A l’époque où nous avons créé cette association, personne ne voyait l’économie numérique comme ce qu’elle devrait être, à savoir l’un des piliers de la reconstruction économique française. Rappelons-nous des enjeux de la campagne présidentielle de 2012. Lorsqu’on parlait d’économie, on parlait de Florange. La question était de savoir comment faire en sorte que le passé dure le plus longtemps possible. Et lorsqu’on parlait de numérique, on parlait d’Hadopi, et donc de droits d’auteurs et de restriction.
Dans le même temps, l’économie numérique montrait un incroyable dynamisme, une énergie à même de créer le futur, mais personne n’en parlait. L’un des points de départ de France Digitale était donc de faire ressortir cette facette alors inconnue de ce secteur, et de faire en sorte que les gens se l’approprient pour construire un avenir glorieux. Le deuxième constat qui nous a poussés à créer cette association, c’est le fait que l’ascenseur économique est cassé. L’âge moyen des entreprises du CAC 40 est de 104 ans. Notre idée n’est pas de dire que tout ce qui est pérenne n’est pas vertueux, mais de constater qu’on ne crée plus de nouveaux champions économiques en France depuis des années. Il est donc essentiel de comprendre les points de friction de cette croissance-là. Ils sont multiples : fiscalité, éducation, financement, droit du travail… La mission de France Digitale est de reconstruire cet ascenseur de croissance pour faire naitre les champions du numérique de demain.
Nous avons eu à cœur de rassembler à la fois des investisseurs et des entrepreneurs. Il y a deux présidents : Olivier Mathieu, le PDG de PriceMinister côté entrepreneur, et moi-même côté investisseur. C’est la même chose pour le board : il y a le même nombre de personnes côté investisseurs et côté entrepreneurs. Nous avons été très attentifs à respecter cette parité. La raison fondamentale est d’éviter le corporatisme. Il faut éviter que nos interlocuteurs puissent penser que nous favorisons les intérêts de l’un ou de l’autre, mais qu’ils comprennent que nous portons la parole d’un écosystème.
Nous sommes partis du principe que pour donner confiance, il faut montrer la réalité. Notre but n’est pas de défendre une idéologie, mais de poser une situation de fait sans jugement de valeur, en s’appuyant sur des chiffres. Notre première action a donc été de créer en 2012 un baromètre qui nous a permis de présenter des datas. Ce baromètre a fait ressortir trois grands messages qui ont donné une substance à notre discours. Premièrement, la croissance moyenne des start-ups du numérique est de 40% et 43% de leur chiffre d’affaires se situe à l’international. Ces chiffres sont hors normes : on ne les trouve nulle part ailleurs dans l’économie.
Deuxièmement, cette activité s’accompagne d’une augmentation des effectifs. Ceux-ci affichent une croissance de 32% par an en moyenne. C’est d’autant plus intéressant au vu de la nature des emplois créés : il s’agit d’emplois jeunes (32 ans d’âge moyen), et de CDI, ce qui constitue une exception en France. C’est donc un élément de réponse au problème du chômage structurel des jeunes. Le troisième sujet concerne la typologie de ces entreprises : 93% d’entre elles distribuent des stock-options à leurs salariés et n’ont jamais versé de dividendes. Les actionnaires se rémunèrent sur la création de valeur. C’est là aussi une exception dans une économie où les PME sont historiquement des entreprises familiales où le dirigeant détient 90% du capital et où il vend son entreprise ou la transmet à son « fils » au moment de la retraite. Or, c’est sur cette image d’Epinal que l’environnement juridique, financier et réglementaire était voté.
Lorsqu’il a été décidé de taxer les plus-values entre 45 et 70%, cette décision a fortement nui à la motivation de chacun dans l’écosystème digital. La classe politique justifiait alors cette décision par l’existence d’une niche pour les retraites et les transmissions. Là encore, nous avons rassemblé des données. France Digitale a fait passer un questionnaire aux fondateurs des plus grandes start-ups françaises, comme Criteo ou Dailymotion.
Sur 80 répondants, 5% seulement correspondaient à la définition de l’entrepreneur telle qu’elle était définie par le gouvernement. Nous avons aussi fait des comparaisons avec l’international pour articuler un discours qui n’était pas idéologique mais qui retranscrivait une situation vécue, avec une mission sincère d’intérêt général. C’est le data qui nous a permis de rétablir la confiance avec nos interlocuteurs.
Il y a en France un vrai problème d’éducation qui concerne non seulement les bases du monde économique et financier, mais aussi le domaine juridique. Chacun d’entre nous signe énormément de contrats, mais les gens n’ont pas la notion de ce qu’est un engagement contractuel. Ils ne savent pas ce que cet engagement signifie, les droits qu’il octroie. C’est vrai notamment dans le milieu du numérique : personne ne lit les CGU (conditions générales d’utilisation). Je pense qu’il est impossible de vivre en confiance au sein de la société sans que chacun comprenne en quoi il s’engage dans ses relations avec les autres. Les gens ne sont pas suffisamment sensibilisés au fait que lorsqu’on signe quelque chose, cette signature implique des engagements dans le futur, et que ces engagements régissent les relations entre les gens. Il ne faut toutefois pas tomber dans l’écueil d’une société où tout ne repose que sur la signature d’un document. Le risque est alors qu’il n’y ait plus de confiance dans la société.
La confiance doit être très visible dans cette économie. Il ne faut pas qu’il y ait de surprise. Dans un service comme Uber par exemple, l’utilisateur sait en permanence où est la voiture, ou encore le nom du chauffeur. A défaut de lien humain, il faut compenser par un surplus d’information et de contextualisation.
Je ferais une nuance entre le contact physique et le lien humain. Ce sont deux choses qui ne sont pas forcément corrélées. Pour une entreprise en ligne, l’essentiel est d’afficher des valeurs humaines : si elle n’est pas capable de le faire, elle n’est pas pérenne. En revanche, si elle parvient à créer ce lien humain de partage de valeurs, de mission commune, d’intérêts conjoints, l’entreprise peut alors s’exonérer de contacts physiques. C’est ce qu’a fait Google, avec sa devise « don’t be evil ». L’entreprise avait besoin de créer un environnement de valeurs humaines pour susciter la confiance.
Mais lorsque le service permet l’échange humain, le fait de placer cet échange au centre crée une forte dose de confiance et d’attachement. On a l’exemple de Blablacar, qui est un service en ligne, mais que les gens utilisent beaucoup pour le lien social. C’est parce qu’ils partagent des valeurs avec une communauté. Avec le numérique, on se retrouve très proche de personnes qui peuvent être loin géographiquement mais avec lesquelles on partage des valeurs.
Lorsqu’on étudie les usages, on constate que les gens ont confiance. Il y a eu l’affaire de la NSA, avec une prise de conscience que ces usages n’étaient pas neutres. Mais malgré cet épisode, la confiance reste haute. On voit que les gens ont par exemple davantage confiance dans Le Bon Coin que dans Pôle Emploi pour trouver un emploi. Ce n’est pas anodin.
Dans ce domaine, la dimension de la sécurité est relativement peu étudiée, mais il s’agit pourtant d’un vrai sujet ; tout particulièrement en ce qui concerne les objets médico-connectés. Il peut y avoir des conséquences réelles, surtout à partir du moment où l’objet a une action sur le corps. Comment garantit-on cette sécurité ? Il s’agit d’un enjeu qui va gagner en importance à l’avenir. Il y a aujourd’hui un niveau de confiance élevé du public dans ces objets, mais il faut être vigilant.
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