Article écrit en collaboration avec Clémence Hulet Directrice Deloitte Développement Durable.
La mode fait aujourd’hui partie des industries les plus polluantes. Ce constat est en partie lié à l’essor de la fast fashion, dont le succès est basé sur une course aux volumes et aux prix bas, un renouvellement rapide des collections et un modèle totalement linéaire (moins de 1 % de tous les matériaux utilisés par l’industrie sont recyclés en vêtements neufs à l’échelle mondiale). Pourtant, cette logique n’est pas irréversible : l’émergence d’une mode alternative audacieuse et plus respectueuse des hommes et de l’environnement est possible. A condition, pour le secteur, de transformer radicalement son modèle.
Les entreprises du secteur prennent de plus en plus conscience des limites du modèle actuel. Pour plusieurs raisons. D’abord, le secteur est enfermé depuis une dizaine d’année dans une spirale déflationniste destructrice sur le plan économique. Depuis 2008, le marché français a perdu 15 % de sa valeur tous canaux confondus, perte principalement engendrée par le milieu de gamme qui domine l’offre[1]. Ensuite, médias et ONG ont levé le voile sur les dérives du système : violations répétées des droits humains fondamentaux sur la chaine de production, utilisation excessive et non maitrisée de pesticides dangereux, pollutions à la teinture et au lavage, etc. Cette couverture médiatique a sans doute également précipité l’émergence d’une nouvelle tendance à la déconsommation sur les marchés européens : le « moins mais mieux » gagne du terrain dans les comportements d’achats. Enfin, en parallèle, le cadre normatif et législatif (Objectifs de Développement Durable, loi Pacte, Reach, Devoir de Vigilance, loi Economie Circulaire) se renforce. La responsabilité des activités humaines dans le dérèglement climatique étant établie, les entreprises sont désormais perçues comme acteurs incontournables de la transformation.
Chacune des six étapes du cycle de vie d’un produit couvre des enjeux de développement durable multiples, complexes et interconnectés.
La première étape du choix des matières est déterminante tant sur le plan environnemental qu’économique et social. Les matières synthétiques issues du pétrole dominent aujourd’hui le marché, elles sont pourtant non renouvelables, gourmandes en énergie, et relâchent des microplastiques à chaque lavage. Les matières végétales (coton) et animales (cuir, laine) posent la question des conditions de production et d’élevage, aujourd’hui peu soutenables à tout point de vue – à titre d’exemple, la culture du coton consomme ¼ des pesticides commercialisés mondialement pour seulement 2 à 3 % des terres cultivées[2]. Les matières recyclées, innovantes, à faibles impacts (cuirs végétaux, pulpe de bois, lin etc.) peinent à se massifier pour répondre aux besoins du marché.
La seconde étape de production recoupe toutes les opérations de traitement et de confection des vêtements et chaussures. Ici le principal sujet est celui de la traçabilité, c’est-à-dire de la connaissance et la maitrise de son parc de fournisseurs et de sous-traitants (jusqu’à 15 acteurs différents peuvent intervenir pour un même produit). La traçabilité n’est pas un objectif en soi, mais un puissant outil de maitrise des risques et de création de valeur partagée. L’enjeu est à la fois la maitrise des risques sociaux – santé et sécurité au travail, salaires décents, dialogue syndical, volume d’heures travaillées etc. – et la maitrise des risques environnementaux – usage de produits toxiques, consommations d’eau et d’énergie, pollutions des sols, de l’air et des cours d’eau…
Pour la troisième étape de transport et logistique, l’enjeu principal est l’optimisation : optimisation des flux de transport, des modes de transport et des emballages.
La quatrième étape de commercialisation regroupe tous les enjeux liés à la vente, et notamment la question essentielle du ralentissement du rythme de la mode et la juste prévision des besoins pour lutter contre la surproduction et toutes les dérives qu’elle entraine (promotions, dévalorisation, pertes, gaspillage). Un autre enjeu important est la transparence et la pédagogie vis-à-vis du consommateur, sur l’origine et l’impact réel du produit qu’il achète, et pour le sensibiliser à des modes de consommation plus durables. Il faut également prendre en compte l’impact environnemental des magasins, des entrepôts, de la publicité, et des opérations évènementielles comme les défilés qui sont souvent source de grandes quantité de déchets facilement évitables.
La cinquième étape d’utilisation est prépondérante : elle pèse plus de 38 % de l’impact environnemental d’un t-shirt par exemple[3]. L’entretien est le principal poste, c’est pourquoi il faut sensibiliser à des nouveaux usages (moins de lessives, plus remplies, à basses températures, avec des produits écologiques, sans séchage en machine, etc.). La durée de vie des vêtements et chaussures est intrinsèquement liée à leur qualité (choix de styles et de matières durables au sens de pérenne dans le temps) et au (re)développement de la réparation qui peut être facilitée par les marques. Enfin, pour allonger la durée de vie, rien de plus performant que les modèles dits fonctionnels, comme la seconde main et la location, qui permettent de multiplier le nombre d’utilisation et d’utilisateurs.
Enfin, la sixième étape de la fin de vie est clé pour permettre l’émergence d’un modèle circulaire plus vertueux. La gestion des déchets (prévention, réutilisation, recyclage) à l’étape pré consommation comprend les chutes de production et de confection, et les produits défectueux ou invendables : à l’échelle mondiale, près d’1/4 des ressources de l’industrie seraient ainsi gaspillées. La gestion des déchets post consommation comprend les invendus et les vêtements et chaussures en fin de vie, dont le taux de collecte en France est relativement faible (36 %). Le recyclage des fibres textiles et des chaussures présente encore de nombreux freins techniques, économiques, culturels. Des blocages qui pourraient être levés en partie en pensant la fin de vie dès la conception du produit : c’est ce que l’on appelle l’écoconception.
Ces actions de mitigation des impacts négatifs et de développement d’alternatives viables à chacune des étapes sont indissociables d’une réflexion plus globale sur le système actuel de la mode. Pour sortir d’une logique de prix bas et de dévalorisation des produits, intenable sur les trois piliers du développement durable, l’industrie doit réinventer son modèle. Pour cela, les entreprises du secteur peuvent s’inspirer de l’émergence d’une mode alternative audacieuse qui déconstruit un certain nombre d’idées reçues. Cette transformation véritable du modèle, la seule à la hauteur des enjeux, ne pourra se faire qu’en acceptant de laisser de côté les logiques concurrentielles pour entrer dans des dynamiques collectives. Sur les épineuses questions du prix et des promotions, du partage de la valeur, de la surproduction et du rythme, de l’industrialisation de la fin de vie, aucune entreprise ne peut agir seule.
Cet article reprend les principaux résultats de l’étude menée par Deloitte et l’Alliance du Commerce, parue en juin 2019. Retrouvez l’intégralité de l’étude ici.
[1] Institut Français de la Mode (2018) Séminaire Perspectives Internationales Mode et Textile 2019.
[2] Planétoscope (2019) Production annuelle de coton, Statistiques, en ligne.
[3] Fair’act, Cycle de vie d’un t-shirt
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