Assurance emprunteur : les enjeux de demain pour les banques et les assureurs
Publié le 08 avril 2021
Article co-écrit avec Anaïs Breger, Directrice FSI, Ghislain Boulnois, Directeur FSI et Tom-Alexis Provost, consultant FSI Fintech.
Après de nombreuses turbulences réglementaires pour la libéralisation de l’assurance emprunteur au fil des ans, la tant attendue « vague de résiliations massives » n’a toujours pas eu lieu. En décembre 2020, les banques conservaient toujours 85%[1] de la distribution de ce produit sur le marché de la très lucrative assurance emprunteur, au détriment des assureurs qui peinent toujours à pénétrer ce secteur malgré les offres et les acteurs qui se multiplient. Ce phénomène est d’autant plus étonnant que la législation progressiste et libérale de ces dernières années pousse à l’ouverture de ce marché aux assureurs et autres start-ups (Eloa, Wedou, Wellness625, Digital Insure, We Moë, Luko, Assurly…).
Il serait pertinent de s’interroger si cette « vague de résiliations » pourrait tout de même survenir, et peut-être plus vite que prévu notamment sous l’effet d’un triple facteur. Dans un premier temps, la législation évolutive tendant vers le modèle IARD avec de multiples tentatives d’inscrire dans la loi la résiliation infra-annuelle (à tout moment chaque année), comme en octobre 2020 avec l’amendement de la loi ASAP (Action et Simplification de l’Action Publique)[2]. Dans un deuxième temps la récente clarification de la date de résiliation des contrats d’assurance emprunteur par la loi d’accélération et de simplification de l’action publique en mars 2019, portée par Martial Bourquin, déjà auteur de l’amendement du même nom[3]. Et dans un troisième temps une couverture médiatique de plus en plus fortes des différents acteurs (comparateurs, courtiers, intermédiaires divers…)[4].
C’est dans ce contexte mouvant et turbulent que se positionnent les banquiers, prêts à tout pour conserver le fief de l’assurance emprunteur, et les assureurs, dont l’objectif est de conquérir des parts de marché. Parallèlement à cela, la crise sanitaire et économique actuelle invite également à repenser la manière de distribuer et gérer les contrats d’assurance emprunteur,
Quels enjeux pour les banques ?
Les enjeux bancaires en matière d’assurance emprunteur se structurent autour de deux axes : la rétention et l’acquisition.
La rétention vise à conserver les parts de marché face à des offres concurrentes de plus en plus agressives en matière de prix et d’expérience utilisateur. Il ne s’agira pas donc pas simplement d’aligner les tarifs, comme elles le font depuis maintenant quelques années. Il faudra que les collaborateurs d’agences bancaires soient convaincants lors du souhait de résiliation d’un client. Ceci pourrait se concrétiser par une amélioration et une modernisation des parcours client (à l’image du portail client 100% digital de la Société Générale) comme les assureurs du marché. L’objectif étant de pouvoir proposer aux clients d’autres atouts qu’un tarif aligné.
L’acquisition vise à être pro-actif et attirer des nouveaux clients, qui auraient délégué auprès d’un autre assureur dès la formation de l’offre de prêt par exemple. On peut ainsi imaginer une refonte totale des politiques bancaires en matière d’acquisition de nouveaux clients, via une prospection et un démarchage de prospects non liés à la banque, à l’image de ce qui est déjà visible en bancassurance IARD. La donnée et la collecte d’information constituent donc un réel enjeu afin de capter au plus tôt les besoins prospects en matière de crédit immobilier, et par extension d’assurance emprunteur.
Ceci pourrait se matérialiser concrètement par une formation massive des collaborateurs d’agences à la vente de l’assurance emprunteur, avec par exemple des outils d’aide à la décision, des campagnes de référencement web via les comparateurs, très présents aujourd’hui et de manière plus globale, une stratégie de communication externe, aujourd’hui inexistante.
Quels enjeux pour les assureurs ?
Les enjeux pour les assureurs sont quelque peu différents. Ils devront capitaliser sur d’autres éléments que le tarif, qui certes reste le nerf de la guerre, mais demain n’aura plus d’intérêt si les banques contre-proposent en s’alignant. Leur principale force réside dans leur capacité à innover et à proposer une réelle expérience pour le client final, aussi bien sur le plan technologique qu’actuariel. L’on pourrait ainsi imaginer des solutions novatrices comme un assistanat à la résiliation basé sur une technologie blockchain (à l’image du partenariat entre Stratumn et la FFA sur la résiliation des contrats automobiles[5]) ; des modèles de tarification de plus en plus fins et précis permettant de proposer une prime d’assurance ultra-individuelle sans risquer l’exclusion des plus fragiles (à l’image des travaux de Scor sur le Biological Age Model[6]).
En parallèle, les assureurs peuvent et doivent se préparer à une rétention très forte de la part des banques. En effet, dans une étude réalisée en 2020 par Deloitte, la satisfaction des français vis-à-vis de leurs banques est au plus haut avec un taux de 85%.[7]
Afin de limiter les risques d’un nouvel échec dans la conquête de la rentable assurance emprunteur, les assureurs devront donc se protéger – par exemple grâce à une solution de réassurance à l’image de ce que propose Munich Ré et LSN Reinsurance avec un contrat permettant de protéger les assureurs contre les effets de résiliations annuelles[8].
La crise sanitaire et économique actuelle et future appelle instinctivement à l’intelligence collective pour réfléchir aux solutions de demain. L’assurance emprunteur, bien qu’épargnée, aura, elle aussi, son rôle à jouer face aux enjeux qui concerneront à la fois les assureurs, mais aussi les banques. Ceci pourrait se matérialiser concrètement par un allègement de la sélection médicale en diminuant le poids du questionnaire de santé (à l’image de l’assureur Metlife qui a réduit la sélection médicale nécessaire à l’assurance) ; une amélioration des garanties existantes, avec une réflexion à avoir sur la garantie Perte d’Emploi qui aujourd’hui exclut les personnes en situation de chômage partiel ou encore un ciblage affiné proposant des offres spécifiques aux personnes à risque (à l’image du courtier Utwin qui propose un produit d’assurance emprunteur réservé au personnel médical).
Au regard de tous ces éléments, il est évident que l’assurance emprunteur est un produit encore immature, en perpétuelle évolution et qui recouvrent encore de nombreux challenges pour les acteurs traditionnels. Toutes ces convictions et recommandations témoignent de la richesse de ce marché animé où beaucoup reste à construire pour tous les acteurs.