COP15, taxonomie verte, article 29-LEC, initiatives multiples pour la construction de normes de reporting sur la biodiversité… La finance durable tente de mettre les bouchées doubles sur la biodiversité, après des années à prioriser le climat dans les agendas politiques internationaux… Un défi de plus pour les sociétés de gestion, qui doivent se mettre en ordre de marche alors que tout reste à construire.

Il était en effet grand temps de se pencher sur le sujet, tellement les sujets climat et biodiversité sont liés, comme le rappelle un rapport corédigé en juin 2021 par des experts du climat (GIEC) et de la biodiversité (IPBES)[1]. Alors que jusqu’à présent les politiques nationales et internationales tendaient à compartimenter la lutte contre le changement climatique et la préservation de la biodiversité, le rapport souligne qu’« aucun de ces enjeux ne sera résolu avec succès s’ils ne sont pas abordés ensemble. » En effet, les actions trop ciblées sur le climat peuvent nuire aux écosystèmes et vice-versa.

 

Une prise de conscience collective et l’ambition d’un pacte international pour préserver la biodiversité, à l’image de l’accord de Paris sur le climat…

La COP15 sur la biodiversité, qui se tiendra en octobre 2022 à Kunming en Chine, devra être « comme la COP21 l’a été pour le climat », avec « la même ambition au niveau mondial », a déclaré en janvier la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen.. L’idée est en effet de ne pas reproduire les mêmes erreurs que pour les objectifs 2020 d’Aichi, qui avaient été fixés en 2010, mais qui n’ont pas pu être atteints – faute de précisions au départ sur les modalités de mise en œuvre. Les objectifs du nouveau cadre 2030 devront donc notamment répondre aux questions des indicateurs de suivi, de l’évaluation et de la mise en place opérationnelle. En mars 2022, les représentants de 196 pays se sont donc réunis à Genève afin de débattre d’un texte commun (préparé par la Convention sur la Diversité Biologique[2]), en vue d’une adoption lors de la COP15. Néanmoins, un accord n’a pas pu être trouvé et une nouvelle réunion a été annoncée pour fin juin…

 

… appuyés par un agenda réglementaire chargé en Europe…

En 2018, la Commission Européenne lançait son plan d’action pour une économie plus durable.
Dans ce cadre, le Règlement « Disclosure » (UE) 2019/2088 (« SFDR ») a introduit pour les acteurs financiers l’obligation de reporter sur les activités de leur portefeuille en matière de durabilité, dont éventuellement la biodiversité (contribution positive ou impact négatif).
La Taxonomie verte a également mis la biodiversité à l’agenda, puisqu’elle constitue l’un de ses six objectifs, sous l’intitulé « La protection et la restauration de la biodiversité et des écosystèmes ». Ainsi, chaque activité économique sera évaluée à l’aune de son alignement sur cet objectif.

 

…et tout particulièrement en France

En France, l’article 29 de la loi Énergie Climat de 2019 va au-delà des exigences de la réglementation européenne en précisant les exigences en matière de transparence et de reporting, notamment sur les risques relatifs au changement climatique et à l’érosion de la biodiversité. Dans son décret d’application, sorti le 27 mai 2021, il impose ainsi à tous les investisseurs qui gèrent plus de 500 millions d’euros d’intégrer dans un rapport annuel ESG leur contribution à la réduction des principales pressions et des principaux impacts sur l’érosion de la biodiversité, et ce dès 2022. Sur ce point, le décret encourage l’utilisation d’indicateurs de mesure, sans pour le moment les imposer – le régulateur étant conscient des lacunes méthodologiques en la matière….

 

Principal défi : celui de la donnée

Il n’existe en effet pas encore d’indicateurs de mesure précis pour que des données fiables et comparables puissent venir étayer les informations qualitatives publiées sur la biodiversité.
Pour autant, les initiatives au niveau mondial ne manquent pas. A ce titre, le Guide on biodiversity measurement approches[3], publié par la Finance and Biodiversity Community, Methods workstream et la Finance for Biodiversity Foundation offre une très bonne synthèse des approches actuellement proposées, à savoir :

CBF – Corporate Biodiversity Footprint, développé depuis 2020 par la fintech Iceberg Data Lab et le cabinet I Care & Consult, est conçu pour évaluer l’impact annuel des entreprises, des institutions financières et des entités souveraines sur la biodiversité mondiale et locale. Quatre sociétés de gestion ont adopté cet outil en 2020 et participent au comité de pilotage du CBF : Axa IM, BNPP AM, Mirova et Sycomore AM. Mesure utilisée : MSA[4].

BFFI – Biodiversity Footprint for Financial Institutions, lancé en 2016 par ASN Bank avec l’appui des cabinets PRé Sustainability et CREM, fournit une empreinte de la biodiversité des activités économiques dans lesquelles une institution financière investit. La méthodologie permet de calculer les pressions environnementales et l’impact sur la biodiversité des investissements au niveau d’un portefeuille d’investissement, d’une classe d’actifs, d’une entreprise ou d’un projet. Mesure utilisée : PDF[5].

GBSFI – Global Biodiversity Score for Financial Institutions, développé par CDC Biodiversité. Il est basé sur le GBS®, un outil qui fournit une vision globale et synthétique de l’empreinte biodiversité des activités économiques. Mesure utilisée : MSA, basée sur le modèle GLOBIO des cinq pressions terrestres et cinq pressions aquatiques, ainsi que leurs incidences sur la biodiversité.

BIA-GBS – Biodiversity Impact Analytics – est une base de données intégrée sur l’impact sur la biodiversité lancée en 2021 par Carbon4 Finance et CDC Biodiversité en utilisant la méthodologie GBSFI.

STAR – Species Threat Abatement and Restoration, développé par l’UICN est une cartographie globale des scores de risque d’extinction des espèces, par carré de 5 x 5 km.

ENCORE – Exploring Natural Capital Opportunities, Risks and Exposure (UNEP-WCMC, UNEP FI & NCFA).

Plusieurs méthodologies, comme celle de BFFI, ont recours aux moyennes sectorielles comme proxy en raison de la divulgation limitée des données de la part des entreprises. Des données plus précises seront nécessaires pour augmenter la qualité de l’analyse et la pertinence des méthodologies.
Etant donné les efforts actuellement déployés pour développer et affiner ces méthodologies, certaines sections du guide sont mises à jour trimestriellement.

 

Sur quel cadre d’analyse et de reporting s’appuyer ?

En mars 2022, la TNFD a lancé en version bêta un cadre novateur pour la gestion et le reporting des risques et opportunités liés à la nature. Cette version présente :

  1. Des concepts et définitions clés, fondés sur la science, pour aider les acteurs du marché à mieux comprendre la nature ainsi que les risques et opportunités qui lui sont liés ;
  2. Des recommandations pour le reporting qui s’appuient sur celles de la TCFD et de l’ISSB pour le climat, prenant en compte les liens entre les deux sujets et le besoin de cohérence ;
  3. Des conseils pratiques pour les entreprises et institutions financières souhaitant analyser les risques et opportunités liés à la nature et les intégrer dans leurs processus.

 

Au-delà de toutes ces initiatives (inter)nationales, certaines sociétés de gestion choisissent de s’emparer du sujet à leur niveau au travers :

..de la mise en place de politiques d’engagement..

qui peuvent par exemple se matérialiser par :

– La signature du Finance for Biodiversity Pledge, qui requiert la mise en œuvre des cinq principes de base énoncés par les fondateurs ; avec l’intégration (ou non) en parallèle de la Finance for Biodiversity Foundation

– Le ralliement à l’initiative Act4nature et la définition d’engagements individuels reconnus comme « SMART »[6];

– Une politique de dialogue et vote (pour les fonds d’actions cotées) ;

– La collaboration avec des ONG telles que WWF ou encore des universités pour intégrer la biodiversité dans la gestion d’actifs, élaborer un cadre et une politique d’investissement, développer conjointement des stratégies d’investissement ou encore travailler à la sensibilisation des différentes parties prenantes.

 

..de stratégies d’exclusion…

D’après les résultats d’une étude de Novethic en septembre 2021[7], l’huile de palme, les OGM, la pâte à papier, les pesticides, l’élevage intensif et l’exploitation forestière et minière sont, dans l’ordre, les thèmes d’exclusion les plus présents parmi les fonds verts européens. Sur les 429 fonds européens à thématique environnementale, une centaine de fonds représentant 85 Mds€ d’encours et proposés par une cinquantaine de sociétés de gestion ont recours à ce type d’exclusions. La plupart d’entre eux pratiquent au moins 2 exclusions et six fonds en combinent plus de 4.

 

..ou encore par la création de fonds verts orientés sur la thématique de la biodiversité

Certaines sociétés de gestion ont en effet décidé d’aller plus loin et gèrent des portefeuilles tout ou partie dédiés à cette thématique, avec l’ambition de générer un impact positif. Parmi ces fonds pionniers sur le sujet, on retrouve par exemple :

  • 2021 : Food for biodiversity (OSSIAM), UBAM – Biodiversity Restoration (UPB), Ecosystem Restoration (BNPP AM), Land Degradation Neutrality Fund-LDNF (Mirova), Eiffel Essentiel (Eiffel), Blue Ocean (SWEN),..
  • 2022 : Swiss Life Funds (LUX) Equity Environment, Biodiversity Impact (SLAM), Echiquier Climate & Biodiversity Impact Europe (LFDE), Axa WF ACT Biodiversity (AXA IM),…

 

Quels développements à venir ?

La publication des recommandations définitives de la TNFD est attendue pour septembre 2023.

Par ailleurs, le Conseil international des normes de durabilité (ISSB), créé lors de la COP 26 en fin d’année dernière, a publié fin mars 2022 la 1ère série de lignes directrices mondiales sur les divulgations de la durabilité des entreprises, actuellement sous consultation publique[8][9]. Il est prévu que l’ISSB mène une consultation dans le courant de l’année sur les autres normes restant à mettre en œuvre, notamment sur la biodiversité ou encore sur le plan social ou de la gouvernance.

Le marché progresse donc en explorant des approches de plus en plus systématisées pour améliorer la compréhension et l’évaluation des impacts de la biodiversité. La comparabilité des résultats nécessitera l’émergence d’un consensus de place sur une méthodologie d’empreinte biodiversité des portefeuilles et un indicateur commun, à l’image des émissions de CO2 pour le climat.
La conservation de la biodiversité est essentielle pour parvenir à l’atténuation et à l’adaptation au changement climatique et un engagement collectif des sociétés de gestion est plus que jamais nécessaire pour atteindre les objectifs en termes de biodiversité et climat et réaliser la vision « Nature Positive » à l’horizon 2030.