Quand le prix du pétrole ne monte plus, il baisse

Le prix du baril de WTI refranchit à la baisse les 50 dollars, à 48,7$ et celui du Brent un peu à la hausse, à 51,7$. La chute est nette en quelques jours : environ 9% et la remontée hésitante. Ce n’est pas la première fois qu’une cassure apparaît dans la « normalisation » des prix tant voulue par l’Opep et les pays qu’elle a enrôlés pour diminuer, avec elle, la production de pétrole. Mais cette fois elle inquiète. L’idée était de produire moins pour exporter moins, afin de réduire la surproduction mondiale qui avait fait s’effondrer les prix, pour les faire remonter ensuite. L’Opep avait promis qu’il suffirait de quelques mois pour stabiliser le marché, demandant un effort important, mais temporaire, à des pays comme l’Irak et le Venezuela, ce qui n’était pas évident pour eux.

Mais patatras, voilà des semaines que les stocks américains de pétrole brut se remplissent (sauf la dernière) ! Etrange mesure pourrait-on dire, quand on ne sait exactement combien de barils flottent dans les tankers et ceux qui passent dans les oléoducs de par le monde ! Mesure préférée des marchés financiers que ces stocks cependant, car hebdomadaire et supposée sans défaut ! Ce qui se passe, en réalité, c’est que la stratégie voulue par l’Opep ne fonctionne pas facilement à l’encontre des exportateurs américains. Voilà en effet quinze mois que le pétrole américain peut être exporté, la loi qui l’interdisait ayant été abrogée. Pour comprendre cette loi, il faut se souvenir du choc pétrolier des années 1970, donc de la décision américaine de conserver d’amples réserves stratégiques. Et pour comprendre pourquoi elle a été abandonnée, il suffit de mentionner la découverte de vastes réserves de gaz et pétrole de schiste aux Etats-Unis. Quand le prix du baril était de 120 dollars, leur coût d’extraction était de 80. Extraire aux Etats-Unis devenait dès lors profitable, et sans danger ! Les lobbies se sont mis en œuvre, et ont gagné.

Mais ces exportations américaines déstabilisent un marché mondial déjà fragile, avec en plus des interrogations sur la croissance mondiale : ralentissement chinois plus crises vénézuélienne et brésilienne notamment. Le prix du baril plonge… et l’Opep décide de réduire sa production.

C’était rationnel. D’abord, le pétrole est un actif « stockable » sans problème majeur. Ensuite, la décision de produire moins implique certes de moindres rentrées budgétaires, mais elles peuvent être jugées temporaires. A moyen terme, exporter moins permet ainsi de gagner plus. Il « suffit » donc de se mettre d’accord, de frapper les esprits et d’attendre.

C’est aussi (surtout ?) tactique : pour la plupart, les exportateurs OPEP peuvent résister à des prix à 40 ou 50 dollars, prix qui tuent leurs concurrents américains. C’est ce qui se passe : le nombre de puits, qui augmentait régulièrement aux Etats-Unis jusqu’à atteindre 1575 en novembre 2014, plonge à 340 en juillet 2016. Mais il remonte à 617 actuellement, car le prix d’équilibre de l’extraction baisse (officiellement) à 50 ! Les puits les moins efficaces sont fermés, avec pertes. Les nouveaux et ceux qui résistent bénéficient d’améliorations technologiques rapides.

Alors ? L’Opep va-t-elle relancer une nouvelle phase de baisses des quantités – comme elle l’annonce par son ministre de l’énergie, au risque d’affaiblir encore ses membres, et d’en conduire certains sinon la faillite, tout au moins à des tensions graves (Venezuela, Nigéria, Algérie…) ? Et au même moment, elle indique qu’elle a augmenté sa production (263 000 barils par jour en février par rapport à janvier), pour ne pas baisser… pour les autres ! Ou bien va-t-elle chercher à gérer un nouveau prix d’équilibre, autour de 50 dollars le baril, qui empêcherait au moins l’ouverture de nouveaux puits aux Etats-Unis ? Pas simple !

Avec ces perspectives, l’Opep pourrait se distendre encore, le prix du pétrole baisser, les perspectives budgétaires des pays exportateurs être plus affectées et la stabilisation entre Opep et non Opep (alias Etats-Unis) plus dure à atteindre. La règle « produire moins de pétrole pour en exporter moins un temps, en attendant que les prix remontent » devient : « stabiliser le prix du pétrole à un niveau qui cantonne le nouveau venu américain, pour ne pas déstabiliser le marché, ce qui force partout à agir d’ores et déjà en fonction d’un « après-pétrole » qui a pris de l’avance ». Le pétrole et le gaz de schiste ont accéléré de vingt ans au moins l’histoire de l’énergie. Elle ne sera plus la même.

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Fondateur de Betbeze Conseil SAS, Professeur de Faculté en Sciences économiques, Jean-Paul Betbeze a été Chef Economiste du Crédit Lyonnais en 1989 puis du Crédit Agricole (et membre de son Comité exécutif) jusqu’en 2013. Ancien membre du Conseil d’analyse économique auprès du Premier ministre et de la Commission Economique de la Nation, il est membre du Cercle des économistes et Président du Comité scientifique de la Fondation Robert Schumann. Auteur de nombreux ouvrages et rapports, il a rejoint le cabinet en avril 2013 en tant qu’Economic Advisor pour apporter son regard d’expert en analyse économique, conjoncturelle et financière.

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