Les nouvelles mobilités personnelles, autonomes, connectées et écologiques apporteraient-elles la solution révolutionnaire aux questions de fluidité et aux enjeux de vitalité dans les territoires ? Non, la vraie réponse est ailleurs : dans la gouvernance pour une mobilité plus partagée au profit d’un meilleur partage de l’espace public.
Notre mobilité connaît la troisième révolution de son histoire, après celle du transport de masse (le ferroviaire) et celle du transport individuel (la voiture). Certains voudraient voir émerger la synthèse des deux précédentes : offrir la capacité du premier, associée à la souplesse du deuxième. Les progrès technologiques permettent en effet à chaque approche de la mobilité de s’enrichir l’une de l’autre : des transports collectifs plus pratiques, plus adaptés à chacun, comme le métro automatique ou le bus à haut niveau de service et des véhicules individuels plus écologiques et partageables comme les nouvelles voitures électriques, autonomes ou l’auto-partage. Le rêve serait de voir ces deux approches converger naturellement pour nous offrir demain la parfaite symbiose des deux. Mais ce miracle technologique ne se fera pas… tout seul !
Inventer une mobilité plus durable, mieux partagée, plus inclusive, nécessite de satisfaire aux exigences d’une vision politique ambitieuse : une mobilité individuelle qui préserve le bien-être collectif.
Et il y a urgence, puisque les externalités négatives de nos modèles actuels, de nos habitudes, ne sont plus soutenables du point de vue économique, environnemental et sanitaire, donc en termes de qualité de vie pour chacun. Nous devons dépasser le double mythe du solutionnisme technologique et de la primauté du transport individuel pour repenser la mobilité à partir de son principal déterminant : le territoire.
L’élaboration d’une politique de transports vise à organiser au mieux l’usage de l’espace public, pour y faire cohabiter des mouvements de masse et la mobilité individuelle. Puisque cet espace n’est pas extensible, il faut imaginer… son partage ! C’est là la troisième révolution qu’il nous faut réussir.
Il est aujourd’hui tentant d’imaginer pouvoir y répondre par une profusion de nouveaux services partagés : voitures, trottinettes, scooters et autres vélos en libre-service. Mais partager un véhicule ne vaut pas partage de l’espace. Ces offres de micro-mobilité, aussi innovantes soient-elles, ne sauraient absorber des flux importants sans conduire à d’autres formes de saturation. La multimodalité ne suffit pas, il faut organiser l’intermodalité.
Inventer la mobilité de demain ne se résume donc pas à créer les moyens de transport de demain, mais plutôt à définir les modalités d’organisation et de gouvernance qui permettent de les articuler efficacement, tant du point de vue du voyageur que de la collectivité. De fait, la puissance publique doit renforcer son rôle déjà central. Elle seule est la garante légitime de l’intérêt général. Elle seule fait autorité légalement pour façonner l’espace public, organiser les biens communs et, plus largement, aménager le territoire. Or, cette puissance publique est souvent diluée, car politiquement et administrativement éclatée entre diverses structures aux pouvoirs et aux échelles différentes. C’est la principale source de complexité dans l’établissement de stratégies de mobilité plus fluides et mieux coordonnées. La métropolisation et les communautés de communes ont permis des avancées décisives, mais de nombreux obstacles normatifs persistent.
Au-delà de ce nécessaire exercice institutionnel, il apparaît de plus en plus indispensable d’associer l’ensemble des acteurs et parties prenantes locales à l’élaboration de la politique de mobilité. Il s’agit bien-sûr des opérateurs publics de transports mais aussi de l’ensemble des acteurs privés : délégataire de services de transports, créateurs de micro-mobilité, loueurs de voitures, fournisseurs de services logiciels (planification, cartographie, paiement etc.), gestionnaires de stationnement… Plus important encore, il faut associer ceux qui les utilisent et ceux qui en bénéficient ; en premier lieu, les citoyens, mais également les entreprises et les commerces qui financent les infrastructures et les transports publics.
Une coordination réussie à la bonne échelle territoriale permet d’intégrer efficacement les nouvelles technologies les plus adaptées aux besoins locaux identifiés : des solutions de mobilité partagée qui s’adaptent en temps réel à la demande, comme dans la périphérie de Bordeaux ou de Sydney, une délégation de service globale et unique qui permet de profiter de l’intégralité de l’offre de mobilité d’une agglomération y compris le stationnement, comme à Dijon, ou encore du covoiturage intelligent adapté aux zones rurales et périurbaines.
Dans ce cadre, les nouvelles technologies restent naturellement prometteuses. Le véhicule autonome circule déjà et son avenir s’annonce brillant, à condition qu’il soit partagé ; comme c’est le cas à Lyon-Confluence ou sur les campus Universitaire de Rennes et de Lille. Dans ces environnements complexes, ce sont souvent les solutions les plus simples qui sont les plus efficaces. Ainsi, après Bordeaux sur son réseau de tramway, la ville de Londres a réussi à désengorger ses stations de métro les plus encombrées en repensant simplement les cheminements piétons et en refaisant la signalétique des correspondances en conséquence ! De nombreuses villes moyennes misent également sur cette approche pour redynamiser leur centre-ville et valoriser les liens entre les différentes activités économiques, culturelles, institutionnelles et sociales. En effet, il ne faut pas perdre de vue que, malgré ces révolutions technologiques, en ville, nous sommes majoritairement piétons.
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