Les « Open Badges » ont été lancés en janvier 2012 par la fondation Mozilla grâce au soutien de la fondation MacArthur. Leur développement est aujourd’hui soutenu par l’IMS Global Learning Consortium qui s’emploie à amplifier l’interopérabilité entre les solutions techniques fournies par les acteurs du secteur de l’éducation et de la formation dans toutes ses dimensions : cursus, évaluation, plateforme logicielle, certification, métier, norme d’indexation de contenus… La jeune organisation très prometteuse « LRNG » a rejoint le mouvement récemment. Avec des parrains comme EDUCAUSE, IBM, Intel, Microsoft, la NASA, ou encore le département éducation de la ville de New York, les « Open Badges » ont de beaux jours devant eux.
Ces nouvelles technologies sont des certifications avant tout, arborées par leurs bénéficiaires : elles attestent qu’ils détiennent les compétences décrites au cœur de la certification ; elles sont délivrées par des acteurs traditionnels de l’enseignement et de la formation mais aussi par d’autres entités, entreprises, associations, qui pallient certaines lacunes (défaut d’inscription au registre des diplômes reconnus par l’Etat – registre RNCP) par la puissance de leur marque ou la domination de leurs services. Comme leur nom l’indique, elles sont numériques, et même si les représentations graphiques de certains badges sont de véritables œuvres d’art, elles sont rarement accrochées aux murs mais nourrissent plutôt les réseaux sociaux, portfolio numériques et autres sacs à dos digitaux.
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En effet, un « Open Badge » n’est ni plus ni moins qu’un tableau de données transformé en un bout de code comprenant plusieurs données. On y retrouve l’identité de l’entité qui certifie et émet le badge, celle de son bénéficiaire, des éléments relatifs à la nature du badge, son nom, son logotype générique, les compétences dont il assure la détention par le bénéficiaire, les prérequis, conditions et preuves de cette détention, la date d’émission et éventuellement d’expiration, ainsi que d’autres informations en rapport avec l’écosystème dans lequel le badge s’intègre, tels que des mots-clés permettant l’association du badge avec d’autres badges ou son alignement avec d’autres standards de certification reconnus. Le badge est délivré sous forme d’un fichier image unique, une sorte de « token », intégrant des informations ; une signature chiffrée y est parfois associée : son détenteur détient à la fois le badge et l’accès à un service permettant de prouver son authenticité.
Le marché des badges, appelés aussi « micro-certifications numériques », se développe dans le monde anglo-saxon. Plusieurs standards de micro-certification structurent aujourd’hui le marché. Certains sont des modèles propriétaires comme les « nanodegrees »[1] de la société Udacity, d’autres sont des ouverts comme les « Open Badges »[2] de la fondation Mozilla. Ces derniers sont les plus populaires aujourd’hui car ils peuvent être mis en oeuvre par toutes les organisations qui le souhaitent et proposent une interopérabilité et une pérennité assurées par un écosystème d’acteurs de plus en plus nombreux : plus de 3 000 organisations à travers le monde créent et attribuent ce type de micro-certifications numériques aujourd’hui[3]. Les universités, les ONG et les administrations sont encore en tête mais les entreprises leur emboitent le pas, notamment celles des technologiques numériques de pointe qui ne peuvent pourvoir les métiers de demain avec les certifications d’hier. La micro-certification en format numérique renverse la table : les entreprises qui étaient plutôt consommateurs de certifications par le biais du recrutement ou de la formation continue deviennent des producteurs, la granularité fine remet en cause la domination des diplômes ou formations longues et devrait inciter les organismes certificateurs à s’adapter rapidement aux nouveaux besoins et parcours des apprenants.
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Les avantages des open badges sont différents selon les organisations qui les utilisent. Pour les universités, c’est un bon moyen de diversifier leur offre certifiant et diplômante, de favoriser la rétention des étudiants en leur permettant d’aller à leur rythme en accumulant des micro-certifications qui par concaténation peuvent déboucher sur l’obtention de diplômes. Les blocs de compétences sont de taille plus modeste que pour des diplômes ou certifications traditionnelles, mais ils ont l’avantage d’être cumulatifs. Ils facilitent l’articulation entre diplômes et certifications : les contenus des blocs de compétences des curriculums longs sont élaborés avec une granularité plus fine. Les open badges permettent également de mutualiser des blocs de compétences communs à plusieurs filières : le bloc de compétences acquis au cours de l’obtention d’un diplôme X peut également être valorisé pour l’obtention d’un diplôme Y.
Dans le cadre de la formation continue, l’université peut élaborer des contenus de formation plus proches des besoins du marché, les déployer de manière plus réactive, pour favoriser l’employabilité des bénéficiaires et l’attractivité de leur offre. Les organismes certificateurs peuvent gérer leur population de badges en utilisant les outils d’analyse de données comme par exemple le cycle de vie des badges, pour ceux auxquels une date d’expiration est associée. L’analyse des données sur une collection de badges assiste efficacement un examinateur dans l’analyse des prérequis dont dispose un candidat pour une équivalence ou un processus de validation des acquis de l’expérience (VAE).
Pour les entreprises, les bénéfices sont également nombreux. D’abord, le gain d’autonomie n’est pas négligeable. Créer ses propres badges, c’est avoir l’assurance de pouvoir aligner les certifications de ses collaborateurs avec la stratégie de l’entreprise : les certifications et diplômes d’Etat ne répondent pas aux besoins des entreprises face à des métiers émergents ; ils correspondent parfois à des cursus longs dont l’acquisition certifiée d’un seul bloc de compétences est véritablement important pour l’entreprise.
Cet alignement stratégique peut poursuivre plusieurs objectifs :
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Pour les bénéficiaires qu’ils soient étudiants ou professionnels, les avantages sont également nombreux. Pour la plupart d’entre eux, la micro-certification est le moyen de faire valoir des compétences qu’ils ne pourraient pas se voir reconnaître autrement. Par exemple, pour certains, les diplômes et certifications sont trop coûteux financièrement ou demandent trop d’investissement en temps. Plus l’offre de micro-certifications sera développée, plus le bénéficiaire aura l’occasion de traduire les compétences acquises lors de la mise en œuvre d’un projet par un badge, s’assurant ainsi d’un développement professionnel reconnu, en harmonie avec son activité professionnelle : c’est en forgeant qu’il pourra faire reconnaître ses compétences de forgeron.
Son employabilité est ainsi renforcée tout au long de sa carrière, les badges permettant même de développer des stratégies pour l’accroître : choisir son employeur selon les badges qu’il délivre et la côte de ces badges sur le marché de l’emploi pourra bientôt être un moteur puissant de mobilité professionnelle. Une fois le marché des micro-certifications mature, le bénéficiaire de badges pourra évaluer finement la valeur de sa collection et par là-même disposer d’informations plus justes lui permettant de mieux gérer son orientation professionnelle, voire sa négociation salariale. Enfin, comme les « Open Badges » soit standardisés, leurs détenteurs sont assurés de pouvoir les capitaliser lorsqu’ils changent d’environnement de formation ou d’employeur, de pouvoir les ordonner en collections et les diffuser sur des plateformes sociales.
Les micro-certifications numériques vont impacter la fonction formation des entreprises, la gestion des connaissances, de la mobilité interne, le recrutement et bien d’autres processus comme la validation des acquis de l’expérience. Pourtant, ce n’est pas en interne que leur potentiel disruptif est le plus fort. Elles vont permettre à des organisations de gagner en indépendance dans le domaine de la certification, voire de concurrencer les organisations qui sont spécialisées dans la fourniture de certifications. IBM, dans les métiers du cloud ou de l’intelligence artificielle, propose des « Open Badges » ciblés qui assurent une employabilité très forte à ses détenteurs et cela sans avoir recours à un organisme certificateur ou un établissement d’enseignement supérieur. Microsoft, pour ses très nombreuses certifications, s’est associé à un nouvel entrant, Acclaim, spécialiste de la micro-certification numérique. Tout en restant proches des standards gérés par des tiers de confiance, Etats, organismes internationaux, universités, ces nouvelles formes de certifications promeuvent réactivité et agilité face aux nouveaux métiers de l’intelligence artificielle, du big data, de la robotique, de la réalité virtuelle…
Pour les universités et les organismes de formation, l’adaptation à ces nouvelles pratiques va nécessiter une évolution culturelle importante sous peine de voir se développer un marché parallèle de l’apprentissage. Car ces micro-certifications ne définissent pas seulement une série de compétences acquises par son détenteur en se limitant à expliquer comment la détention de ces compétences a été mesurée. Elles explicitent le parcours que l’apprenant doit suivre pour acquérir la micro-certification, les projets qu’il doit avoir effectués, les ressources dont il doit avoir pris connaissance : ce sont de véritables « pathways » ou « playlists » qui sont documentés dans certaines micro-certifications ; elles déterminent un programme, un ensemble de séquences pédagogiques à suivre[4]. La micro-certification apporte ainsi une approche structurée comme celle que peut proposer un établissement de l’enseignement supérieur, tout en privilégiant un apprentissage concret constitué exclusivement de démarches projet et d’activités de production : c’est un dispositif qui devrait pousser les établissements d’enseignement supérieur à améliorer leur offre, à montrer qu’ils ne sont pas seulement des dispositifs servant à délivrer des certifications ou diplômes.
D’autant plus que les micro-certifications numériques augmentent l’engagement des apprenants : elles peuvent soutenir la dématérialisation d’une offre de formation. Pour le fondateur de Udacity, Sebastien Thrun, pionnier du MOOC, il s’agit même de la panacée pour relancer les cours massifs en ligne critiqués pour leur taux d’abandon tout aussi massif et leur valeur très relative sur le marché de l’emploi : partenaires des géants américains de la tech, Udacity rembourse les bénéficiaires de ses nanodegrees qui ne trouveraient pas d’emploi et fait miroiter des salaires mirobolants pour des métiers en tension.
Pour certaines entreprises déjà mâtures en matière de développement professionnel de leurs collaborateurs, comme Véolia ou Airbus[5] par exemple, qui se sont déjà lancées dans la formation professionnelle initiale, les micro-certifications numériques sont le prochain pas permettant de s’affranchir d’autres acteurs pour gagner encore en autonomie et en réactivité dans ce domaine. Sans compter que le coût d’entrée est faible : des usines à badges, c’est-à-dire des plateformes logicielles hébergées à distance, dont certaines sont gratuites et libres de droit, permettent de se lancer à moindre frais. Quelques heures suffisent pour émettre son premier badge. Grâce à leurs fonctions avancées, ces solutions se chargent même de gérer les collections de badge et leurs détenteurs, fournissant même à ces derniers un sac-à-dos numérique pour leur stockage ou leur diffusion. La question à se poser n’est donc pas de savoir combien ça coûte mais quelle valeur cela apporte. L’enjeu principal n’est pas de savoir comment créer un badge mais de savoir ce que je risque à ne pas intégrer cette technologie dans ma stratégie.
N’hésitez pas à nous contacter si vous souhaitez être accompagnés sur le sujet.
Billet rédigé par : Julien Llanas et Magued Abdel Maaboud
[1] Site de la société Udacity, consulté le 23/01/2017 : https://www.udacity.com/nanodegree
[2] Site de la section « Open Badges » de la Mozilla Foundation consulté le 23/01/2017 : https://openbadges.org
[3] Cf. article de la section « Open Badges » de la Mozilla Foundation consulté le 23/01/2017 : https://openbadges.org/get-started/issuing-badges/#whosissuingopen
[4] Cf. projet « evolution of learning » de l’ONG LRNG soutenu par la fondation MacArthur : https://vimeo.com/141008363
[5] L’entreprise Véolia a ouvert un campus de formation intégré au groupe et reprenant la forme d’un centre de formation d’apprentis, le groupe Airbus accueille en son sein un lycée professionnel privé.
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