Solvency II, IFRS 9, IFRS4 Phase 2… le contexte réglementaire connaît actuellement de nombreuses évolutions qui, associées aux transformations du numérique, impactent fortement les sociétés d’assurance.  Retour, avec Norbert Le Boënnec, sur les enjeux de cette nouvelle donne.

Selon vous, quels défis le contexte réglementaire actuel pose-t-il aux directions financières de sociétés d’assurance ?

Solvency II et l’évolution du contexte prudentiel poussent fortement à l’évolution des pratiques de pilotage. Plusieurs éléments y contribuent :

  • La nécessité d’évaluer la consommation de capital au niveau de l’institution pour assurer sa solvabilité au regard de ses engagements ;
  • la publication d’une information trimestrielle via les QRT (Quantitative Reporting Templates) ;
  • et l’ORSA (Own Risk and Solvency Assessment) qui est l’auto-évaluation par l’institution de sa solvabilité prospective.

L’ORSA semble changer un peu plus la donne…

L’ORSA demande d’avoir une projection financière d’un plan stratégique et l’ACPR (Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution), qui encadre cet exercice demande un plan à cinq ans, alors que la pratique actuelle se limite souvent à trois.

L’ACPR souhaite aussi que la vision financière du plan stratégique soit véritablement articulée avec la vision stratégique de l’entreprise. Elle impose de fait la constitution d’un scénario central et d’un scénario dégradé pour obtenir le reflet d’une vision économique du futur. En résumé, l’ORSA n’est pas un exercice réglementaire déconnecté de la réalité économique et stratégique de l’institution. Deloitte a réalisé une étude fin 2014 qui nous a permis de constater qu’un certain nombre d’institutions ne faisaient pas de véritable plan stratégique, que d’autres qui en faisaient ne le déclinaient pas financièrement et que d’autres encore effectuaient bien les deux exercices, mais que le plan financier y était élaboré de manière trop simple pour répondre aux nouvelles exigences.

Quel nouveau rôle pour le contrôle de gestion ?

Ces évolutions vont conduire le contrôle de gestion à se repositionner et clairement il a un nouveau rôle à jouer. D’un côté, nous avons la direction générale qui doit construire sa vision stratégique, de l’autre nous avons la direction des risques qui porte la responsabilité de l’ORSA : le contrôle de gestion doit trouver sa place au milieu. S’il ne souhaite pas se retrouver hors-jeu, il se doit de saisir de l’animation et de la coordination de la construction d’une planification financière sérieuse et bien articulée avec l’ORSA et la vision stratégique. Selon notre étude, fin 2014, seules 67% des entreprises interrogées avaient décliné financièrement leur plan stratégique.

Ce rôle affirmé du contrôle de gestion nécessite de faire évoluer les pratiques et les outils et s’appuiera notamment, plus que par le passé, sur des outils de modélisation nouveaux, souples, agiles et collaboratifs. Les simulations et projections demandées gagneront beaucoup, à la fois pour des raisons d’efficacité et de traçabilité, à être réalisées sur des outils autres qu’Excel.

Il existe un vrai besoin d’outillage flexible et collaboratif, garantissant la sécurité opérationnelle de ces projections. En outre, ils doivent permettre d’analyser les impacts d’évolution de scénarios d’un exercice de planification stratégique à l’autre et d’un exercice ORSA sur l’autre.

En termes de pilotage des coûts, la façon dont les coûts sont alloués (stock ou new business par exemple) va générer un niveau de capital réglementaire différent. L’ACPR regarde ces points de manière concrète et cela se traduit dans les Institutions par des analyses et des travaux sur les pratiques et les modèles d’allocation des coûts. C’est là un deuxième enjeu du contrôle de gestion pour accompagner la mise en conformité des pratiques avec l’évolution réglementaire. Là encore, il faut des outils flexibles et réactifs, permettant des simulations d’impacts notamment.

Eu égard aux programmes de transformation digitale des sociétés d’assurance, quels impacts identifiez-vous sur la fonction de contrôle de gestion ?

Il y a encore quelques années, le pilotage se faisait par book de pilotage de reporting, par book papier, plus ou au moins épais, complet ou détaillé. Notre expérience a montré que ce pilotage était souvent peu adapté aux comités de direction, car, par nature, les documents fournis incluaient trop d’information et ne permettaient pas de se focaliser sur les 10 ou 12 KPI significatifs et alignés sur le pilotage de l’exécution de la stratégie.

Une première étape dans la dématérialisation a été conduite, qui a consisté principalement à distribuer les reporting sur tablette, sans les refondre en profondeur dans la plupart des cas et sans pour autant repenser la façon de construire les tableaux de bord pour se centrer, par exemple sur la mise en évidence d’une surperformance ou sous-performance financière et opérationnelle.

Bien pensés, utilisant les nouveaux outils disponibles sur le marché, ces tableaux de bord peuvent améliorer considérablement le pilotage des comités de direction. On peut imaginer des écrans interactifs permettant de voir le chiffre d’affaires d’assurance et les niveaux de marges que vous pourrez décliner par lignes de business, par segments clients et produits…. En cliquant dessus, vous obtiendrez la décomposition par marché, par famille de produits et par territoires. Vous pourrez vous poser les bonnes questions sur votre surperformance ou votre sous-performance : est-ce un effet prix ou un effet volume ? Vous pourrez faire le lien avec vos processus opérationnels et discerner les vrais leviers. Avez-vous un concurrent qui a été plus agressif sur un territoire donné ? Est-ce un problème de qualité ?

Le contrôleur de gestion pourra construire l’arbre des causes en partant des indicateurs de résultat. Cela implique aussi et plus qu’avant que l’information soumise soit fiable.

Avec l’accélération des progrès technologiques et l’avènement du big data, on assiste à une inflation exponentielle des données gérées ou à gérer par les systèmes d’information. Quels défis technologiques ce phénomène pose-t-il aux directions financières ?

Les questions de la disponibilité de la donnée, de sa qualité et de son exhaustivité, concernent toute l’organisation. S’il s’agit des données financières, la responsabilité est portée par la direction financière. Dans ce contexte, les pratiques et les modes de gouvernance doivent évoluer. Nous constatons que de nombreuses organisations recrutent des Chief Data Officer. Dans le monde des institutions financières, la réglementation a poussé depuis plusieurs années à la nécessité de posséder une bonne qualité de donnée, ce qui constitue un actif disponible et utilisable.

Sur cette base, l’exploitation de données structurées permet de mettre en place des techniques analytiques avancées, et de disposer d’une matière première pour identifier les liens entre les données commerciales et opérationnelles et la performance financière. Si vous constatez une surperformance de l’activité dans la signature de nouveaux contrats, doublée d’une baisse de la rentabilité de ces nouveaux contrats, vous avez certainement des éléments d’explication dans vos données commerciales et opérationnelles. L’utilisation de ces données à des fins d’explication est un véritable enjeu pour les compagnies d’assurances, avant même de considérer l’analyse prédictive.

Si vous pouvez mettre en évidence des phénomènes commerciaux ou opérationnels qui perdurent, vous avez tout intérêt à mettre en place des plans d’action pour les corriger.

Avec l’action conjuguée de la concurrence des nouveaux entrants et des leçons de la crise de 2008, les assureurs mettent en œuvre des programmes de réduction de coûts. Avez-vous noté des changements de pratique du pilotage de la performance en liaison avec ces programmes ?

Les conditions concurrentielles se sont renforcées ces dernières années. L’ANI (Accord National Interprofessionnel) et la loi Hamon par exemple ont exacerbé la concurrence. Cela pèse sur la compétitivité et la rentabilité des institutions et implique qu’elles doivent mieux connaître leurs coûts pour essayer de les réduire.

Quelles que soient les raisons, crise ou autres, les assureurs notamment pour l’activité « Vie » doivent adapter leur modèle à un environnement de taux bas. Depuis quelques années, les assureurs ont lancé des programmes de réduction de coûts.

Cette contrainte peut conduire à une réflexion sur la manière de piloter les budgets. Certains ont mis en place des programmes qui, par le biais d’octrois d’enveloppes, visent à responsabiliser les directions opérationnelles. Dans ce cadre, se pose aussi la question de la gouvernance des grands projets informatiques pour essayer de sécuriser le triptyque couverture fonctionnelle livrée, budget et délais respectés.