Nouveaux engins de mobilités électriques : Mieux vaut s’assurer avant de rouler

Article coécrit par Tom-Alexis Provost, Consultant Financial Services Industry et Sara El Bekri, Senior Manager, Consultante Financial Services Industry.

Le 14 janvier 2022, un décret est paru au journal officiel intégrant les cyclo-mobiles légers (draisiennes électriques) à la catégorie des engins de déplacement personnel motorisés (EDPM). De fait, à l’exemple des autres EDPM, les cyclo-mobiles sont dorénavant soumis à une obligation d’assurance.

Ce décret est l’occasion de faire le point sur les obligations en matière d’assurance (obligatoire ou facultative), de dresser le portrait du marché et du positionnement de certains assureurs sur les offres de nouvelles mobilités et d’identifier les opportunités qui s’offrent aux assureurs.

Nous observons une forte et inédite croissance des ventes d’engins de déplacements personnels, motorisés (EDPM) ou non (EDP) comme les trottinettes électriques, les gyropodes ou encore les hoverboards. Cette augmentation de l’utilisation de ces engins, aussi bien à l’achat qu’à la location, peut s’expliquer par deux facteurs.

Le premier étant la réglementation incitative, avec la Convention Citoyenne pour le Climat (2019) et la récente Loi d’Orientations sur les Mobilités (2020). Elles prévoient toutes deux d’encourager à transformer la mobilité pour se tourner vers ces nouveaux engins de déplacements. L’incitation se manifeste notamment par l’interdiction de certains véhicules polluants dans les centres-villes ou encore des réductions de tarifs (contribution de l’employeur et création d’offres multimodales). Nous observons ainsi une hausse de 8% des ventes d’EDPM dès 2020[1].

Le second facteur est la crise sanitaire liée à la COVID-19 puisque les habitudes semblent avoir évolué entre mars 2020 (date du premier confinement en France) et septembre 2020 avec un intérêt pour les EDPM qui a crû de 430% d’après GoogleTrends[2]. Et cette tendance ne semble a priori pas s’affaiblir.

 

 

Parallèlement à cela, l’utilisation massive de ces engins a eu pour conséquence une hausse de l’accidentologie en France. En effet, le nombre d’accidents corporels a augmenté de 35% entre 2018 et 2019[3], 24% des utilisateurs d’EDPM reconnaissent avoir déjà eu un accident[4] et 50% des français admettent la dangerosité de ces engins[5].

 

L’assurance lors de l’usage d’un EDPM est toujours de la responsabilité du conducteur : que l’engin soit acheté ou loué

Face à ces nouveaux risques, le législateur a su réagir de façon rapide. Depuis 2019, il est désormais obligatoire d’assurer son EDPM en responsabilité civile. Cette obligation s’applique à la fois lorsque l’utilisateur est propriétaire de son engin, mais également lorsque l’engin est utilisé en libre-service (Lime, Jump, Dott…). La garantie peut donc soit être comprise dans un contrat souscrit auprès d’un assureur, soit être intégrée dans le contrat de location de l’engin. La responsabilité civile obligatoire présente dans les contrats habitation excluent l’utilisation de véhicule dépassant les 6km/h, de fait, le propriétaire d’un EDPM doit s’équiper d’une assurance dédiée.

Concernant les engins en location, l’assureur Luko a présenté en 2019 une enquête montrant que parmi les 12 fournisseurs de trottinettes électriques en libre-service opérant à Paris, seulement 5 proposaient une assurance RC comprise dans le contrat de location.

 

 

Deloitte a complété cette étude avec une analyse réalisée fin 2021 sur ces mêmes acteurs :

 

Les loueurs d’EDPM s’étant quasiment tous mis en ordre de marche aujourd’hui, l’interrogation à se poser réside désormais dans l’utilisation de ces engins lorsque le conducteur est propriétaire.

 

Les garanties assurantielles obligatoires ne couvrent pas tous les cas de figure

En complément des problématiques suscitées par la responsabilité civile, se pose la question des autres types d’assurance : la protection de son propre engin et de sa personne lors de l’utilisation d’un EDPM. Il n’y a, pour ces deux cas de figure, aucune obligation légale d’assurance. Néanmoins, nous observons un manque de transparence du marché quant aux offres en matière d’assurance.

Pour les EDP motorisés, les dommages matériels sans tiers peuvent être couverts via un contrat dédié. Les dommages corporels sans tiers doivent faire l’objet d’une « Garantie du Conducteur », puisque que la GAV (Garantie Accident de la Vie) exclut de fait les sinistres survenus à bord d’un véhicule terrestre à moteur. De fait, il y a un enjeu autour des dommages corporels que l’on se cause à soi-même avec un engin motorisé. (cf schéma ci-dessous présentant les cas de figure)

Concernant les engins non motorisés, France Assureurs (fédération regroupant les assureurs français) estime que seulement 25% des français disposent d’une GAV[6], et parmi eux très peu en connaissent le périmètre de couverture. Cela signifie qu’en cas de survenance d’un accident corporel, les probabilités d’une prise en charge par l’assureur sont minimes.

Pour les engins motorisés, on observe que beaucoup d’assureurs ne proposent pas l’extension « Garantie du conducteur » dans leur contrat EDPM. Certains refusent également l’assurance si l’engin a été loué. Les loueurs ne sont, quant à eux, pas obligés de proposer une assurance couvrant les dommages corporels. A titre d’exemple, Lime ne propose aucune autre assurance que la RC et DOTT propose une assurance couvrant les dommages corporels uniquement. Leurs conditions générales peuvent, pour un certains d’entre eux, être sujettes à interprétation en matière de couverture à l’image de Voi qui mentionne « Voi souscrit (…) une assurance accidents personnels lors de l’utilisation du véhicule (…). », l’accident personnel n’ayant pas de définition assurantielle définie.

Nous pouvons alors supposer qu’une grande partie des utilisateurs d’EDPM ne sont pas couverts face aux accidents corporels dont ils seraient responsables.

 

 

Les opportunités qui s’offrent aux assureurs

La croissance des ventes d’EDP, principalement motorisés, représente une poche d’opportunités importante pour les compagnies d’assurance. La quasi-totalité des assureurs généralistes proposant déjà un contrat couvrant les EDPM mais avec des garanties différentes :

Analyse réalisée par Deloitte auprès de cinq assureurs/distributeurs pour la formule la plus complète en matière de couverture :

En supposant que le modèle assurantiel de ces nouveaux engins vienne se calquer sur l’automobile, le nombre de clients potentiels serait très important pour les compagnies d’assurance. Par ailleurs, la hausse des locations de ces engins s’accompagne aussi d’un lot d’opportunités.

Nous pourrions imaginer de nouveaux modes de distribution innovants pour venir répondre à la demande qui pourrait être grandissante (partenariat avec les loueurs, avec les acteurs publics, assurances affinitaires à la demande, assurance à l’usage…)

Néanmoins, le risque majeur face aux dommages que l’on pourrait se causer à soi-même, mais surtout à autrui doit être maîtrisé. Cet enjeu ne résulte pas simplement d’une irresponsabilité des utilisateurs. Mais aussi d’un manque d’information quant aux assurances disponibles et nécessaires à ces EDP(M). Nous pourrions alors s’interroger sur la nécessité de rendre obligatoire l’inclusion d’une assurance responsabilité civile dans tous les contrats de location d’EDPM a minima, car même si grand nombre d’entre eux l’ont rajouté, il ne semble pas y avoir de législation afférente, et d’une garantie du conducteur a maxima. Les assureurs doivent poursuivre leurs travaux de prévention et de sensibilisation autour de la nécessité d’assurer sa personne ainsi que son engin en proposant des offres simples et adaptées. Nous pourrions par exemple supposer :

  • Des options complémentaires au contrat MRH ou AUTO permettant d’y intégrer l’EDPM
  • Des partenariats avec les fabricants ou les vendeurs d’EDPM pour assurer une meilleure distribution des contrats d’assurance
  • Un contrat d’assurance à la demande, permettant de déclencher la garantie uniquement lors de l’utilisation de l’engin ; à l’image de ce qu’a pu faire la start-up londonienne Cuvva avec une assurance automobile à l’usage.

Pour conclure, ce marché, bien qu’en évolution, s’avère toujours perfectible en matière de couverture assurantielle. Les différents acteurs (locataires, propriétaires, loueurs, assureurs, législateurs…) doivent accélérer la transition vers un modèle plus mature et plus stable, à l’image des autres produits d’assurance de masse. Cette mue semble être une nécessité comme réponse à l’ultra-croissance de l’utilisation de ces engins, accompagnée d’une accidentologie importante.

 

[1] D’après une étude réalisée par SmartMobilityLab en 2020
[2] D’après GoogleTrends https://trends.google.fr/trends/explore?date=today%205y&geo=FR&q=trottinette%20%C3%A9lectrique,v%C3%A9lo%20%C3%A9lectrique
[3] D’après le ministère de l’intérieur
[4] D’après une étude réalisée par YouGov en 2019
[5] D’après un sondage réalisé par SmartMobilityLab en 20191 D’après la Fédération Française de l’Assurance
[6] D’après la Fédération Française de l’Assurance

Fort d’une quinzaine d’année d’expérience dans l’assurance, Hugues réalise des missions de conseil en stratégie, fusion, organisation, contrôle de gestion ou pilotage. Il intervient auprès de nombreux acteurs de l’assurance, de la protection sociale et du secteur bancaire.

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