Régions, métropoles ou réseaux ?

Les régions françaises sont là, moins nombreuses, avec leurs noms. Comment vont-elles se structurer ? Les anciennes capitales vont-elles s’endormir, les villes moyennes être aspirées par les métropoles ? Les départements vont-ils disparaître ? Et tout cela pour transformer la France en dix centres de pouvoir plus chers, entourés de cités dortoirs, elles-mêmes entourées de friches industrielles, agricoles et de villages déserts ? Que deviennent alors les emplois, les carrières, nos repères, et la paix sociale ?

L’économie attire et agrège, et ceci d’autant plus qu’elle produit toujours plus de richesse privée dans les services (près de 80 %) que dans l’industrie et le bâtiment (18 %) ou l’agriculture (2 %). Ces entreprises nouvelles réunissent experts, cadres et employés dans des lieux où ils discutent, projettent, décident, se financent, et rencontrent les décideurs publics… C’est là que se créent les centres de formation et que naissent les lieux de spectacle. Car c’est là qu’augmentent les salaires, qu’ouvrent les restaurants et que monte le prix du mètre carré. A ce rythme, la France ce serait bientôt 10 villes, l’Europe 100, le monde 1000, avec les villes millionnaires qui, seules, compteraient.

On voit cette logique en cours. Elle est économique et écologique : ce sont les économies d’agrégation. Plus on est proche, plus on peut créer et combiner de réseaux. Plus on échange, plus on trouve d’idées et d’opportunités, plus on peut marier des talents et réunir des financements. En même temps, la grande ville s’avère plus écologique, réduisant notamment les transports automobiles et optimisant les dépenses de chauffage et de traitement de déchets.

Mais on en voit aussi le risque. C’est celui d’écarts économiques et sociaux croissants, des désertifications, des zones moins entretenues et surveillées. L’économie a toujours tendance à polariser les richesses, pour des raisons d’efficacité. Mais elle crée aussi des effets pervers nombreux et aujourd’hui croissants. Ce sont des ségrégations spatiales et économiques qui sont aussi sociales, politiques et sécuritaires.

Est-ce qu’il y a une « taille optimale des agglomérations » ? Peut-être, mais assurément théorique et dépassée par ces villes millionnaires qui naissent partout, notamment dans les pays émergents – où elles sont peut-être le risque majeur.

Est-ce qu’il y a une « taille optimale des réseaux humains » ? Pourquoi pas ? Pourquoi ne pas offrir des tailles humaines différentes et différenciantes, où chacun aurait plus de facilité à s’installer et à évoluer, quitte à offrir des parcours résidentiels plus continus, en fonction des vies personnelles et économiques de chacun ? Les pôles de recherche et d’industrie n’ont pas tous à être « mondiaux » : c’est d’ailleurs impossible. La bonne coopération entre la métropole et les villes proches, c’est pour mieux organiser des spécialisations et des préparations, dans les chaînes de valeur. Certaines villes pourront nouer des rapports plus étroits avec certains espaces industriels, agricoles, portuaires, logistiques. D’autres pourront se spécialiser dans des formations intermédiaires et préparer, par exemple, des jeunes à poursuivre leurs études dans des univers plus conviviaux, plus accueillants (et moins chers).

Au fond, l’économie pousse à réunir – pour être plus efficace, mais aussi à différencier – pour réussir, et on l’oublie trop. Si on laisse faire l’économie d’agrégation, elle ira au bout de sa logique, trop de métropolisation par exemple, avant de montrer, plus tard, ses effets pervers : bulles immobilières et ségrégation sociale. Il y aura là des coûts sociaux et économiques considérables avant de se rendre compte des avantages de la mixité sociale et des lieux intermédiaires de production, de formation et d’échanges : l’économie de différenciation.

Il y a donc un grand risque à céder aux « lumières de la ville », plus encore aux grandes lumières de la grande ville en ne voyant pas la nécessité des banlieues spécialisées et reliées, des lieux de travail et de vie, des échanges et des complémentarités.

Le cas français, ajoutant une couche au mille feuilles administrativo-politique, mêlant les compétences au risque de créer des conflits supplémentaires, n’aide pas. L’essentiel est de faire naître des projets identifiés, donc spécifiques. Tout le monde ne peut, ni surtout ne doit, tout faire, aujourd’hui moins que jamais. Savoir s’organiser dans nos nouvelles régions, c’est bâtir notre croissance économique et sociale de demain.

 

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Fondateur de Betbeze Conseil SAS, Professeur de Faculté en Sciences économiques, Jean-Paul Betbeze a été Chef Economiste du Crédit Lyonnais en 1989 puis du Crédit Agricole (et membre de son Comité exécutif) jusqu’en 2013. Ancien membre du Conseil d’analyse économique auprès du Premier ministre et de la Commission Economique de la Nation, il est membre du Cercle des économistes et Président du Comité scientifique de la Fondation Robert Schumann. Auteur de nombreux ouvrages et rapports, il a rejoint le cabinet en avril 2013 en tant qu’Economic Advisor pour apporter son regard d’expert en analyse économique, conjoncturelle et financière.

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