Economie

A chacun sa complexité : l’Etat n’est ni un ménage, ni une entreprise

Il faut « gérer le pays comme son ménage » : faux. On l’entend dire, avec surtout l’idée d’épargner pour le futur. En Allemagne, c’est le modèle souabe.  « Nous aurions dû tout simplement demander à la maîtresse de maison souabe, déclare Angela Merkel en 2008. Elle nous aurait livré son adage : on ne peut pas vivre éternellement au-dessus de ses moyens. » Angela Merkel veut pour ses concitoyens ce que veulent ces maîtresses de maison, qui « ne transmettent pas de dettes à leurs enfants ».

En France le modèle familial joue aussi, plutôt en masculin, ou plutôt a joué. Le « bon père de famille » a été longtemps la référence, y compris juridique, pour dire paisible et mesuré. En 1982, la loi Quillot fait disparaître l’expression pour décrire le locataire idéal, puis l’Assemblée la supprime partout en 2014 pour la remplacer par « raisonnable » ou « raisonnablement ». L’Allemagne se veut souabe, la France raisonnable.

« Il faut gérer l’Etat comme une entreprise » : encore faux. La comparaison est plus résistante que celle du ménage, mais pas plus juste. Certes il faut des comptes pour savoir où l’on est et où l’on va, surtout pour ne pas trop s’endetter – au risque de la faillite. La comparaison continue, puisqu’il faut écouter clients, ménages et entreprises, sur le territoire et à l’exportation, plus les salariés, pour comprendre leurs désirs, les harmoniser et réduire les tensions, plus dialoguer avec les concurrents, parfois durement, sans oublier les fournisseurs, les autorités et moins encore les médias et les actionnaires. L’entreprise est un groupe qui avance en convainquant, en dépassant ses tensions internes, avec une hiérarchie et un chef.

Donald Trump est la forme archétypale de cette assimilation entreprise-Etat, lui, ce chef d’entreprise devenu Président. Il veut faire des deals entre chefs d’Etat, comme entre chefs d’entreprises. Il veut réduire la complexité des règles, par exemple fiscales, qui freine les initiatives. Il ne veut pas des accords internationaux complexes, avec le Mexique et le Canada, et moins encore de cette construction Trans Pacifique à douze membres. Il n’aime pas beaucoup l’Union européenne à 27 (après Brexit), moins encore la zone euro à 19, donc il « comprend » le Brexit. Pour lui, un bon accord doit être équilibré à deux, pas déséquilibré comme avec le Mexique ou la Chine. Et que dire du TTP (Trans Pacifique), cette structure qu’il a dénoncée dès son arrivée. Elle était si alambiquée, sous le prétexte (futile) de contenir l’avancée chinoise en Asie !

Mais les Etats ne sont ni des ménages, ni des entreprises. Ils doivent gérer bien plus de tensions, d’oppositions et de complexité que jamais, en tenant compte de l’histoire et des révolutions en cours, technologiques, sociales, morales, religieuses. Simplifier pour aller vite en besogne, discuter avec les chefs, c’est prendre une pente non seulement partielle et erronée, mais surtout populiste voire autoritaire.

Déjà les ménages deviennent plus complexes, avec souvent leurs ruptures internes et plus encore le désir de chacun de s’y épanouir. Les entreprises, de leur côté, doivent prendre en compte de plus en plus d’objectifs, au-delà du profit, avec plus d’aspirations à satisfaire, humaines et écologiques notamment.

Ce n’est pas un hasard si l’autoritarisme politique se développe dans le monde, avec le protectionnisme, comme fausse réponse à sa complexité croissante. Mais vouloir que tous les échanges s’équilibrent deux à deux entre pays, c’est empêcher qu’ils aient lieu, que des chaînes de production se développent en profitant des avantages de coûts et compétences de chacun, pour bâtir des croissances. C’est refuser la complication de ce monde, avec ses nouveaux équilibres par grandes plaques. Elle épouse la révolution de l’information-communication et permet de mieux répondre aux demandes de chacun.

Un Etat est d’autant moins un ménage ou une entreprise qu’il entre lui-même de plus en plus dans des organisations interétatiques enchevêtrées, sans oublier les organisations non gouvernementales.  Le « bon deal » entre chefs d’Etat, suite à une « bonne négociation », est infaisable, car il ne peut tout intégrer et fait plutôt tout empirer. C’est bien pourquoi il lui faut des experts et des consultants !

La ménagère souabe spécule et achète sur Internet ! Le patron de PME crée ses réseaux pour acheter, vendre, innover, embaucher et se financer ! Chacun est partout. L’Etat doit faciliter, permettre, surveiller, baliser – de plus en plus, de mieux en mieux, avec les autres Etats et structures internationales. A chacun son job ! A chacun sa complexité !

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Fondateur de Betbeze Conseil SAS, Professeur de Faculté en Sciences économiques, Jean-Paul Betbeze a été Chef Economiste du Crédit Lyonnais en 1989 puis du Crédit Agricole (et membre de son Comité exécutif) jusqu’en 2013. Ancien membre du Conseil d’analyse économique auprès du Premier ministre et de la Commission Economique de la Nation, il est membre du Cercle des économistes et Président du Comité scientifique de la Fondation Robert Schumann. Auteur de nombreux ouvrages et rapports, il a rejoint le cabinet en avril 2013 en tant qu’Economic Advisor pour apporter son regard d’expert en analyse économique, conjoncturelle et financière.

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