Loin des grandes villes, la mobilité n’est pas une fatalité

« Indispensable ». En-dehors des grands centres urbains, « dans les territoires », comme on dit, la voiture, coûteuse et énergivore, serait « indispensable ». Fermez le ban, la discussion est terminée. Mais de quels « territoires » parle-t-on exactement ?

Les transports performants ne sont pas réservés aux seuls habitants des métropoles. Les villes moyennes, Besançon, Pau, La Rochelle, mettent en place des tramways ou des bus dotés de voies réservées. Entre les petites villes, traversant l’Indre ou le Finistère, les transports interdépartementaux, trains ou autocars, partent et arrivent à l’heure, mais sont rarement pleins. Les villages pavillonnaires en forte croissance démographique et desservis par le réseau urbain ne figurent pas la même « zone rurale » que les villages isolés, mal raccordés à tous les réseaux.

Par ailleurs, le soulèvement qui éclate en cet hiver 2018-19 ne s’explique pas tant par l’opposition, amplement caricaturée, entre deux France irréconciliables, « villes » contre « campagnes », que par un aménagement anarchique. Après des décennies d’étalement urbain, les pouvoirs publics continuent à disperser les emplois et les équipements toujours plus loin, à construire des centres commerciaux périphériques dont le consommateur n’a pas besoin, à tracer des rocades censées désenclaver, mais qui éloignent surtout. En conséquence, les transports collectifs subissent la concurrence féroce de la voiture individuelle.

Dans les petites villes comme à la campagne, de nombreuses initiatives contribuent à limiter le recours à la voiture. Il faut en mentionner certaines, parce qu’il s’agit d’actions concrètes. Le réseau Citiz, présent dans 100 localités en France, propose ses véhicules en autopartage à Bourgoin-Jallieu (Isère), Firminy (Loire) ou Louhans (Saône-et-Loire). Le dispositif permet d’emprunter une voiture, en cas de besoin, sans avoir à en supporter les frais.

Rezo Pouce, imaginé par un habitant de Moissac (Tarn-et-Garonne) en 2010, propose une sorte d’autostop organisé dans de nombreuses régions rurales. Des militants résolus, membres d’associations pro-vélo, réclament à leurs élus des aménagements sécurisés à Saint-Brieuc, à Montbéliard ou à Niort, afin que les salariés puissent parcourir en toute sécurité les quelques kilomètres qui les séparent de leur travail. Quelques maires pragmatiques rouvrent des sentiers oubliés pour permettre aux enfants du village d’aller à l’école à pied.

Bien sûr, chacune de ces initiatives, qui pour la plupart émanent du secteur privé, ne prétend pas répondre à tous les besoins. Mais elles ont le mérite d’exister, malgré le scepticisme et, parfois, les moqueries. Tout ceci pourrait être amélioré. D’abord en portant ces solutions à la connaissance de tous. Ou en assurant l’interconnexion entre les opérateurs, comme ces compagnies d’autocar qui circulent dans la communauté d’agglomération d’Evreux mais ne disposent pas des mêmes arrêts ni d’horaires compatibles.

La technologie peut aider. Pas nécessairement en équipant chaque territoire de véhicules autonomes. Mais en agrégeant les données des différents opérateurs. Dans leur jargon, les spécialistes des transports appellent cela Maas, pour « mobility as a service », qui permet à chacun, grâce à une application, de trouver son mode de transport et son itinéraire. Et pour convenir à ceux qui ne possèdent pas de smartphone, ceci implique la formation d’un personnel spécifique. Des agents spécialisés, qui seraient en charge des services à la mobilité, comme il existe des services à la personne. Des emplois locaux, non délocalisables.

Journaliste indépendant, Olivier Razemon travaille notamment pour Le Monde. Voyageur et observateur du monde d’aujourd’hui, il écrit de nombreux articles sur les transports, l’urbanisme et les modes de vie. Aux éditions Rue de l’échiquier, il a publié « Comment la France a tué ses villes » (2016), « Le Pouvoir de la pédale » (2014), « La Tentation du bitume » (2012) et « Les Transports, la planète et le citoyen » (2010).

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