Le tweet dans le pied

Il est un point sur lequel tout le monde s’accorde aux Etats-Unis et en Europe : la Chine ne devrait plus bénéficier du statut de pays en développement au sein de l’Organisation du Commerce mondial (OMC). Elle est désormais assez riche pour être rangée parmi les pays développés comme les autres et elle devrait en conséquence être astreinte à respecter les droits de propriété et ouvrir librement ses marchés aux investisseurs étrangers. La question est de savoir comment on l’y contraint.

Donald Trump a une méthode, le bâton protectionniste, et une certitude, la Chine a plus à perdre que les Etats-Unis dans une guerre commerciale, puisqu’elle est en excédent, elle va donc céder. Le président américain, qui vient de remporter une victoire en faisant plier le Mexique et le Canada pour réviser l’Alena, l’accord de libre-échange nord-Atlantique, s’estime renforcé dans sa thèse. Il va maintenant s’attaquer à sa véritable cible.

Cette stratégie belliciste appelle trois remarques.

La première est que rien ne permet, pour l’heure, de se féliciter si vite de la révision de l’Alena. Trump pense avoir réussi à renégocier le Traité « en faveur des ouvriers américains », comme il l’avait dit. Les automobiles importées aux Etats-Unis vont devoir incorporer plus de composants fabriqués dans la zone (en Amérique du nord) et 40% de la valeur devra être élaborée dans des usines par des ouvriers avec des salaires supérieurs à 16 dollars. Donald Trump se félicite d’avoir fait s’incliner le Mexique et la Canada, il emporte une victoire contre « le dumping ».

Pour l’heure, la seule certitude est que les voitures vont coûter plus cher aux Etats-Unis et qu’elles seront plus difficilement exportables. Pour ce qui concerne l’emploi, il faudra attendre la réaction des constructeurs. Vont-ils vraiment rapatrier des emplois aux Etats-Unis ? Ou bien vont-ils trouver le moyen de s’arranger avec les nouvelles règles pour annoncer en fanfare une nouvelle usine à Detroit et plaire à Trump, mais sans rien changer sur le fond ?

La seconde remarque porte sur l’affrontement engagé contre la Chine de façon erratique et sans allié. Les négociateurs désignés sont incertains : est-ce Mike Pence, le vice-président, ou bien Jared Kushner, le gendre du président ? La ligne est un zig-zag. En mai, Washington a publié une liste de 140 mesures que doit accepter Pékin allant de l’achat de pétrole et de produits laitiers américains à l’ouverture des marchés. Pékin a répondu par un oui (timide) pour un tiers et un non ferme pour un autre tiers, au motif de sécurité nationale (comme l’ouverture du cloud informatique aux firmes américaines). En tout cas, les discussions étaient engagées. Mais Trump les a rompues le 17 septembre par un tweet qui annonçait sa décision de taxer plus de la moitié des exportations chinoises. Depuis, le président et le vice-président multiplient le tir de roquettes contre Pékin, accusé de s’immiscer dans les élections de mid-term, « à la russe » si l’on peut dire. Pékin prend très mal cette stratégie sinueuse et insultante.

L’autre faiblesse de l’offensive américaine est d’avoir commencé à « se faire les dents » sur les alliés, nord-américains et européens. Tous sont d’accord sur la « triche » des Chinois et le but, mais ils aimeraient être associés à la discussion plutôt que servir de marche-pied.

La troisième remarque est sur le fond. Le protectionnisme est-il une solution pour faire avancer la cause d’un commerce international « plus équitable » ? Certes, les pays excédentaires profitent des autres, ils exportent leur chômage. Mais les pays en déficit sont les premiers responsables de leur malheur, par faute de compétitivité. Les Etats-Unis, qui sont en négatif vis-à-vis de tout le monde, sont moins les victimes naïves du mercantilisme des autres, comme le prétend Donald Trump, qu’un pays qui vit tout simplement au-dessus de ses moyens. La politique fiscale de Trump n’a fait qu’alourdir ce handicap.

Selon La BCE (Banque centrale européenne), une guerre commerciale ne serait pas facilement gagnable par l’Amérique, bien au contraire. La hausse de 10% des droits de douanes par la Maison Blanche, suivie par 10% des hausses des autres pays en représailles, coûterait aux Etats-Unis un demi-point de hausse des taux d’intérêt, 16 % de baisse pour Wall Street et une chute de la croissance de 1,5 point. La Chine, de façon inattendue, bénéficierait de cette guerre parce que, sur les marchés mondiaux, leurs produits gagneraient des parts de marchés contre les produits américains devenus plus chers. Cet avantage diminuerait avec le temps, mais les calculs de la BCE vont à l’encontre des certitudes de M.Trump. Il ne s’agit là que des effets économiques directs, sans évoquer les effets négatifs sur la « confiance » des ménages comme des entreprises.

En clair, la guerre commerciale est loin d’être « gagnée d’avance » par l’Amérique. Le masque va tomber.

Editorialiste au journal Les Echos et à L’Opinion, Eric Le Boucher est co-fondateur du magazine en ligne Slate.fr. Il a travaillé au Monde de 1983 à 2011. Il a été membre de la Commission pour la libération de la croissance française dite « Commission Attali ». Il est également membre puis président du Codice, Conseil pour la Diffusion de la Culture Economique. Il est membre du conseil scientifique du CEPII (Centre d’études prospectives et d’informations internationales). Il est l’auteur de « Mémoires volées » (Ramsay,1979), « Economiquement incorrect » (Grasset, 2005), «Les saboteurs » (Plon 2014).

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