Quelle souveraineté européenne ?

Le Brexit le montre, Emmanuel Macron le 7 septembre à Athènes et Jean-Claude Juncker à Strasbourg le 13 le disent : si l’Europe et la zone euro ne précisent, et surtout ne renforcent pas, l’organisation de leur souveraineté, elles ne résisteront pas aux chocs futurs. C’est en effet pour être maître de ses lois, notamment de sa politique d’immigration, que le Royaume-Uni a voté le Brexit. Le voilà « souverain », quitte à négocier durement avec l’Union européenne, à chercher des amis et des marchés dans des conditions plus tendues, et à devoir adosser (sans trop le dire) sa monnaie et sa finance aux Etats-Unis. La souveraineté « à l’anglaise » a surtout concerné les libertés des personnes et des biens, sachant qu’elle n’avait pas formellement abdiqué sa souveraineté monétaire en gardant la livre, une livre liée en fait à l’euro. « Souveraineté sociale » d’abord, celle des frontières et des lois, tel fut son choix.

Le risque Brexit va-t-il s’étendre, pour ces mêmes raisons de « souveraineté sociale » ? En effet, l’immigration pose aujourd’hui des problèmes croissants en Europe, avec la Hongrie et la Pologne, sans oublier les récentes élections allemandes. Mais que va-t-il se passer en matière de souveraineté militaire, avec des armées nationales souvent faibles, quand le parapluie américain se réduit ? Et en matière de souveraineté fiscale, que faire avec les GAFA ?

La souveraineté ou les souverainetés : quelles définitions, quelle organisation et quelles hiérarchies ? C’est aujourd’hui que se pose vraiment le problème économique, avec sa base politique, dans un monde plus tendu, entre la Chine et les Etats-Unis dont les poids et les stratégies changent. La zone euro s’est toujours vécue comme une terre de paix et de liberté, un vaste marché, une « soft power ». Dans ce contexte, la « souveraineté européenne » est surtout économique et interne, destinée à renforcer l’intégration, en négociant entre Etats des abandons – l’euro ou la concurrence, ou des partages de souveraineté – le budget, certains domaines fiscaux, avec des souverainetés maintenues, les politiques extérieures et surtout la défense.

Aujourd’hui, cette souveraineté est à géométrie variable. « Je crois dans la souveraineté, les souverainetés nationales qui sont les nôtres, mais je crois dans cette souveraineté européenne. Pourquoi ? Parce que nos défis ne sont plus à l’échelle de nos nations » dit Emmanuel Macron à Athènes, parlant au lieu même où se prenaient les décisions de la République. « Je n’ai pas de sympathie pour l’idée d’un Parlement spécifique de la zone euro. Le Parlement de la zone euro est le Parlement européen » dit Jean-Claude Juncker, qui s’oppose ainsi à une idée d’Emmanuel Macron. Mais « j’ai de la sympathie pour présenter des listes transnationales », une de ses propositions, reprise dans son discours à la Sorbonne du 26 septembre. Jean-Claude Juncker ajoute qu’il souhaite que le Président de la Commission soit celui du Conseil européen et que naisse un Ministre de l’Economie et des Finances de l’Union. Il serait en charge de l’économie et des finances, « idéalement vice-président de la Commission européenne – et président de l’Eurogroupe ». L’Union plus démocratique, avec des liens plus nets et lisibles avec les électeurs, va devoir être plus efficace, ceci en étant la preuve. C’est alors qu’il propose que des décisions soient prises à la majorité qualifiée et plus à l’unanimité, en matière fiscale (base de l’IS, taux de TVA, fiscalité du numérique, avec la création d’un FME – Fonds Monétaire Européen, pour gérer les crises), et en matière de politique étrangère, en renforçant les moyens de renseignement et surtout d’intervention militaire de l’Union.

La souveraineté, c’est la capacité, pour une organisation, de disposer des outils qui lui permettent de dessiner une trajectoire économique et sociale, dans un environnement qui devient aujourd’hui plus complexe et hostile. Ce sont des moyens militaires, à côté de la monnaie et de la surveillance du système financier, des lois et des tribunaux, des règles sociales et d’encouragement à la formation et à l’innovation, qui assureront la cohésion du corps social, en le protégeant. Seule cette organisation résiste aux chocs et permet d’avancer.

Si l’Union ne se renforce pas par plus de souveraineté européenne, donc de souverainetés partagées, pour protéger ses membres et alliés, elle s’affaiblira économiquement et financièrement, parce que politiquement et socialement. Jusqu’à exploser. Il s’agit de passer du soft power au hard power, dans ce monde qui change. Et de le dire.

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Fondateur de Betbeze Conseil SAS, Professeur de Faculté en Sciences économiques, Jean-Paul Betbeze a été Chef Economiste du Crédit Lyonnais en 1989 puis du Crédit Agricole (et membre de son Comité exécutif) jusqu’en 2013. Ancien membre du Conseil d’analyse économique auprès du Premier ministre et de la Commission Economique de la Nation, il est membre du Cercle des économistes et Président du Comité scientifique de la Fondation Robert Schumann. Auteur de nombreux ouvrages et rapports, il a rejoint le cabinet en avril 2013 en tant qu’Economic Advisor pour apporter son regard d’expert en analyse économique, conjoncturelle et financière.

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