Pour accélérer conjointement la réindustrialisation et la transition énergétique, il est nécessaire de réorienter rapidement la French tech vers les problématiques industrielles.
En quelques années, la French Tech est devenue un label fort et reconnu permettant de positionner la France comme un pays innovant et accueillant pour la création d’entreprises technologiques. Avec près de 5 milliards d’euros investis en 2019, la France se situe désormais sur le podium européen du financement des startups derrière la Grande Bretagne, au coude à coude avec l’Allemagne et largement devant l’Italie ou l’Espagne.
Cet incontestable succès ne bénéficie cependant que très peu au secteur manufacturier et par voie de conséquence ne contribue que marginalement à la transition énergétique dont les principaux ressorts sont liés à l’innovation industrielle. L’essentiel des startups soutenus sont aujourd’hui spécialisées dans les activités de service : sur les 120 entreprises composant le French Tech 120 – nouvel indice rassemblant les start-ups les plus prometteuses créé par le gouvernement – seules huit appartiennent au secteur industriel au sens large et quatre au secteur manufacturier.
Quant à la French Fab conçue pour être le pendant industriel de la French Tech, si elle contribue à revaloriser notamment auprès des jeunes les métiers de l’industrie, elle ne joue pas aujourd’hui ce rôle d’incubateur pour le secteur.
Les entreprises industrielles sont pourtant demandeuses de ces structures – en témoignent les nombreuses initiatives internes lancées ces dernières années – mais même les plus grandes d’entre elles peinent, seules, à mobiliser les ressources et assembler les compétences nécessaires pour organiser, structurer un écosystème capable de générer des innovations de rupture et de permettre leur industrialisation rapide. Surtout, elles ont besoin de s’associer pour mutualiser les risques associés à leurs investissements et éviter les silos qui empêchent une exploitation optimale des innovations. Créer l’industrie de demain requiert de décloisonner les filières de l’industrie d’hier.
Il faut répliquer le modèle gagnant de la French Tech dans le secteur industriel et le plan de relance constitue une occasion unique d’y parvenir rapidement. L’Etat doit demander, en échange d’un soutien public financier, logistique et réglementaire, aux industriels de s’associer pour structurer des projets d’incubateurs ambitieux et inclusifs – incluant des PME et des ETI et portés par plusieurs entreprises issues de filières industrielles différentes – et de s’engager à y investir des moyens financiers mais aussi des compétences en y allouant des talents.
Cette solution présente l’avantage de transférer la responsabilité de l’identification des projets innovants aux industriels eux-mêmes. Pour l’Etat, elle devrait s’avérer moins couteuse et plus efficace qu’une intervention directe car la puissance publique s’est rarement montrée particulièrement avisée dans ses choix technologiques dans le passé. Enfin en s’appuyant sur le secteur privé, elle sera probablement plus rapide à mettre en place, à l’heure où la priorité est mise sur la vitesse de déploiement du plan de relance.
Il reviendrait bien sûr à l’Etat de valider l’alignement des nouveaux campus avec les priorités françaises et européennes en termes de souveraineté industrielle et d’écologie mais aussi de veiller à une répartition équilibrée de ces pôles sur le territoire. On pourrait imaginer un grand pôle centré sur les nouveaux modes et moyens de transport autour des constructeurs automobiles, des industriels du transport collectif routier et ferroviaire, ainsi que des grands groupes d’infrastructure et des opérateurs de transport public, un autre sur l’hydrogène alliant les leaders français du secteur d’Air Liquide à Technip Energies et les grands énergéticiens, un autre encore sur la gestion et le stockage de l’énergie regroupant les spécialistes du système de gestion de l’énergie à l’image de Schneider, acteurs de l’industrie de batterie et à nouveau les acteurs de l’énergie et un dernier sur l’économie circulaire réunissant entreprises de service à l’environnement, groupes alimentaires et de biens de grande consommation et distributeurs.
Des initiatives commencent à émerger. Les industriels issus de filières différentes échangent beaucoup sur l’organisation de l’innovation et comment travailler ensemble. Mais si la France veut tout à la fois devenir championne de la transition énergétique et remplacer son industrie dans la course mondiale, il est urgent de changer de dimension.
Les grandes entreprises industrielles doivent soutenir massivement la « destruction créatrice » chère à Joseph Schumpeter qui comme le montrent les récents travaux de Philippe Aghion est le moteur principal de la création de valeur. En participant à l’apparition d’innovations de rupture qui rendront leurs propres technologies obsolètes, les industriels créeront de nouveaux emplois à valeur ajoutée à même d’attirer les talents, développeront de nouveaux outils permettant de réduire notre empreinte environnementale et paradoxalement généreront plus de valeur pour leurs actionnaires.
La Station F a montré le chemin, il faut maintenant que l’industrie suive sa trace pour faire émerger les « Stations E » de l’Environnement.
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