MiFID II : big-bang dans le financement de la recherche externe !

Les autorités européennes avaient surpris les acteurs en introduisant dans les mesures d’application de MiFID II, et sous l’influence britannique, un nouveau cadre dans lequel devra s’inscrire le financement de la recherche externe.

Jusqu’à ce jour la recherche externe, le plus souvent réalisée par les brokers, est financée via une commission prise en sus des frais d’exécution. Le financement de la recherche est ainsi mutualisé sur tout ou partie des transactions. En France, la mise en place de CSA (Commission sharing agreement) permettait, en outre, d’alimenter un compte chez le broker à partir duquel pouvait être payée l’ensemble de la recherche, qu’elle soit réalisé par le broker ou un autre analyste externe.

Dans un tel schéma, la qualité de la recherche externe devient un élément central du choix du broker en contradiction avec les obligations de « best execution/selection » conduisant à un potentiel conflit d’intérêts au sens de la réglementation. Gratuite, elle s’apparente à un inducement non monétaire qu’il conviendra de bannir s’il ne pouvait être considéré comme mineur. De plus, le budget alloué à la recherche externe n’est ici contraint que par le cash disponible sur le compte administré par le broker. Aucun budget prévisionnel n’est véritablement mis en place et la transparence vis-à-vis des clients est de facto limitée.

Le nouveau cadre réglementaire impose de décorréler les frais d’exécution des frais de recherche afin de faciliter la transparence et le pilotage de ces derniers lorsqu’ils sont facturés aux clients. Liberté est toutefois laissée aux acteurs de financer la recherche externe sur leurs ressources propres. S’il n’est pas évident que le nouveau cadre réglementaire gomme les potentiels conflits d’intérêts, il devrait, en revanche, permettre une répartition plus équitable de la charge de la recherche externe entre les portefeuilles.

 

La nécessité d’analyser les prestations de recherche reçues

Ce sujet stratégique a fait l’objet d’une consultation en France et au Royaume Uni. On y (re)découvre que les acteurs concernés devront, en premier lieu, clairement définir les prestations qui pourront être qualifiées de « recherche ». Les traditionnels services de SADIE (service d’aide à la décision d’investissement) devraient clairement pouvoir y être associés. Cependant, une simple note macroéconomique, si elle ne remplit pas les conditions prévues par le texte (notamment permettre de se former une opinion sur les actifs ou les émetteurs d’un secteur ou d’un marché et contenir une analyse et des éclairages originaux en formulant des conclusions), ne pourra être qualifiée de « recherche » dans ce nouveau contexte. Elle ne pourra donc pas être financée par les clients sous mandat. Sauf à être considérée comme une commission non monétaire mineure, elle devra être payée sur les ressources propres des acteurs.

 Une évolution inévitable des Commission Sharing Agreements

Les acteurs concernés ont le choix : financer la recherche externe sur leurs ressources propres ou via un compte de recherche (le fameux research payment account – RPA), ce dernier pouvant être alimenté de la façon suivante :

 

La décorrélation prévue ici entre les frais d’exécution et les frais de recherche, ainsi qu’entre les frais de recherche et le volume des transactions implique des évolutions remarquables des CSA :

  • Une facturation des frais de recherche externe distincte de la facturation des frais d’exécution
  • La mise en place de mécanismes permettant d’interrompre la facturation des frais de recherche dès lors que le budget fixé ex ante est atteint.

Mettre en place et piloter son budget de recherche

Dans la mesure où la recherche externe sera financée via un RPA, les acteurs concernés devront définir et piloter un budget de recherche :

  • Au début de chaque période, le budget de recherche global devra être déterminé en fonction de la stratégie des portefeuilles et en application d’une politique prédéfinie
  • L’allocation du budget entre les portefeuilles devra être annoncée
  • Conformément aux accords préalables passés avec les clients, ces derniers devront être informés du budget et des coûts qu’ils devront supportés
  • Tout au long de la période, les acteurs devront piloter au plus près les dépenses de recherche et informer les clients en cas de dépassement du budget
  • A la fin de chaque période une estimation de la qualité de la recherche externe reçue et un reporting client devront être formalisés.

Un scope restreint qui ne le restera sans doute pas

Bonne nouvelle ! Il est clairement rappelé dans la consultation de l’AMF, contrairement à celle de la FCA (Financial Conduct Authority), que la gestion collective n’est pas soumise à cette réglementation. Seule la recherche utilisée notamment par la gestion sous mandat et, le cas échéant, le conseil indépendant serait concernée. On s’interroge toutefois sur la position que prendra une table de négociation qui servirait, par exemple, à la fois des acteurs de la gestion sous mandat et des gestionnaires de fonds. Lui sera-t-il possible « d’unbundler » les frais de recherche lorsque l’ordre proviendra d’un gérant sous mandat et de les « bundler » lorsque l’ordre émanera d’un gestionnaire de fonds ? Pourra-t-elle seulement identifier l’origine de l’ordre ?

De la même façon, une société de gestion qui propose à la fois de la gestion collective et de la gestion discrétionnaire sera incitée pour des soucis de rationalisation industrielle, a fortiori lorsque les gérants sont les mêmes, à mettre en place un système unique « d’unbundling ».

Il y a fort à parier que l’exemption de la gestion collective ne soit finalement qu’un mirage.

Des budgets de recherche en baisse

Fatalement, la transparence et le pilotage budgétaire amèneront mécaniquement à une réduction de la consommation de recherche externe. Les acteurs devraient effectivement être plus attentifs à la qualité de la recherche qu’ils achètent.

On devrait ainsi voir se développer sur le marché des prestataires qui faciliteront le monitoring de la qualité de la recherche et permettront ainsi aux acteurs de mieux piloter leur budget. Ainsi, certaines Fintech proposent des plateformes de distribution de la recherche externe ou des outils d’analyse qualitative et quantitative.

Il n’en reste pas moins que ce nouveau système alourdit la charge que représente la recherche pour les plus petites SGP. Espérons que l’AMF profitera de cette réglementation pour faciliter la mutualisation de la recherche entre SGP (ce que font indirectement les analystes externes) et donner ainsi un « visage » au principe de proportionnalité.

 

Pour en savoir plus sur le sujet, n’hésitez pas à me contacter

Servane rejoint Deloitte en juillet 2014. Son champ d’expertise couvre notamment les problématiques réglementaires liées à l’asset management, mais également à la mise en œuvre de réglementations transversales telles que PRIIPs ou MiFID II, la commercialisation des produits financiers et la protection des investisseurs. Elle était auparavant Responsable commercialisation et Vie des acteurs à l’AFG. Elle a participé à l’élaboration de la position de l’AFG sur diverses réglementations ainsi qu’à la transposition en droit français des réglementations européennes.

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