Pascal Demurger (Maif) : « Je crois beaucoup au management par l’envie »
Publié le 04 avril 2016
Responsabilité, éthique, transparence : Pascal Demurger, directeur général de la Maif, dévoile sa vision de la confiance, et explique son importance dans le fonctionnement de la mutuelle d’assurance.
Pourquoi avoir fait le choix d’axer la communication de la Maif sur le thème de la confiance ?
Cette idée est née d’une réflexion que nous avons lancée à l’été 2013. Nous terminions le plan stratégique précédent, qui était orienté sur la réorganisation et la modernisation de l’entreprise. Nous avons voulu revenir aux origines de la Maif, pour retrouver ce qui en fait l’ADN. Le thème de la confiance a rapidement émergé comme étant l’une de ses caractéristiques propres. Elle est consubstantielle à son identité et à sa réalité quotidienne. Pour bien le comprendre, il faut revenir à la création de cette entreprise. La Maif s’est constituée, en 1934, à l’initiative d’un groupe d’instituteurs, sur une base de mutualisation du risque. Le succès de ce projet reposait sur un niveau très élevé de confiance. Le système a fonctionné parce que ces instituteurs ont accepté de jouer le jeu, en adoptant un comportement exemplaire et en privilégiant le collectif. Chacun faisait confiance à l’autre. Il est également important de souligner que, aujourd’hui encore, nos sociétaires ne sont pas seulement clients de la Maif : ils en sont aussi propriétaires.
Comment ces valeurs se traduisent-elles dans le fonctionnement actuel de la Maif ?
La Maif continue de développer un modèle économique qui lui est relativement propre dans le monde de l’assurance. Il repose sur sa capacité à générer de la satisfaction chez ses assurés. Celle-ci se mesure de façon assez objective : nous avons obtenu chaque année le prix de la relation client depuis sa création, et nous avons été classés marque préférée des Français dans le domaine de la banque et de l’assurance. Cette satisfaction se traduit de façon très concrète par un taux de fidélité sans commune mesure par rapport au reste du marché. Pour cette raison, nous avons moins besoin que nos concurrents de conquérir de nouveaux clients pour un niveau de croissance identique. Nous pouvons donc allouer ces ressources à la gestion de sinistre et à la relation avec nos sociétaires. Tout le modèle de la Maif repose sur ce cercle vertueux.
On ne peut pas demander à nos collaborateurs qu’ils entretiennent une relation forte de confiance avec nos assurés si eux-mêmes ne baignent pas dans une relation de confiance au sein de l’entreprise.
Nous vivons la confiance de façon synallagmatique : elle fonctionne dans les deux sens. Ce point est loin d’être trivial pour un assureur. Pour nous, il correspond à une réalité de terrain. Lorsque l’un de nos gestionnaires ouvre un dossier de sinistre et échange avec un assuré, il part d’un a priori de confiance. Nous ne sommes pas dans la méfiance ou dans la recherche du meilleur moyen de réduire l’indemnisation, ce qui est parfois le travers de certains assureurs. Bien au contraire, notre démarche consiste à apporter des solutions, y compris dans l’urgence. Cette posture change complètement la relation client. Elle nourrit chez nos assurés une expérience qui est à mon sens relativement incomparable, et qui explique leur fidélité.
Quels leviers permettent cette relation de confiance ?
Si les 7 000 collaborateurs de la Maif portent individuellement ces valeurs, c’est avant tout grâce à notre culture d’entreprise. Les process, les règles et le cadre de fonctionnement porté par la voix managériale ont des limites dans leur influence sur les comportements individuels. Pour parvenir à ce résultat, un substrat culturel profond est nécessaire.
Lors du plan stratégique précédent au cours duquel nous avons réorganisé l’entreprise, nous nous sommes interrogés sur la meilleure façon de maintenir cet état d’esprit, cette culture qui est une véritable richesse pour la marque et qui est indispensable à l’équilibre de l’entreprise.
Je suis convaincu que la réponse se trouve dans la symétrie entre l’interne et l’externe. On ne peut pas demander à nos collaborateurs qu’ils entretiennent une relation forte de confiance avec nos assurés si eux-mêmes ne baignent pas dans une relation de confiance au sein de l’entreprise. Pour cela, il faut pouvoir sortir d’un cadre trop strict pour être capable, au cas par cas, d’humaniser la relation. On ne peut pas se placer dans une approche qualitative si l’on multiplie les process et les règles intangibles. C’est pourquoi un pan très important de notre stratégie est tourné vers le management par la confiance. Il s’inscrit dans la mouvance des entreprises libérées, plus horizontales et moins hiérarchiques. Nous essayons, au maximum, de favoriser la capacité d’initiative des collaborateurs et la recherche de l’épanouissement, ce qui leur permet d’être beaucoup plus rayonnants dans la relation client que s’ils étaient soumis à des tensions plus fortes ou à des insatisfactions en interne.
Quelle est, selon vous, la portée de la responsabilité du dirigeant ?
En tant que directeur général, ma première responsabilité est bien sûr la performance de l’entreprise. Mais elle va au-delà. Lorsque l’on gère un corps social de 7 000 personnes, on n’est pas seulement responsable du maintien des emplois, et donc de la bonne santé de l’organisation, on est aussi redevable des conditions dans lesquelles ces personnes exercent leur travail. D’une certaine façon, je me sens garant d’une partie de leur épanouissement personnel. Il y a une dimension éthique dans cette responsabilité.
Le leadership et le charisme sont-ils nécessaires pour établir la confiance ?
Ces notions sont étroitement liées. Le manager doit avoir un rôle d’entraînement, de leadership, d’animation. On a davantage envie de suivre quelqu’un lorsqu’il est capable de convaincre et de dégager une vision à laquelle on croit. La confiance vient alors naturellement, à condition qu’elle soit réciproque et sincère. Elle ne se décrète pas, mais se prouve chaque jour à travers une multitude de signes. Lorsque l’on parvient à l’établir, elle confère une puissance et une énergie déconcertantes.
Quel est le rapport de la Maif à la transparence ?
C’est là aussi une grande source de confiance. Notre mode de fonctionnement en interne est fondé sur la transparence, et au-delà de la transparence, sur la proximité et l’accessibilité. Cela passe par une forme d’horizontalité de l’organisation, même si celle-ci ne doit pas empêcher les managers de jouer leur rôle. Je crois beaucoup au management par l’envie et non par la contrainte.
J’ai toujours considéré qu’il serait irresponsable de ne pas nous intéresser au mouvement de l’économie collaborative et de ne pas l’accompagner.
La transparence vis-à-vis de nos clients fait aussi partie de l’ADN de la Maif. Nos 3 millions de sociétaires participent à la gouvernance de l’entreprise. Ils élisent des membres à notre assemblée générale. Eux-mêmes élisent le conseil d’administration, et cette instance désigne le directeur général. Ce lien de légitimité impose un niveau de transparence très élevé.
Quel est votre regard sur la révolution numérique ?
Le contexte actuel est extraordinairement mouvant. La rupture digitale change radicalement la donne, secteur après secteur, pour les entreprises de la vieille économie. Elle n’incite pas forcément à la plus grande confiance. C’est pourquoi il y a une volonté très forte, en interne, de démontrer que nous avons toutes les raisons d’avoir confiance en nous. Les très bons résultats actuels de la Maif nous confortent.
Nous contribuons à la renforcer en étant à la pointe de notre secteur sur le thème du digital et en favorisant les prises d’initiatives en interne. Nous soutenons par exemple des collaborateurs dans des projets de développement de start-up.
Comment la Maif s’investit-elle dans l’économie collaborative ?
J’ai toujours considéré qu’il serait irresponsable de ne pas nous intéresser au mouvement de l’économie collaborative et de ne pas l’accompagner. Cette économie du partage remet en cause beaucoup de choses, notamment pour le monde de l’assurance. Traditionnellement, un assureur offre une couverture permanente d’un bien pour son possesseur, qu’il s’agisse du propriétaire ou du locataire. Avec l’économie collaborative, deux aspects de ce paradigme sont remis en cause : d’abord, elle oblige à trouver des solutions non permanentes, dans le cas où un logement est loué pour un week-end par exemple. Par ailleurs, cette garantie n’est plus prise par le propriétaire du bien mais par la personne qui en a un usage ponctuel. Cela change profondément le métier d’assureur.
La Maif fait beaucoup d’efforts pour se rapprocher de cette économie, dans des domaines comme le covoiturage ou l’échange d’appartements entre particuliers. Tout ce mouvement qui se développe à la faveur des outils numériques repose lui aussi sur la confiance. Il est évident qu’il faut un niveau de confiance très élevé pour échanger son logement avec un inconnu par exemple.
Qu’apportent ces entreprises à la Maif ?
Les start-up qui nouent des partenariats avec la Maif sont à la recherche d’une caution de confiance. Nous pouvons la leur apporter en leur proposant des offres d’assurances spécifiques et en associant leur marque à la nôtre.
De leur côté, elles nous apportent beaucoup de choses. Ces start-up sont très proches de ce que la Maif était à l’origine, et nous partageons encore beaucoup de valeurs avec elles. On y retrouve la dimension de communauté, de confiance, ou encore de fonctionnement horizontal des membres de la communauté entre eux.
Il y a également un phénomène d’acculturation de la Maif à cette évolution digitale. Ces entreprises nous permettent de comprendre que nous devons être beaucoup plus agiles qu’hier. A leur contact, nous constatons que les usages changent de façon radicale. Nous essayons via, ces partenariats, de créer des interactions pour immerger nos cadres dans ces modes de fonctionnement, qui sont aux antipodes de ceux d’une grande entreprise, ancienne et établie.