Refonte du questionnaire lutte anti-blanchiment : une approche qui évolue avec des impacts forts pour les entités assujetties

Article co-écrit par Ivann Le Pallec (Senior Consultant Risk Advisory) et Valentin Brohm (Manager Risk Advisory)

Le remplissage du Questionnaire Lutte Anti-Blanchiment (QLB) est un exercice bien connu des organismes assujettis et des équipes conformité qui y consacrent du temps et des efforts chaque début d’année. L’exercice est structurant : il impose aux organismes répondants de collecter et traiter les informations nécessaires pour compléter le QLB, leur fournissant également une occasion de questionner le dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme (LCB-FT) qu’ils ont mis en place.

L’ACPR, à qui les QLB sont adressés, capitalise sur les questionnaires et les précieuses informations qu’ils contiennent pour affiner sa connaissance des dispositifs LCB-FT de la place, de leur pertinence et de leurs limites, mais aussi pour exercer son contrôle des entités assujetties (il s’agit du contrôle sur pièces qui, pour rappel, est indépendant du contrôle sur place). Dans l’optique de poursuivre et renforcer cette démarche, l’ACPR a publié à la fin de l’année 2022 une nouvelle instruction concernant le QLB[1] et cinq annexes qui l’accompagnent. Cette instruction apporte de nombreuses évolutions par rapport à l’ancienne instruction[2] et il est évident que certaines d’entre elles vont impacter de manière significative les organismes assujettis.

Il est donc proposé ci-dessous d’évoquer les principaux enseignements de cette refonte, notamment l’émergence de questionnaires dits « allégés », les principales modifications apportées au questionnaire ainsi que les impacts et enjeux pour les organismes répondants.

 

Un périmètre d’application inchangé couplé à l’apparition de nouveaux questionnaires

Les nouvelles instructions publiées par l’ACPR viennent rappeler le périmètre d’application du QLB. A cet égard, il convient de préciser que la liste des établissements assujettis est inchangée. Ainsi, les casinos, opérateurs de jeux et de paris, marchands de biens, notaires, avocats, intermédiaires d’assurance et en opérations de banque, changeurs manuels ou encore agents sportifs ne sont toujours pas concernés par le QLB.

Si le périmètre n’a pas changé, une évolution importante est à relever. En effet, l’ACPR a introduit de nouveaux dispositifs spécifiques en prévoyant la possibilité pour des organismes présentant certaines caractéristiques de remplir des QLB qualifiés d’allégés (car incluant un nombre moins important de questions que le QLB général). Plusieurs versions de QLB allégés ont été prévues (Annexes II, III et IV de l’instruction).

Afin de retrouver facilement quelle version/annexe du QLB et quels tableaux s’appliquent en fonction des types d’organismes concernés, le tableau ci-dessous propose une synthèse des différents cas existants :

 

Périmètre Organismes concernés Questionnaire applicable
Assurance Organismes qui réalisent des opérations d’assurance-vie ou de capitalisation Questionnaire général : Annexe I

Questionnaire sectoriel secteur de l’assurance : Annexe I, Tableau B7-2

Organismes fournissant exclusivement des produits  d’assurance-vie ou de capitalisation répondant à l’une des caractéristiques suivantes :

– Produits et services présentant un faible risque de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme listés par l’article R561-16 du CMF

– Absence de valeur de rachat

– Plan d’épargne retraite

– Produits ou services représentant moins de 1M€ de primes annuelles et moins de 10M€ de provisions techniques

Questionnaire allégé : Annexe II

 

Organismes qui réalisent des opérations d’assurance non-vie Annexe I, Tableau B2-1
Banque – Etablissements de crédit et sociétés de financement

– Etablissements de paiement

– Etablissements de monnaie électronique

Questionnaire général : Annexe I
Parmi les établissements cités ci-dessus, les prestataires de services de paiement Questionnaire sectoriel secteur de la banque : Annexe I, Tableau B7-1, Tableau B9
Organismes dont les activités exercées durant la dernière année consistent exclusivement en l’une des activités suivantes :

– Cautionnement

– Affacturage

– Réception, transmission et exécution d’ordres / gestion de portefeuille, pour le compte de clients institutionnels (UE/EEE)

Questionnaire allégé : annexe III
Organismes qui sont :

– Des succursales françaises d’organismes financiers (UE/EEE) qui n’ont, au cours de la dernière année, exercé aucune des activités notifiées dans le cadre du « passeport européen »

– Des organismes agréés par l’ACPR au cours de la dernière année qui n’ont pas encore commencé leur activité le 31 décembre de l’année précédant la remise des tableaux, ou

– Des « Filiales outils » (dont l’activité exclusive est de porter des actifs en vue de leur refinancement) et qui délèguent la mise en œuvre des obligations LCB-FT aux autres entités du groupe

Questionnaire allégé : annexe IV
Groupe Entreprises mères de groupe Annexe I, Tableau B0 et B4

 

De nombreuses évolutions qui soulignent l’émergence d’une approche plus objective et quantitative du questionnaire

L’analyse du questionnaire général met en avant un accroissement significatif du nombre de questions et notamment de celles visant la collecte de données quantitatives (évolution qui avait déjà été observée sur le QPC « Questionnaire de Protection de la Clientèle » pourtant plus récent). Ces évolutions sont particulièrement visibles dans les deux questionnaires sectoriels (tableau B7-1 pour la Banque et B7-2 pour l’Assurance) ainsi que dans le tableau sur les données statistiques (tableau B8). Cette refonte témoigne d’une nouvelle approche de l’ACPR qui privilégie davantage les réponses descriptives appuyées par des données chiffrées plutôt que des réponses fermées (en « oui/non »). Cela met également en avant la volonté de l’ACPR d’apprécier plus précisément la bonne mise en œuvre de l’approche par les risques, en particulier concernant la gestion des situations à risque (telles que celles liées à certaines relations d’affaires présentant un risque élevé), ainsi que la capacité des organismes à disposer des données nécessaires à l’élaboration du QLB).

Parmi les principales évolutions constatées, les ajouts suivants illustrent bien cette nouvelle approche de l’ACPR :

  • Secteur Banque (Tableau B7-1) : Des informations détaillées sur la volumétrie des opérations des prestataires de services de paiement sont dorénavant requises. Sont ainsi attendus des éléments sur les entrées en relations d’affaires (ex : nombre d’entrées en relation à distance), sur le niveau de collecte des pièces justificatives (ex : part des clients pour lesquels un justificatif sur le patrimoine a été collecté), sur le montant des opérations enregistrées (ex : opérations entrantes, sortantes, en espèces, pour des clients en risque élevé…).
  • Secteur Assurance (Tableau B7-2) : Des questions plus détaillées sur les activités et les mesures de vigilance ont été intégrées. Des informations sur les contrats présentant des caractéristiques spécifiques en matière de LCB-FT (ex : nombre de contrats présentant des valeurs de rachats et/ou versements supérieurs à 150K€, part de ces derniers pour lesquels les justificatifs de patrimoine sont collectés…) sont par dorénavant requises. Doivent aussi être précisées les mesures de vigilance mises en place pour certaines situations à risque et le montant des opérations associées (ex : augmentation significative des versements, rachats précoces, souscripteur différent du payeur…).
  • Données statistiques (B8) : Les questions ont été multipliées, en particulier sur la volumétrie liée à l’application des mesures de vigilance (ex : nombre de décisions sur l’année de ne pas entrer en relation avec des prospects pour motif LCB-FT, part des relations,  d’affaires personnes morales pour lesquelles les éléments d’identification des bénéficiaires effectifs figurent dans une base de données…) ou sur les effectifs internes ou externes liés au dispositif LCB-FT, en distinguant les personnes exposées et les personnes spécialisées ou encore les travailleurs temporaires (intérim, prestataires) et les effectifs agissant pour le compte de l’organisme (agents généraux d’assurance, agents de PSP).

A ces ajouts, il conviendra également de porter une attention particulière aux questions portant sur le dispositif de contrôle interne (tableau B3) qui ont été particulièrement détaillées, avec notamment des demandes sur les résultats des dernières évaluations du dispositif LCB-FT (via les travaux du contrôle interne) ou sur l’organisation mise en place en matière de contrôle des tierces introductions et externalisations LCB-FT. Ces questions font notamment écho aux exigences fixées par l’arrêté du 6 janvier 2021[3].

Il convient enfin de rappeler que l’ACPR a pris la peine de publier un document d’information comparant les différents questionnaires prévus par l’instruction n°2022-I-18 avec celui de l’instruction n°2019-I-24, et indiquant les questions qui ont été conservées totalement ou partiellement. On ne saurait trop conseiller aux organismes assujettis de s’y référer attentivement.

 

Une refonte aux multiples enjeux pour les organismes assujettis

La création de questionnaires allégés pour certains organismes va permettre à ces derniers de réduire la charge liée à l’exercice de remplissage du QLB. Pour les autres organismes assujettis, au contraire, le nouveau questionnaire va mettre à l’épreuve leurs capacités de pilotage du dispositif LCB-FT et de recueil, traitement et consolidation des informations qui y sont afférentes. Au regard des évolutions du questionnaire, les enjeux suivants paraissent devoir être particulièrement mis en exergue :

  • Être en capacité de piloter, collecter et exploiter les données relatives au dispositif LCB-FT, aux relations d’affaires et aux opérations : La refonte du QLB a entrainé l’émergence de nombreuses questions portant sur la collecte de données quantitatives. Le bon remplissage du questionnaire est donc conditionné au déploiement d’un dispositif avancé de suivi des relations d’affaires et opérations, de gestion et de pilotage des données. L’organisme doit notamment pouvoir rapprocher des données de différentes natures, les consolider et les restituer (ex : identifier le volume des nouvelles souscriptions tout en singularisant la part d’entre-elles pour lesquelles les pièces justificatives sont collectées).
  • Être en mesure d’identifier les situations à risque et consolider les informations qui y sont relatives : De nombreuses questions sont apparues pour lesquelles les réponses doivent être détaillées selon les risques présentés par certaines opérations, certains contrats ou certaines personnes (ex : pourcentage de relations d’affaires dans la troisième catégorie de risque la plus élevée). Pour répondre à ces questions, les organismes assujettis doivent disposer de la capacité d’identifier aisément les relations d’affaires à risque et pouvoir ventiler les relations d’affaires en fonction des niveaux de risque. A cet égard, il convient de noter que l’absence d’un outil de scoring/profilage peut impacter significativement la capacité d’un organisme à répondre pertinemment aux questions, voire rendre l’exercice impossible.
  • S’assurer de la collaboration de l’ensemble des parties prenantes : De manière générale, la mise en œuvre d’un dispositif LCB-FT efficace nécessite l’implication et la participation de différentes parties (internes, mais aussi externes). Les questions ajoutées mettent en avant ces prérequis au travers de la variété des données demandées. A titre d’illustration, la réponse à certaines questions suppose que les organismes collectent suffisamment de données et d’informations de la part des intermédiaires avec qui ils travaillent (ex : pièces justificatives collectées par l’intermédiaire). De même, la bonne connaissance des effectifs liés au dispositif LCB-FT et le suivi de ceux étant formés impliquent de collaborer étroitement avec les ressources humaines.
  • Déployer un dispositif de contrôle interne robuste : En lien avec l’arrêté du 6 janvier 2021 relatif au dispositif et au contrôle interne en matière de LCB-FT, le nouveau questionnaire accentue les demandes dédiées au contrôle interne. Les organismes assujettis doivent pouvoir démontrer, à travers leurs réponses, la bonne mise en œuvre des dispositifs de contrôle, la couverture exhaustive des composantes du dispositif LCB-FT et le suivi adéquat des mesures correctrices. Au même titre que les enjeux précédents, cela implique pour les entreprises, notamment celles présentant une taille importante, de pouvoir consolider à la fois les informations relatives aux résultats des dispositifs de contrôle et le niveau d’avancement des actions correctives définies. Sur ce point, il convient d’ailleurs de noter que des synergies pourront être trouvées entre le remplissage du QLB et la rédaction du rapport de contrôle interne LCB-FT, à condition, bien sûr, de s’assurer de la cohérence des informations intégrées dans ces deux supports.

 

Être prêt pour 2024 et capitaliser sur l’exercice pour améliorer son dispositif LCB-FT

L’ensemble des évolutions présentées ci-dessus s’appliqueront dès le 1er janvier 2024 avec une échéance fixée au mois de mars 2024 pour la remise du nouveau QLB. Cela laisse le temps aux organismes assujettis d’anticiper ce nouvel exercice et de s’organiser pour répondre aux défis qu’il représente. Il faut toutefois admettre que la marche à franchir est importante pour certains organismes qui sont encore loin de pouvoir répondre pertinemment à l’ensemble des questions et doivent se préparer dès à présent. Initier un exercice test en 2023 pour identifier les informations disponibles, celles qui manquent et celles qui sont incomplètes, pourrait être particulièrement opportun. D’autant que cela donnerait aussi à ces organismes l’occasion d’améliorer leur reporting interne LCB-FT et le pilotage de leur dispositif LCB-FT. Ce dernier point doit aussi interpeler les organismes assujettis partiellement, voire pas du tout, à l’obligation d’élaborer le QLB (assureurs non-vie, mutuelles …), puisqu’il est également opportun pour eux de s’inspirer du QLB général pour faire évoluer leurs modèles de reporting interne.

Rappelons aussi que l’ACPR exerce son contrôle des organismes assujettis à la LCB-FT à travers l’étude des réponses des QLB. Les résultats des contrôles sur pièces peuvent d’ailleurs générer un contrôle sur place. L’élaboration du QLB ne doit donc jamais être considérée comme un exercice anodin et la plus grande rigueur doit être apportée à son remplissage. Pour aider les organismes à prendre en compte les évolutions du QLB, le guide méthodologique proposé par l’ACPR a utilement été enrichi et permet de cadrer une partie importante des nouvelles questions, dont celles impliquant la collecte de données quantitatives. L’ACPR y apporte des précisions sur les degrés de tolérance quant aux données fournies, la méthode à suivre pour l’évaluation des dispositifs ou encore la possibilité de fournir des réponses sur la base d’un échantillon (sous réserve d’avoir la capacité de pouvoir démontrer sa représentativité). Le guide méthodologique constitue donc une aide précieuse. Il peut toutefois subsister une marge d’interprétation pour les organismes assujettis et c’est là qu’il convient d’essayer d’uniformiser les pratiques. A minima, au sein d’un même groupe, les entités assujetties doivent avoir des pratiques homogènes de remplissage du QLB (sous l’impulsion de l’entité « tête de groupe » proposant les standards internes en la matière). Pour aller plus loin, il apparait utile que les organisations représentatives (FBF, France Assureurs…) s’accordent sur des règles de remplissage s’imposant à tous leurs membres.

En conclusion, la refonte du QLB présente de nombreux enjeux pour les organismes qui devront prévoir et anticiper une charge supplémentaire pour le remplissage du questionnaire, préparer la collecte de nombreuses informations complémentaires (en définissant si possible un processus dédié) et s’assurer d’être prêts pour le début 2024. Toutefois, l’exercice présente également des opportunités pour les organismes assujettis : renforcer le pilotage de leur dispositif LCB-FT, améliorer la circulation des informations au sein de ce dispositif, identifier des potentielles lacunes du dispositif LCB-FT ainsi que les actions permettant d’y remédier, et enfin créer davantage de dialogue et d’échange avec certaines parties prenantes du dispositif LCB-FT (en interne, avec la DSI et les Data, les RH… comme en externe, avec les intermédiaires, les distributeurs et les délégataires). Il reste aux organismes concernés à savoir saisir ces opportunités.

 

[1] Instruction n° 2022-I-18

[2] Instruction n° 2019-I-24

[3] Arrêté du 6 janvier 2021 relatif au dispositif et au contrôle interne en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et de gel des avoirs et d’interdiction de mise à disposition ou d’utilisation des fonds ou ressources économiques

Odilon est responsable de l’activité Compliance, Contrôle Interne et Risques opérationnels de Deloitte Risk Advisory auprès des sociétés d’assurance, mutuelles et institutions de prévoyance. Il intervient notamment sur les risques non financiers comme la sécurité financière (lutte anti-fraude, lutte anti-blanchiment, sanctions internationales, lutte anti-corruption, etc.) ou la protection de la clientèle (DDA, Conduct risk, etc.) ou encore les risques d’externalisation/sous-traitance. Il est également très actif sur le groupe d’innovation RegTech.

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