Mise en œuvre du règlement Disclosure : il est temps de se préparer !

Dans le cadre de son plan d’action pour une finance durable, la Commission européenne a émis trois recommandations qui trouvent logiquement écho dans les nouvelles règlementations européennes :

  1. Réorienter les flux de capitaux vers des investissements durables en vue de parvenir à une croissance durable et inclusive
  2. Gérer les risques financiers induits par le changement climatique, l’épuisement des ressources, la dégradation de l’environnement et les problématiques sociales
  3. Favoriser la transparence et une vision de long terme dans les activités économiques et financières.

Cette dernière recommandation se voit notamment mise en œuvre via le règlement « Disclosure »1, publié en 2019 et complété par le règlement « Taxonomie »2 de 2020, qui impose une transparence en matière de durabilité à l’ensemble des acteurs du secteur financier.

Plus de transparence, mais des concepts peu familiers de l’industrie financière

Ainsi, sites internet, informations précontractuelles et rapports périodiques des produits financiers3 devront dès mars 2021 intégrer un certain nombre d’informations sur la prise en compte (ou non) du risque de durabilité, sur les caractéristiques ESG des produits, la promotion d’investissements durables (respectant en outre le principe d’absence de préjudice significatif aux autres facteurs ESG – « do no significant harm » ou DNSH) ou de réduction des émissions de carbone.

Encore peu familiers des notions de durabilité, les acteurs des marchés financiers vont devoir rapidement intégrer de nouveaux concepts, tels que le risque de durabilité ou les incidences négatives en matière de durabilité. Si le premier concept est relativement intuitif, le second est plus ardu.

  • Le risque de durabilité se manifeste dès lors qu’il existe un événement ou une situation dans le domaine environnemental, social ou de la gouvernance qui, s’il survient, pourrait avoir une incidence négative importante sur la valeur d’un investissement.
  • Les incidences négatives en matière de durabilité correspondent, quant à elles, aux impacts négatifs des décisions d’investissement sur les facteurs de durabilité (environnement, questions sociales et de personnel, respect des droits de l’homme et lutte contre la corruption).

Au-delà de la capacité de chacun à faire sien ces concepts, il sera surtout primordial de pouvoir les mesurer, les estimer car ce sont bien des informations sur la prise en compte de ces concepts par les acteurs qui devront être publiées.

Et cela ne concerne pas que les acteurs qui font la promotion de produits « ESG »4, puisque certaines dispositions s’appliquent à tous les acteurs des marchés financiers5. Ainsi, toutes les sociétés de gestion, par exemple, seront dans l’obligation de publier des informations relatives à l’intégration des risques de durabilité dans leur processus d’investissement, dans la gestion des fonds ou encore dans leur politique de rémunération. Bien que la règlementation permette tout de même aux acteurs d’expliquer pourquoi ils n’intègrent pas ces risques, il sera difficile dans le contexte actuel d’afficher que rien n’est entrepris en matière de durabilité. Pour preuve le nombre exponentiel de labélisation de fonds.

Cependant, c’est sans doute le reporting sur la prise en compte des principales incidences négatives en matière de durabilité qui posera le plus de difficulté à la fois d’identification et d’estimation. D’autant plus que les autorités proposent de fonder ce reporting sur 32 indicateurs harmonisés qui devront de facto être pris en compte.

Une faible visibilité sur les attendus opérationnels à quelques mois de leur mise en œuvre

Au-delà de la simple organisation à mettre en place pour publier et monitorer ces nouvelles informations sur les supports requis, encore faut-il notamment :

  • avoir une idée plus précise du contenu, des méthodologies, des indicateurs retenus et de la présentation attendue par le régulateur. Des textes d’application devraient être proposés d’ici la fin de l’année 2020 (pour une mise en œuvre, rappelons-le au 10 mars 2021…) ;
  • disposer de métriques pertinents et dans l’idéal harmonisés permettant de donner de la substance à ces concepts. Si la transparence des entreprises (d’une certaine taille uniquement) en matière de performance extra-financière s’est améliorée avec la mise en œuvre de la directive RSE6, il n’en reste pas moins que les données disponibles sur les univers d’investissement des produits financiers sont le point faible, mais néanmoins capital, de ce dispositif ;
  • réaliser une analyse pertinente du risque de durabilité en identifiant les situations à risque, avoir fait une estimation raisonnable de ce risque et mis en place les actions adéquates pour les réduire ;
  • définir et mettre en place des diligences raisonnables pour identifier et gérer les principales incidences négatives en matière de durabilité dans le cadre des processus d’investissement ;
  • collecter les données, organiser et lancer la production des reportings ad hoc, qui ne seront finalisés que dans les textes d’application à venir.

Mais au-delà de ces impacts, l’un des enjeux majeurs de cette réglementation sera la mise à disposition des données par les émetteurs. Les acteurs des marchés financiers ne sauraient évaluer les risques de durabilité ou les incidences négatives de leurs investissements sans des données sur les activités des entreprises financées.

De même les fameux produits multi-optionnels, qui ont été l’objet de tant de discussions durant la mise en œuvre de PRIIPs7, ne pourront répondre à leurs obligations qu’en s’appuyant sur les données fournies par les divers supports proposés (fonds, produits structurés…).

Compte tenu des nombreuses incertitudes existantes sur la mise en œuvre de cette réglementation, on comprend l’inquiétude des acteurs et la volonté de certains de demander un report à janvier 2022 au plus tôt.

En imposant la transparence en matière de durabilité, les autorités européennes réussiront-elles à organiser et harmoniser la prise en compte de critères extra-financiers malgré leur nombre et la diversité des méthodologies d’évaluation possibles ?

1 Règlement n°2019/2088.
2 Règlement n°2020/852.
3 Y compris mandat de gestion individuel et conseil financier.
4 On entend ici par produits « ESG » les produits présentant des caractéristiques E ou S, promouvant des investissements durables ou une réduction des émissions de carbone.
5 Tels que définis dans le règlement Disclosure et auxquels on ajoutera les conseillers financiers, eux aussi définis dans ledit règlement.
6 Directive n°2014/95.
7 Packaged Retail Investment and Insurance Products tels que définis dans le règlement européen n° 2014/1286.

Servane rejoint Deloitte en juillet 2014. Son champ d’expertise couvre notamment les problématiques réglementaires liées à l’asset management, mais également à la mise en œuvre de réglementations transversales telles que PRIIPs ou MiFID II, la commercialisation des produits financiers et la protection des investisseurs. Elle était auparavant Responsable commercialisation et Vie des acteurs à l’AFG. Elle a participé à l’élaboration de la position de l’AFG sur diverses réglementations ainsi qu’à la transposition en droit français des réglementations européennes.

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