation de la main-d’œuvre et celle des équipements. « Avant », pour un taux de chômage à 4,5%, les machines tournaient à 80% de leur capacité (mi-2006) et à 82% pour un taux de chômage à 4% : c’était fin 2000. Voilà donc que le plein emploi actuel fonctionne avec 4% du capital inutilisé, par rapport à 2000 ! Trois explications : une part du capital est déclassée et non remplacée, et les seuls salaires qui montent viennent des experts, tandis que la masse des emplois créés le sont dans des services peu ou pas qualifiés. L’inflation s’alimente alors à deux sources : les fortes hausses de salaires de quelques experts, plus celles, modestes, des très nombreux embauchés dans les services de proximité (santé, restauration, distribution…). Modestes, parce qu’elles viennent avec une faible productivité.

Une histoire voisine se dessine en Allemagne, combinant (forte) hausse des salaires dans l’industrie et hausse politique (à venir) dans les services. Dans l’industrie, le taux d’utilisation des capacités dans le manufacturier est à 88%, comme en début 2008, et le taux de chômage est à son plus bas depuis la réunification. La pénurie de main-d’œuvre est partout. En février, les salariés de la sidérurgie du Bade-Wurtemberg obtiennent une augmentation de 4,3%. Fin 2017, le coût du travail dans l’industrie manufacturière et la construction augmente de 2,2%. Pendant ce temps, la hausse des salaires dans les services n’a été que de 1,2%, mais ceci avant les dernières décisions liées à la nouvelle majorité. Elles auront leurs effets : investissements en infrastructures, hausse des petites retraites, revalorisation des allocations familiales, augmentation du nombre de crèches et écoles ouvertes toute la journée… L’inflation « industrielle et technologique » est là et bien là, celle des services de proximité va suivre.

Et en France ? L’inflation salariale est en cours. Pour le travail peu ou pas qualifié, le SMIC a augmenté de 1,2% début janvier, plus que les deux années précédentes. Pour le travail plus qualifié, le Salaire Moyen Par Tête devrait monter de 1,2% au premier semestre 2018, contre 0,9% au précédent. Même si le processus est plus lent qu’aux Etats-Unis et en Allemagne, il se met en place… avec un taux de chômage de 8,9%.

Le réveil de l’inflation est double : celui, violent, lié aux salaires des spécialistes dans les nouvelles technologies plus celui, modéré, venant des services de base, largement par des effets d’indexation.

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Fondateur de Betbeze Conseil SAS, Professeur de Faculté en Sciences économiques, Jean-Paul Betbeze a été Chef Economiste du Crédit Lyonnais en 1989 puis du Crédit Agricole (et membre de son Comité exécutif) jusqu’en 2013. Ancien membre du Conseil d’analyse économique auprès du Premier ministre et de la Commission Economique de la Nation, il est membre du Cercle des économistes et Président du Comité scientifique de la Fondation Robert Schumann. Auteur de nombreux ouvrages et rapports, il a rejoint le cabinet en avril 2013 en tant qu’Economic Advisor pour apporter son regard d’expert en analyse économique, conjoncturelle et financière.

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