Le remplissage du Questionnaire Lutte Anti-Blanchiment (QLB) est un exercice bien connu des organismes assujettis et des équipes conformité qui y consacrent du temps et des efforts chaque début d’année. L’exercice est structurant : il impose aux organismes répondants de collecter et traiter les informations nécessaires pour compléter le QLB, leur fournissant également une occasion de questionner le dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme (LCB-FT) qu’ils ont mis en place.
L’ACPR, à qui les QLB sont adressés, capitalise sur les questionnaires et les précieuses informations qu’ils contiennent pour affiner sa connaissance des dispositifs LCB-FT de la place, de leur pertinence et de leurs limites, mais aussi pour exercer son contrôle des entités assujetties (il s’agit du contrôle sur pièces qui, pour rappel, est indépendant du contrôle sur place). Dans l’optique de poursuivre et renforcer cette démarche, l’ACPR a publié à la fin de l’année 2022 une nouvelle instruction concernant le QLB[1] et cinq annexes qui l’accompagnent. Cette instruction apporte de nombreuses évolutions par rapport à l’ancienne instruction[2] et il est évident que certaines d’entre elles vont impacter de manière significative les organismes assujettis.
Il est donc proposé ci-dessous d’évoquer les principaux enseignements de cette refonte, notamment l’émergence de questionnaires dits « allégés », les principales modifications apportées au questionnaire ainsi que les impacts et enjeux pour les organismes répondants.
Les nouvelles instructions publiées par l’ACPR viennent rappeler le périmètre d’application du QLB. A cet égard, il convient de préciser que la liste des établissements assujettis est inchangée. Ainsi, les casinos, opérateurs de jeux et de paris, marchands de biens, notaires, avocats, intermédiaires d’assurance et en opérations de banque, changeurs manuels ou encore agents sportifs ne sont toujours pas concernés par le QLB.
Si le périmètre n’a pas changé, une évolution importante est à relever. En effet, l’ACPR a introduit de nouveaux dispositifs spécifiques en prévoyant la possibilité pour des organismes présentant certaines caractéristiques de remplir des QLB qualifiés d’allégés (car incluant un nombre moins important de questions que le QLB général). Plusieurs versions de QLB allégés ont été prévues (Annexes II, III et IV de l’instruction).
Afin de retrouver facilement quelle version/annexe du QLB et quels tableaux s’appliquent en fonction des types d’organismes concernés, le tableau ci-dessous propose une synthèse des différents cas existants :
Périmètre | Organismes concernés | Questionnaire applicable |
Assurance | Organismes qui réalisent des opérations d’assurance-vie ou de capitalisation | Questionnaire général : Annexe I
Questionnaire sectoriel secteur de l’assurance : Annexe I, Tableau B7-2 |
Organismes fournissant exclusivement des produits d’assurance-vie ou de capitalisation répondant à l’une des caractéristiques suivantes :
– Produits et services présentant un faible risque de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme listés par l’article R561-16 du CMF – Absence de valeur de rachat – Plan d’épargne retraite – Produits ou services représentant moins de 1M€ de primes annuelles et moins de 10M€ de provisions techniques |
Questionnaire allégé : Annexe II
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Organismes qui réalisent des opérations d’assurance non-vie | Annexe I, Tableau B2-1 | |
Banque | – Etablissements de crédit et sociétés de financement
– Etablissements de paiement – Etablissements de monnaie électronique |
Questionnaire général : Annexe I |
Parmi les établissements cités ci-dessus, les prestataires de services de paiement | Questionnaire sectoriel secteur de la banque : Annexe I, Tableau B7-1, Tableau B9 | |
Organismes dont les activités exercées durant la dernière année consistent exclusivement en l’une des activités suivantes :
– Cautionnement – Affacturage – Réception, transmission et exécution d’ordres / gestion de portefeuille, pour le compte de clients institutionnels (UE/EEE) |
Questionnaire allégé : annexe III | |
Organismes qui sont :
– Des succursales françaises d’organismes financiers (UE/EEE) qui n’ont, au cours de la dernière année, exercé aucune des activités notifiées dans le cadre du « passeport européen » – Des organismes agréés par l’ACPR au cours de la dernière année qui n’ont pas encore commencé leur activité le 31 décembre de l’année précédant la remise des tableaux, ou – Des « Filiales outils » (dont l’activité exclusive est de porter des actifs en vue de leur refinancement) et qui délèguent la mise en œuvre des obligations LCB-FT aux autres entités du groupe |
Questionnaire allégé : annexe IV | |
Groupe | Entreprises mères de groupe | Annexe I, Tableau B0 et B4 |
L’analyse du questionnaire général met en avant un accroissement significatif du nombre de questions et notamment de celles visant la collecte de données quantitatives (évolution qui avait déjà été observée sur le QPC « Questionnaire de Protection de la Clientèle » pourtant plus récent). Ces évolutions sont particulièrement visibles dans les deux questionnaires sectoriels (tableau B7-1 pour la Banque et B7-2 pour l’Assurance) ainsi que dans le tableau sur les données statistiques (tableau B8). Cette refonte témoigne d’une nouvelle approche de l’ACPR qui privilégie davantage les réponses descriptives appuyées par des données chiffrées plutôt que des réponses fermées (en « oui/non »). Cela met également en avant la volonté de l’ACPR d’apprécier plus précisément la bonne mise en œuvre de l’approche par les risques, en particulier concernant la gestion des situations à risque (telles que celles liées à certaines relations d’affaires présentant un risque élevé), ainsi que la capacité des organismes à disposer des données nécessaires à l’élaboration du QLB).
Parmi les principales évolutions constatées, les ajouts suivants illustrent bien cette nouvelle approche de l’ACPR :
A ces ajouts, il conviendra également de porter une attention particulière aux questions portant sur le dispositif de contrôle interne (tableau B3) qui ont été particulièrement détaillées, avec notamment des demandes sur les résultats des dernières évaluations du dispositif LCB-FT (via les travaux du contrôle interne) ou sur l’organisation mise en place en matière de contrôle des tierces introductions et externalisations LCB-FT. Ces questions font notamment écho aux exigences fixées par l’arrêté du 6 janvier 2021[3].
Il convient enfin de rappeler que l’ACPR a pris la peine de publier un document d’information comparant les différents questionnaires prévus par l’instruction n°2022-I-18 avec celui de l’instruction n°2019-I-24, et indiquant les questions qui ont été conservées totalement ou partiellement. On ne saurait trop conseiller aux organismes assujettis de s’y référer attentivement.
La création de questionnaires allégés pour certains organismes va permettre à ces derniers de réduire la charge liée à l’exercice de remplissage du QLB. Pour les autres organismes assujettis, au contraire, le nouveau questionnaire va mettre à l’épreuve leurs capacités de pilotage du dispositif LCB-FT et de recueil, traitement et consolidation des informations qui y sont afférentes. Au regard des évolutions du questionnaire, les enjeux suivants paraissent devoir être particulièrement mis en exergue :
L’ensemble des évolutions présentées ci-dessus s’appliqueront dès le 1er janvier 2024 avec une échéance fixée au mois de mars 2024 pour la remise du nouveau QLB. Cela laisse le temps aux organismes assujettis d’anticiper ce nouvel exercice et de s’organiser pour répondre aux défis qu’il représente. Il faut toutefois admettre que la marche à franchir est importante pour certains organismes qui sont encore loin de pouvoir répondre pertinemment à l’ensemble des questions et doivent se préparer dès à présent. Initier un exercice test en 2023 pour identifier les informations disponibles, celles qui manquent et celles qui sont incomplètes, pourrait être particulièrement opportun. D’autant que cela donnerait aussi à ces organismes l’occasion d’améliorer leur reporting interne LCB-FT et le pilotage de leur dispositif LCB-FT. Ce dernier point doit aussi interpeler les organismes assujettis partiellement, voire pas du tout, à l’obligation d’élaborer le QLB (assureurs non-vie, mutuelles …), puisqu’il est également opportun pour eux de s’inspirer du QLB général pour faire évoluer leurs modèles de reporting interne.
Rappelons aussi que l’ACPR exerce son contrôle des organismes assujettis à la LCB-FT à travers l’étude des réponses des QLB. Les résultats des contrôles sur pièces peuvent d’ailleurs générer un contrôle sur place. L’élaboration du QLB ne doit donc jamais être considérée comme un exercice anodin et la plus grande rigueur doit être apportée à son remplissage. Pour aider les organismes à prendre en compte les évolutions du QLB, le guide méthodologique proposé par l’ACPR a utilement été enrichi et permet de cadrer une partie importante des nouvelles questions, dont celles impliquant la collecte de données quantitatives. L’ACPR y apporte des précisions sur les degrés de tolérance quant aux données fournies, la méthode à suivre pour l’évaluation des dispositifs ou encore la possibilité de fournir des réponses sur la base d’un échantillon (sous réserve d’avoir la capacité de pouvoir démontrer sa représentativité). Le guide méthodologique constitue donc une aide précieuse. Il peut toutefois subsister une marge d’interprétation pour les organismes assujettis et c’est là qu’il convient d’essayer d’uniformiser les pratiques. A minima, au sein d’un même groupe, les entités assujetties doivent avoir des pratiques homogènes de remplissage du QLB (sous l’impulsion de l’entité « tête de groupe » proposant les standards internes en la matière). Pour aller plus loin, il apparait utile que les organisations représentatives (FBF, France Assureurs…) s’accordent sur des règles de remplissage s’imposant à tous leurs membres.
En conclusion, la refonte du QLB présente de nombreux enjeux pour les organismes qui devront prévoir et anticiper une charge supplémentaire pour le remplissage du questionnaire, préparer la collecte de nombreuses informations complémentaires (en définissant si possible un processus dédié) et s’assurer d’être prêts pour le début 2024. Toutefois, l’exercice présente également des opportunités pour les organismes assujettis : renforcer le pilotage de leur dispositif LCB-FT, améliorer la circulation des informations au sein de ce dispositif, identifier des potentielles lacunes du dispositif LCB-FT ainsi que les actions permettant d’y remédier, et enfin créer davantage de dialogue et d’échange avec certaines parties prenantes du dispositif LCB-FT (en interne, avec la DSI et les Data, les RH… comme en externe, avec les intermédiaires, les distributeurs et les délégataires). Il reste aux organismes concernés à savoir saisir ces opportunités.
[1] Instruction n° 2022-I-18
[2] Instruction n° 2019-I-24
[3] Arrêté du 6 janvier 2021 relatif au dispositif et au contrôle interne en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et de gel des avoirs et d’interdiction de mise à disposition ou d’utilisation des fonds ou ressources économiques
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