Talent Acquisition et compétences face au changement organisationnel

Entretien avec Jérôme de Grandmaison (VP Talent Management, Product Lines & Functions, Alstom) à l’occasion du Club VP Talents

 

Deloitte : L’acquisition de Bombardier, qui était un de vos principaux concurrents, a constitué une opération majeure pour Alstom. Dans le même temps vous avez fait face à une très forte croissance. Comment avez-vous réussi à gérer cette acquisition? Et qu’avez-vous mis en place concernant l’intégration des nouvelles équipes ?

Jérôme de Grandmaison : Depuis février 2021, Alstom a en effet fait l’acquisition de Bombardier et donc de nouveaux collaborateurs. Une expérience unique qui fait de nous un groupe de 72 000 collaborateurs. C’est la France qui rencontre le Canada. Nous avons vécu un choc des cultures. Nous utilisons les mêmes mots mais nous ne parlons pas de la même façon.

Et en même temps nous avons été confrontés à une croissance du marché colossale, nous sommes passés de 82 à 84 milliards de backlog. En conséquence, un recrutement massif a été obligatoire.

En 11 mois nous avons recruté 14 000 personnes avec une intégration 100% digitale puisque nous étions en plein Covid. Pour 2023-2024, le volume de recrutement anticipé est de 8500 employés en net.

Nous avons donc dû réagir vite et trouver des moyens rapides pour intégrer ces talents. Nous devions à la fois anticiper les besoins pour pallier cette croissance, trouver le moyen de mettre en place un recrutement efficace et rapide mais également travailler sur la rétention des Talents.

 

Deloitte : Face à cette importante croissance, vous avez évoqué la nécessité d’anticiper vos besoins. Comment avez-vous fait pour anticiper et répondre aux besoins stratégiques de votre société ?

Jérôme de Grandmaison :Pour une meilleure anticipation de nos besoins nous avons travaillé sur un projet de « Strategic Workforce Planning » avec l’accompagnement de Deloitte. Celui-ci consiste à prendre en compte les prévisions commerciales (les projets signés, les projets en cours de négociation, les projets potentiels), la dynamique financière avec les impacts sur les P&L ainsi que la définition des compétences requises.

Le pilote a été réalisé sur la branche Signalisation et digitale. Ce travail est réalisé main dans la main avec les équipes RH et toutes les parties prenantes du Business.

Grâce au Strategic Workforce Planning, nous pouvons anticiper nos besoins et aligner notre stratégie RH avec la stratégie de l’entreprise notamment en termes de recrutement, de dynamique de mobilité interne mais également de rétention des talents.

 

Deloitte  : Vous nous disiez avoir recruté 14 000 collaborateurs en 11 mois. Avec ce recrutement massif, comment avez-vous fait pour fluidifier les recrutements et permettre un suivi de vos nouveaux collaborateurs ?

Jérôme de Grandmaison : Ce contexte nous a en effet amenés à innover en termes d’organisation et de processus.

Nous avions une organisation qui n’était pas structurée en termes d’expertise et d’effectifs pour faire un tel volume. De fait, l’organisation s’est concentrée sur le recrutement et a du faire énormément appel de manière désorganisée à du support externe (RPO, chasseurs,…).

Désormais, nous avons simplifié et raccourci notre processus de recrutement. Nous nous limitons maintenant à 3 interviews en réduisant le temps entre chacune. Il nous fallait auparavant 14 semaines entre le lancement de la recherche et la signature du contrat par le candidat sélectionné. Nous sommes passés à 11 semaines. Nous utilisons un outil dédié pour le suivi des candidatures.

Il a fallu également faire attention à aligner et impliquer toutes les parties prenantes. Lorsque le recrutement est géré uniquement par les RH, le Business se sent peu concerné. Nous avons donc dû trouver le moyen d’inclure les métiers dans les processus.

Pour ce qui est de notre organisation de Talent Acquisition (TA), nous avons pris la décision il y a 1 an de la refondre. Le nouveau modèle repose sur 3 éléments :

  • Un centre d’expertise global qui assure la gouvernance, travaille sur les méthodologies, l’organisation, le développement et le scouting,
  • Une organisation TA pour chaque région ou zone géographique avec son sourcing et ses recruteurs,
  • Un centre de services partagés s’assure de toutes les activités logistiques du recrutement avec une vraie approche de marque employeur (employer branding).

Enfin, nous avons également mis en œuvre un « Global Referral Program » : une révision à la hausse des seuils de primes de cooptation et une large campagne de communication ont permis de drainer 12 000 candidatures en 3 mois.

 

Deloitte : Avec autant de collaborateurs de nationalités différentes, comment organisez-vous la gestion des talents afin d’assurer leur épanouissement et leur évolution en interne? 

Jérôme de Grandmaison : Nous portons une importance particulière à l’intégration et l’évolution de nos collaborateurs. Il nous paraît essentiel de donner de la visibilité aux salariés autour des possibilités de mobilité interne.

Nous utilisons plusieurs outils dans le cadre de la gestion de nos talents.

Un outil de gestion des carrières dynamique, développé en interne, et accessible à l’ensemble des collaborateurs a été créé. Celui-ci a requis un important travail de structuration des métiers (avec notamment la réalisation d’une description de poste pour plus de 2000 métiers et 3000 Job Code).

En complément, nous disposons d’une base recensant plus de 45 000 profils avec leurs évaluations et le détail de leurs compétences. Cet outil permet de pouvoir identifier des « candidats » en interne lorsqu’une compétence est recherchée. Cela permet de promouvoir des chemins de carrière et garantit ainsi le suivi et l’évolution de nos collaborateurs.

Nous utilisons également l’intelligence artificielle afin de faire le lien entre les compétences reconnues / compétences déclarées et les emplois ouverts. Si 60% des compétences d’une personne correspondent au nouvel emploi, l’offre lui est transmise afin qu’elle puisse candidater.

Par ailleurs, nous réalisons une revue de carrière tous les 2 ans pour l’ensemble des collaborateurs et tous les ans pour ceux qui sont identifiés comme des « Talents ».

Nous structurons également des « Talents forums » au niveau COMEX, régional et national.

 

Deloitte : Nous savons qu’aujourd’hui la rétention des talents préoccupe nombre d’entreprises dans un contexte marqué par des difficultés accrues de recrutement. Comment gérez-vous cela chez Alstom ?

Jérôme de Grandmaison : En complément du recrutement massif auquel nous avons fait face, un autre enjeu était de reconcentrer les HRBP sur leur rôle de rétention. Pour cela, nous utilisons différentes approches.

Nous avons une formation globale des managers appelée « Managers Capsule ». Il s’agit de modules de co-contruction avec 6 thématiques par an autour du développement et de la rétention de leurs équipes.  Nous avons eu une forte adhérence des managers à cette formation. Ils sont demandeurs et se partagent les bonnes pratiques. Cela se développe et le groupe observe les impacts positifs sur la rétention.

Nous avons également revu complètement nos modules et itinéraires de onboarding par le renforcement des onboarding techniques avec la création de « Onboarding Schools ». Cela permet à nos collaborateurs d’avoir un parcours fluide et de s’engager pleinement dans leur nouvelle entreprise.

 

Nous lançons également des initiatives plus locales comme en Inde avec « l’India Development Week » afin d’informer nos collaborateurs sur les opportunités de carrière que nous pouvons leur offrir.

Nous avons également mis en place des outils de décisions courtes sur les retentions au moment d’une démission ainsi que des outils de décision rapide sur l’embauche et la rétention des ressources rares.

 

Conclusion

Aujourd’hui nous sommes fiers d’annoncer notre réussite en matière de gestion des carrières de nos talents avec un turnover faible comparé au reste de l’industrie.

Notre problématique actuelle, et ce sur quoi nous souhaitons maintenant nous focaliser, est la Diversité et l’Inclusion, et en particulier l’équilibre « hommes / femmes » sur lequel nous avons déjà fait d’importants efforts !

Franck, 17 ans d’expérience professionnelle, a rejoint Deloitte en décembre 2013. Il a travaillé auparavant chez Mercer et Towers Perrin, et a acquis une solide expertise au niveau de la retraite, de la prévoyance, des frais de santé, de l’épargne salariale et des dispositifs de rémunération fondés sur des instruments financiers aussi bien sur le marché français qu’à l’international. Il dirige aujourd’hui l’activité conseil en avantages sociaux au sein du département Capital Humain.

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