Michel de Rovira : « La réglementation ne suffit pas pour se protéger des éventuelles défaillances »
Publié le 16 décembre 2015
Fondée en 2004, la marque de produits alimentaires Michel et Augustin a réalisé l’an dernier un chiffre d’affaires de 35 millions d’euros, en hausse de 44%. Avec Augustin Paluel-Marmont, Michel de Rovira en est le cofondateur. Il évoque l’importance de la confiance des consommateurs et de la traçabilité des produits dans l’industrie alimentaire.
Que vous inspire le mot de « confiance », en tant que co-fondateur de la marque Michel et Augustin ?
Avoir confiance en quelqu’un, c’est avoir avec lui une qualité de relation qui permet de donner ou de recevoir sans peur. Pour nous, ce sujet, c’est d’abord celui de la confiance dans les produits. Nous sommes une marque alimentaire, donc nous avons besoin que nos consommateurs, nos clients, aient cette confiance pour acheter ces produits. L’acte qu’on leur demande est très engageant puisqu’ils vont non seulement les acheter, mais aussi les mettre dans leur bouche, les ingérer. C’est une marque de confiance très forte. Même s’ils ne nous connaissent pas personnellement, il faut que notre logo, notre marque, les placent dans une bonne disposition d’esprit. Qu’ils aient envie de consommer et qu’une forme de plaisir soit associée à cet acte.
Le fait de vous exposer personnellement est-il une façon de gagner la confiance des consommateurs ?
Tout à fait. Il y a un postulat qui est pour moi très fort : c’est le choix que nous avons fait de mettre en avant notre prénom. Notre esprit latin fait que nous accordons plus facilement notre confiance à des personnes qu’à des institutions. Si quelqu’un s’expose, s’il place son visage et son nom sur son produit, nous avons tendance à penser qu’il y a de fortes chances que le produit soit bon. Et s’il n’est pas bon, le consommateur sait à qui s’en prendre ! Le fait de nous mettre en avant est aussi une réaction par rapport à d’autres marques d’alimentaire, qui sont devenues des institutions tellement grosses et tellement froides, qu’elles engendrent un climat de défiance. Ce, d’autant plus qu’elles ont parfois des discours qui ne sont pas toujours très crédibles sur les sujets de la diététique ou de la santé. Nous avons voulu nous démarquer de cette façon de communiquer en étant très incarnés, en ne parlant pas comme une institution mais comme des personnes qui s’adressent à des personnes. Le ton que nous voulons avoir est celui de quelqu’un qui reçoit des amis et qui pose un plat sur la table en disant : « J’ai la fierté d’avoir cuisiné ce dîner et j’espère que vous allez passer un moment agréable. » La confiance passe par ce discours de vérité.
Certains disent parfois qu’il s’agit d’une forme de marketing. Que leur répondez-vous ?
Je ne pense pas que ce soit le cas. Notre histoire est vraie, nos ingrédients sont vrais, et notre manière d’exprimer les choses est naturelle. Nous avons la volonté de parler normalement, avec un ton détendu, plus proche de la vraie vie que le discours ampoulé de certaines grandes marques. Notre but n’est en tout cas pas de faire du marketing. Pour rester sur cette question de la communication, nous avons aussi voulu nous démarquer des marques régionales qui jouent la carte du terroir. Leur discours consiste en général à dire qu’elles fabriquent leurs produits à partir de la recette de la grand-mère. C’est un discours qui petit à petit devient moins crédible, soit parce qu’il est inventé de toutes pièces, soit parce qu’il a été trop répété, avec un côté nostalgique qui peut finir par déplaire. En ce qui nous concerne, nous pensons que nous inspirons confiance parce que nous sommes avant tout passionnés par la gastronomie. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous faisons en sorte que chacun chez Michel et Augustin soit titulaire d’un CAP boulanger.
Quels bénéfices la marque tire-t-elle de la confiance des consommateurs ?
Il y a la question de la régularité dans les achats, mais il ne s’agit pas du seul avantage. Puisque nos consommateurs nous accordent leur confiance, ils peuvent devenir nos propres ambassadeurs et prêcher la bonne parole, faire découvrir la marque.
Je ne vois pas dans quel cas on pourrait penser que la transparence n’est pas synonyme de confiance. Tout particulièrement dans le domaine alimentaire.
Nous avons aussi un taux d’engagement sur les réseaux sociaux très fort par rapport à ce qu’on trouve habituellement. Il est en général inférieur à 1%, mais dans notre cas il est supérieur à 5%. Je pense que ce chiffre est lié au côté « fun » de la marque, mais aussi à une vraie relation de confiance qui s’est nouée entre les consommateurs et la marque.
Quel est votre rapport à la transparence en interne ?
Nous faisons notre maximum pour essayer d’informer l’ensemble de nos équipes sur la santé financière de l’entreprise, son avancement, mais aussi ses rapports avec les actionnaires. Nous travaillons beaucoup sur ce sujet, je crois que nous avons un niveau de transparence assez bon. Nos salariés ont accès aux chiffres clés et aux commentaires sur ces chiffres.
Et sur le plan externe ?
Là aussi, nous faisons notre maximum. Concrètement, Michel et Augustin fait partie des rares entreprises à organiser des soirées portes ouvertes une fois par mois depuis la création. Des dizaines ou des centaines de consommateurs, de voisins, de curieux, peuvent entrer librement dans nos bureaux, à la Bananeraie. Ils peuvent rencontrer les gens, poser des questions, regarder des films, participer à des tests… ce n’est pas du théâtre, c’est une vraie journée portes ouvertes. J’associe ça au moment où les parents d’élèves vont visiter l’école de leurs enfants. Mais chez nous, ce n’est pas une fois par an mais une fois par mois… donc nous sommes obligés de montrer ce qui se passe vraiment ! Nous essayons aussi d’être le plus transparent possible avec les journalistes. Lorsqu’ils se déplacent chez nous, l’idée n’est pas de les parquer dans un coin : on les laisse se rendre compte de la façon dont les choses se passent dans l’entreprise.
La transparence est donc un sujet déterminant pour vous ?
Je ne vois pas dans quel cas on pourrait penser que la transparence n’est pas synonyme de confiance. Tout particulièrement dans le domaine alimentaire. Les gens ont envie de comprendre, de savoir comment les choses sont fabriquées. D’autant plus que c’est un sujet qui est accessible. Chacun est à même de se faire une idée pour lui- même, de déterminer si tel ou tel produit va être favorable à sa santé et à son plaisir. En ce qui nous concerne, nous allons encore plus loin dans la transparence proactive puisque notre credo est de raconter une aventure en temps réel. Nous pensons que les gens ont envie de partager une histoire.
L’étude « Les déterminants de la confiance » de Deloitte et Opinionway montre justement l’importance de la relation entre la marque et le client dans la construction de la confiance. C’est un sujet sur lequel vous vous investissez beaucoup. Comment construisez-vous cette relation?
Cela passe notamment par les réseaux sociaux qui sont une solution très pratique pour s’adresser à un public large. Nous essayons d’être très proactifs et de réagir de la manière la plus précise possible sur les sujets qui intéressent les gens. Fabrication, mise au point des recettes, travail des commerciaux… Nous aspirons à être « best in class » en matière de relation clients. Nous avons d’ailleurs reçu des prix sur ce sujet. Notre objectif est d’avoir la même relation avec nos clients que la boulangère du quartier. Il y a chez nous une personne dont c’est la mission. Elle s’appelle Margaux, et elle est chargée de répondre en 24h à l’ensemble des mails ou messages sur les réseaux sociaux. Avec un ton où on essaye d’être de bonne foi, en acceptant de faire des erreurs et en disant les choses le plus simplement possible.
En matière de confiance, la question de la santé est cruciale pour les Français. Avez-vous un regard sur les marques qui ont beaucoup communiqué à la fin des années 2000 sur les « alicaments », ces aliments censés apporter des bienfaits pour la santé des consommateurs ?
Il y a certainement eu des excès sur l’association alimentaire et médicamenteux. Il y a eu des choses qui ne correspondaient plus à la réglementation européenne et qui parfois allaient au-delà de ce que le bon sens voulait bien accepter. Ces excès ont été dénoncés de façon assez ferme par les associations de consommateur. Aujourd’hui, on constate une vraie attente en matière de manger sain, et une grande partie des consommateurs alignent leur consommation sur les régimes.
Nous choisissons des usines certifiées bien sûr, mais notre démarche va bien au-delà. Pas une semaine ne s’écoule sans qu’une personne de nos équipes n’aille visiter les usines de nos partenaires.
Nous avons tiré les enseignements de cet échec. Notre discours est de dire aux équipes : « vous avez le droit de faire la même erreur une fois. » On a tous le droit à l’erreur, mais il faut que ces erreurs se transforment en enseignements : pourquoi est-ce que ça a raté ? Qu’est-ce qu’on en retire ? Nous n’allons pas jusqu’à faire, comme certaines entreprises, une sorte d’apologie des erreurs. Mais c’est une occasion de comprendre ce qui ne s’est pas bien passé.
Quel est votre rapport à l’échec ?
Il faut reconnaître que nous nous sommes pris quelques claques. Nous avons lancé des produits qui n’ont pas marché. C’est le cas notamment d’un yaourt grec que nous avons sorti il y a quelques années. A l’époque nous pensions que c’était une très bonne idée, mais nous en avons vendu très peu. Nous nous sommes aperçus trop tard qu’il y a une profusion autour du terme « grec » en France. Il était très difficile de se faire une place dans ce marché saturé. De plus, ce produit était peu cohérent avec notre image.
Quelle est votre politique en matière de traçabilité des produits ?
Notre philosophie, notre raison d’être, c’est de porter le savoir-faire pâtissier français. Pour arriver à ce résultat, nous faisons en sorte de fabriquer des produits qu’une personne normale aurait pu réaliser dans sa cuisine. La différence, c’est que nous le faisons dans des quantités importantes, qu’on peut qualifier d’industrielles puisqu’on vend des dizaines de millions de biscuits et de mousses au chocolat chaque année. Pour nous, la traçabilité passe par un choix de produit très précis. On va par exemple utiliser du beurre frais plutôt qu’une autre matière grasse, parce que c’est un produit de qualité. Ça passe aussi par le contrôle avec des audits annoncés, des audits surprise, des process extrêmement stricts… Nous choisissons des usines certifiées bien sûr, mais notre démarche va bien au-delà. Pas une semaine ne s’écoule sans qu’une personne de nos équipes n’aille visiter les usines de nos partenaires. Nous remontons les filières pour visiter la laiterie qui fournit notre lait, le moulin qui produit notre farine, l’exploitation de vanille à Madagascar… Ce travail très concret de terrain vise à identifier des risques de défaillance. La réglementation française est déjà très stricte. Mais la réglementation ne suffit pas pour se protéger contre les éventuelles défaillances.
Pour rester sur le sujet de la réglementation, on peut lire sur le site de Michel et Augustin que vos sites de production respectent toutes les normes sanitaires en vigueur. Vous dites même aller au-delà avec les normes HACCP (Hazard Analysis Critical Control Point). L’ensemble de vos fournisseurs sont certifiés IFS (International Food Standard) ou BRC (British Retail Consortium). Quelle est l’importance de ces normes et de ces certifications, pour vous ?
Ces normes permettent à un certain nombre de consommateurs d’apporter leur confiance à des marques, à des produits. Lorsqu’un consommateur asiatique voit un produit français ou européen, c’est synonyme pour lui d’une certaine qualité. Il a confiance. Cette réaction est bien liée aux normes et au savoir-faire de l’industrie agroalimentaire française et européenne. Je pense que c’est un élément déterminant dans la confiance. Le consommateur a besoin d’être informé et les normes sont une source d’information qu’il considère fiable.
Diriez-vous qu’il y a actuellement une crise de défiance du grand public à l’égard de la filière alimentaire ?
Depuis le traumatisme de la vache folle il y a bientôt 20 ans, un fond de défiance s’est formé chez le consommateur par rapport aux marques. Cette méfiance a pour moi été exacerbée par l’hypermédiatisation de cette crise alimentaire.
Il est plus facile d’accorder sa confiance à une petite entreprise. Ce qui est petit a un côté plus amical.
Je pense qu’il y a une forme de désenchantement lié à une répétition d’événements et à une exposition médiatique hallucinante pour des crises qui sont réelles mais qui restent peu fréquentes et minoritaires. La réaction du public est ce qu’elle est. C’est donc à nous de faire en sorte que les gens nous fassent confiance, même s’il est vrai que dans notre métier quelques personnes ont franchi la ligne rouge.
Ces crises ont été trop médiatisées selon vous ?
Je ne sais pas si l’exposition a été trop forte, mais factuellement, on ne peut pas nier qu’elle a été extrêmement importante. Je n’ai pas de reproche à faire aux journalistes. Ce sont eux qui définissent l’agenda de leurs journaux et de leurs émissions. Lorsqu’ils font le choix de placer tel ou tel sujet en couverture de leur magazine, c’est certainement par ce que ça leur parait important. Je constate simplement que la crise des plats cuisinés avec du cheval, pour prendre cet exemple, a certainement fait partie des sujets traités le plus largement lorsque c’est arrivé.
Je voudrais aussi parler avec vous de la question de la confiance au sein de l’organisation. Comment suscitez-vous la confiance, l’adhésion des salariés de Michel et Augustin ?
Je crois beaucoup à la phrase de Lionel Jospin : il faut faire ce qu’on dit et dire ce qu’on fait. Je pense que les équipes veulent un discours de vérité. Il faut savoir dire quand les choses vont bien, mais aussi quand elles vont mal. C’est toujours cette question de transparence en interne. Je pense aussi que les salariés ont encore plus confiance quand ils peuvent participer à certaines décisions.
C’est le cas chez Michel et Augustin ?
Là aussi, nous faisons notre maximum. Nous n’y arrivons pas sur tout et il y a encore des améliorations à apporter, mais nous sommes actifs sur ce sujet. Notre âge à Augustin et moi devient peut être canonique par rapport à l’âge moyen de nos salariés, mais nous essayons de rester accessibles et de répondre autant que possible à leurs interrogations.
Votre entreprise est en pleine croissance, et vous avez récemment annoncé vos projets aux Etats-Unis. Est-ce que cette expansion ne nuit pas à la confiance que vous accorde le public ?
Je pense qu’il est en effet plus facile d’accorder sa confiance à une petite entreprise. Ce qui est petit a un côté plus amical. Lorsque les structures grossissent, les choses deviennent forcément plus institutionnelles et une forme de défiance s’installe. Mais si nous arrivons à garder nos atouts, à ne pas se prendre au sérieux, je pense qu’il est possible de garder cette relation de confiance avec nos consommateurs. Il y a un certain nombre d’exemples d’entrepreneurs qui ont réussi à faire ça : Richard Branson avec la marque Virgin, ou encore Jacques Maillot, le fondateur de Nouvelles Frontières, qui est très investi dans la relation avec les consommateurs et répond lui-même à leurs demandes. L’avantage de grandir, c’est d’avoir plus de moyens. Si nous gardons pour nous l’écoute du client, je pense que nous avons la possibilité de conserver sa confiance. Au fond, la question est moins celle de la taille que de savoir combien de temps on consacre au consommateur.