Profit, RSE : même combat !

Mai 68 en version 2018, se mettrait-il à accepter le profit ? Oui, mais en l’enrichissant ! Ainsi, le rapport coécrit par Nicole Notat (ancienne dirigeante de la CFDT) et Jean-Dominique Sénart (actuel patron de Michelin), remis le 9 mars, entend mettre à jour l’article du Code civil de 1804 qui définit l’entreprise et ses objectifs. Il a été bien reçu, sachant que les esprits et les comportements sont déjà, en fait, assez préparés.

« Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés » lit-on dans le Code. Un objet licite, c’est heureux ! Mais « l’intérêt commun des associés » mérite d’être revu et précisé, ce qui impose de savoir ce que veulent dire actuellement les mots « intérêt » et « associés ».

D’abord, l’intérêt ne peut être le seul profit à court terme, comme on le calcule dans certains modèles économiques, le lit dans certains articles critiques, le voit dans les raids boursiers et le mesure, très mal, par la durée moyenne de détention des titres. Tout le monde est d’accord pour dire que le profit est certes recherché, pour assurer la pérennité de l’entreprise, et qu’il est en fait un solde, résultat d’un jeu de forces multiples, internes et externes, combinant (entre autres) leadership, innovation, concurrence et climat économique et social. Les débats idéologiques ont laissé place à la complexité du réel : c’est une bonne chose.

Dans cette même veine, « les associés » en France, entendus de manière restrictive comme « les actionnaires », sont bien plus fidèles qu’on ne le dit. Bien sûr, si l’on prend le trading haute fréquence, les actionnaires le sont au total pendant 22 secondes à New York en janvier 2011, date moyenne de la durée de détention d’une action ! Ceci n’a aucun sens, ces techniques de trading travaillant à la milliseconde, par robot, et étant de plus en plus encadrées (à juste titre). Hors trading haute fréquence, aux Etats-Unis, Politifact note que la durée de détention moyenne d’une action est de 8 ans et 4 mois en 1960, 5 ans et 3 mois en 1970, 2 ans et 9 mois en 1980 et un an et 2 mois en 2000. C’est « mieux », mais ici aussi il faut faire attention aux calculs « en moyenne ».

En France, un rapport de la Banque de France de 1999 montre que les actionnaires personnes physiques détiennent leurs actions 2 ans et 10 mois, les sociétés 9 ans et 10 mois, les fonds d’investissements 1 an et 1 mois et 4 mois les dépositaires français non-résidents en France. C’est donc bien plus long qu’aux États-Unis et différent en fonction des acteurs, ce qui doit être le cas aux États-Unis aussi.

En France, récemment, des travaux montrent que la durée de détention d’actions par les ménages français s’allonge (Lettre Economique et Financière de l’AMF, printemps 2007). Sur la période 1998-2006, ils conservent leurs actions françaises pendant 4 ans et 3 mois et leurs actions étrangères pendant 3 ans et 9 mois. Pour l’ensemble des agents économiques, incluant gestionnaires et non-résidents, les moyennes sur 8 ans s’établissent à 9 mois (actions françaises) et 6 mois (actions étrangères).

Surtout, les « associés » ne sont pas seulement les actionnaires des sociétés cotées en bourse, de très loin s’en faut. Les associés les plus durables possèdent des parts dans les TPE, PME, ETI, cette détention étant souvent une part significative, voire très significative, de leur patrimoine, et souvent leur lieu de travail. On peut donc dire que les « associés actionnaires français » sont fidèles, non par inertie (comme on pourrait l’entendre), mais par un calcul qui combine leur satisfaction devant les résultats obtenus et la confiance qu’ils ont dans l’entreprise, une confiance qu’ils ont tout intérêt à renforcer.

C’est ici que l’on retrouve la Responsabilité Sociale de l’Entreprise. En effet, contre les excès largement américains, la financiarisation de l’entreprise à la recherche d’une valorisation maximale, souvent pour acheter des concurrents par échange de titres, plus la crise des subprimes et la très lente remontée de l’activité depuis la crise de 2008, il s’agit de renforcer l’engagement sociétal de l’entreprise. Selon l’étude « The 2016 Deloitte Millennial Survey » (8.000 jeunes nés après 1982 interviewés dans 29 pays), 54% des « millenials » sont d’accord avec l’affirmation selon laquelle l’entreprise n’a pas d’autres finalités que celle de faire de l’argent. Donc 46% pensent le contraire, et ce pourcentage n’a pu que monter !

Le Rapport Notat Sénart note ainsi qu’ « une récente étude (Ecovadis) estime que les entreprises françaises présentent de bons résultats en matière de RSE et se classent devant les entreprises situées dans les BRICS et dans le reste de l’OCDE sur les thèmes environnementaux et sociaux.» Et, en même temps, « quelles que soient la mesure de la performance économique… et la dimension de la RSE, l’étude observe un écart de performance économique d’environ 13% en moyenne entre les entreprises qui mettent en place des pratiques RSE et celles qui ne le font pas ».

Moralité : le profit est multidimensionnel, et ceci est bien compris et accepté en France, avec des actionnaires somme toute fidèles. La logique de la RSE s’y développe, ce qui enclenche un cercle vertueux profit-RSE. Dans une sortie de crise où la place de la RSE sera décisive, ce rapport vient au bon moment. Il faut donc continuer.

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Fondateur de Betbeze Conseil SAS, Professeur de Faculté en Sciences économiques, Jean-Paul Betbeze a été Chef Economiste du Crédit Lyonnais en 1989 puis du Crédit Agricole (et membre de son Comité exécutif) jusqu’en 2013. Ancien membre du Conseil d’analyse économique auprès du Premier ministre et de la Commission Economique de la Nation, il est membre du Cercle des économistes et Président du Comité scientifique de la Fondation Robert Schumann. Auteur de nombreux ouvrages et rapports, il a rejoint le cabinet en avril 2013 en tant qu’Economic Advisor pour apporter son regard d’expert en analyse économique, conjoncturelle et financière.

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Tags: Economie

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