Article écrit avec la collaboration d’Asli Oncel, consultante Risk Advisory.
L’année 2020 marque une étape majeure pour l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) en termes de progrès dans la quantification des risques climatiques. Les résultats publiés le 4 mai 2021 découlent du premier exercice bottom-up de stress test climatique réalisé par une autorité de supervision avec un tel niveau d’exigence et d’exhaustivité.
L’ACPR a partagé les résultats du premier exercice de résilience mené par 9 groupes bancaires français et 22 assureurs (15 groupes d’assureurs) représentant respectivement 85% du total des actifs des banques françaises et 75% des provisions techniques et actifs des assureurs français. Les institutions financières qui se sont portées volontaires pour l’exercice ont accéléré la mobilisation de leurs équipes et des ressources pour quantifier les risques complexes de transition ainsi que les risques physiques. Cet exercice pilote couvre un horizon de 30 ans, selon quatre scénarios climatiques différents – trois scénarios avec des vitesses de transition variables, de la plus désordonnée à la plus ordonnée (alignés sur les ambitions de la Stratégie Nationale Bas Carbone et basés sur le travail du NGFS) et un scénario basé sur les risques physiques.
L’objectif de l’exercice est multiple :
Avril 2019 | Analyse des questionnaires ad hoc pour obtenir une évaluation préliminaire. |
Mai 2020 | Publication des scénarios et hypothèses provisoires de l’exercice par l’ACPR pour consultation ; publication du cadre analytique par la Banque de France. |
Décembre 2020 | Remise des résultats par les banques et assurances |
Avril 2021 | Publication des résultats |
Mai 2021 | Après cet exercice pilote, les résultats obtenus seront suivis par la mise en place de nouveaux groupes de travail. |
2023/2024 | Date prévue du prochain exercice |
La France et des régions transnationales ont été couvertes afin de voir l’impact différencié compte tenu de l’envergure internationale des grands groupes bancaires et d’assurance français. Une approche sectorielle a été utilisée sur 55 secteurs pour capter l’effet des différentes politiques de transition.
Un ensemble de scénarios climatiques alignés avec l’objectif de neutralité carbone d’ici 2050 :
Pour l’analyse des risques de transition des banques, la méthodologie consiste à utiliser les scénarios de référence et 3 modèles du NGFS et à traduire les scénarios de transition obtenus à partir des modèles climatiques en variables macroéconomiques, sectorielles, financières et au niveau des entreprises.
Hypothèses principales :
Pour les risques de marché, les spreads de crédit actions et entreprises, les spreads de crédit souverain, les matières premières (uniquement les positions liées au pétrole) et enfin les instruments de taux d’intérêt ont été étudiés pour calculer les pertes projetées.
Une transition désordonnée affecte significativement le risque de crédit des banques même si l’ampleur est plus faible que les stress tests biannuels puisque les scénarios de transition ne prennent pas en compte une baisse du PIB.
Risque de crédit : En 2050, le coût du risque est plus élevé dans le scénario de transition soudaine, suivi par le scénario retardé et le scénario ordonné. Le secteur de l’assainissement et de la collecte des déchets a connu la plus forte évolution de la probabilité de défaut dans les scénarios soudain et ordonné. Globalement, l’exercice confirme que les scénarios de transition, surtout lorsqu’ils sont désordonnés, sont bien une source de risque supplémentaire pour les banques françaises par rapport à un scénario de transition ordonnée.
Risque de marché : Les pertes enregistrées sont relativement modestes par rapport aux stress tests standards tels que ceux habituellement réalisés par l’Autorité bancaire européenne (EBA). L’impact instantané des scénarios de transition sur les six premiers établissements bancaires atteint 160 millions d’euros dans le cas d’une transition soudaine et 69,6 millions d’euros dans le cas d’une transition retardée. Les chocs ont été appliqués à une petite partie du portefeuille ; il reste donc du travail à faire pour intégrer la dimension sectorielle dans l’analyse du risque de marché. L’analyse du risque de contrepartie – mesuré en utilisant l’impact du défaut des deux plus grandes contreparties de l’institution -, montre un impact total sur les six plus grandes banques de l’ordre de 190 millions d’euros et 145 millions d’euros respectivement dans les scénarios de transition soudaine et retardée. L’évaluation du risque de marché pose des problèmes méthodologiques et s’apparente à un exercice de sensibilité.
L’exercice inclut l’exposition indirecte des banques au risque physique, sous l’hypothèse d’une augmentation de l’écart de protection d’assurance pour certains actifs en raison de l’augmentation du coût et de la fréquence des événements climatiques extrêmes pour les portefeuilles garantis par des biens immobiliers (particuliers et entreprises) et le portefeuille d’entreprises (secteurs vulnérables). En raison de contraintes de temps et de la livraison tardive des hypothèses, les banques n’ont pas été en mesure de lancer des travaux spécifiques sur ces questions.
Le premier défi est d’identifier les expositions sensibles au risque physique avec des implications différentes selon le type de portefeuille. Pour les biens immobiliers, les établissements devraient disposer de manière centralisée des informations relatives à la localisation du client lié à ce bien. Pour le portefeuille d’entreprises, la disponibilité des données est également faible.
La méthodologie est elle-même limitée par la disponibilité restreinte des données nécessaires pour différencier les risques au sein des portefeuilles, en particulier dans le portefeuille d’entreprises. Les banques entreprennent des travaux importants dans ce domaine, principalement des travaux ad hoc (au niveau local) sur des segments de portefeuille très localisés ou pour des risques spécifiques (par exemple, les inondations côtières), l’objectif étant de développer une compréhension plus fine sur des périmètres plus restreints.
Les assureurs sont davantage impactés par les risques physiques (sécheresse, inondations et tempêtes cycloniques dans les territoires d’outre-mer). Leur exposition actuelle aux secteurs potentiellement à risque en cas de chocs liés au risque de transition reste limitée à environ 17% de leurs actifs totaux. L’impact de ce risque est donc limité et la dynamique sur 30 ans est accentuée compte tenu des engagements des assureurs d’atteindre la neutralité carbone à horizon 2030. L’effet principal des scénarios de transition est la baisse des taux d’intérêt prévue dans les scénarios pour compenser le ralentissement économique.
Compte tenu de la faible exposition des assureurs à travers leur détention obligataire et action, les participants à l’exercice ont généralement conservé leurs stratégies d’allocation inchangées. Concernant l’exposition obligataire, les secteurs les plus émetteurs de carbone représentaient 0,5% des expositions obligataires des assureurs.
A la différence du risque de transition, l’évaluation des impacts du risque physique montre un impact significatif : le coût des sinistres pourrait être multiplié par 5 à 6 dans certains départements français entre 2020 et 2050 du fait des risques sécheresse, inondation et tempêtes cycloniques. Cela conduirait à une hausse des primes de 130% à 200% sur 30 ans pour couvrir ces pertes.
Concernant le péril CatNat, les participants ont principalement opté pour un maintien du ratio S/P (Sinistres sur Primes) tout au long de la projection. Par conséquent, les primes augmentent entre 130% et 200 % sur 30 ans selon la catégorie, soit une hausse des primes d’assurance comprise entre 2,8 % et 3,7 % par an.
Sur les périls Santé, l’impact des pandémies et de la pollution de l’air dont la sinistralité augmente fortement au global est hétérogène par région. Il est à noter que les participants à l’exercice n’ont pas tous opté pour des augmentations tarifaires.
Les méthodologies de stress tests climatiques présentent des limites, et des travaux complémentaires doivent être menés sur quatre sujets :
Des ressources plus nombreuses ainsi qu’une réflexion transversale sont nécessaires pour mieux comprendre l’impact du changement climatique sur les modèles d’entreprise.
Une mobilisation transversale des équipes est nécessaire pour l’analyse des risques climatiques afin de mener des réflexions internes sur l’analyse des risques et les limites des modèles actuellement utilisés, mais aussi pour créer des orientations stratégiques. Ce travail permettra une meilleure compréhension commune des enjeux et de l’impact du changement climatique.
L’exercice et les difficultés rencontrées soulignent la nécessité d’une meilleure disponibilité des données liées au climat au niveau de l’UE (données sur les dommages physiques, risques de transition). La révision des directives sur les rapports non financiers contribuera à combler le manque de données. Les normes financières telles que les IFRS doivent également être révisées afin d’intégrer l’analyse à long terme, car cela peut conduire à une accumulation artificielle d’expositions en défaut dans l’analyse à 30 ans.
Bien que le rapport comprenne des conclusions détaillées et actionnables, un long chemin reste encore à parcourir pour améliorer les méthodologies de stress tests afin de renforcer la quantification des risques de transition et des risques physiques.
En mettant en parallèle ces travaux avec les conclusions du rapport récemment publiés par le BIS sur l’état d’avancement des méthodologies existantes, on peut considérer que les modèles mis en œuvre par les institutions dans le cadre de cet exercice devront également évoluer structurellement afin de pouvoir, d’une part, assurer une cohérence à un niveau sectoriel plus granulaire que les stress tests usuels et, d’autre part, permettre d’intégrer des hypothèses d’ajustement de business model sectoriels et différenciés au niveau au moins de principaux contributeurs.
Nul doute cependant sur le fait que ce premier exercice devrait faire l’objet de suite, et pourrait viser dans un horizon relativement court terme à prendre en compte explicitement le risque de transition climatique dans le cadre du Pilier 2 notamment.
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