Article co-écrit par Cyrielle Goffin, senior manager Risk Advisory et Benjamin Laville, senior consultant Risk Advisory.  

Le renforcement du cadre réglementaire européen en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) conduit les autorités françaises à s’intéresser, non plus seulement aux banques, mais à d’autres acteurs tels que les marchands d’œuvres d’art et d’antiquité.

Le volume des flux financiers générés par le marché de l’art expose particulièrement ce secteur aux risques de blanchiment de capitaux. De plus, la circulation de biens issus de sites archéologiques situés dans des zones de guerre représente une problématique sensible au regard des risques de financement du terrorisme qui en résultent. La publication, en mai 2019, de lignes directrices rédigées conjointement par la Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) et Tracfin vise donc à accompagner plus efficacement la mise en œuvre des obligations en matière de LCB-FT dans le secteur de l’art à travers l’illustration de cas et d’exemples caractéristiques (1).

Tout le secteur est-il concerné ?
Sont visées les « personnes se livrant habituellement au commerce d’antiquités et d’œuvres d’art » (art. L.561-2 10° du code monétaire et financier). Ainsi, les galeristes, les antiquaires ou encore les brocanteurs sont concernés par l’application de ces obligations. Seuls les acteurs exposant des œuvres d’art sans les acheter préalablement sont exclus du périmètre.

Par où commencer pour se conformer aux obligations en matière de LCB-FT ?

Ces lignes directrices viennent opérationnaliser les exigences réglementaires en rappelant les dispositions du Code monétaire et financier. Elles décrivent notamment des exemples et des situations caractéristiques du secteur pour aider les entreprises à mieux appréhender la mise en place de leur dispositif LCB-FT. Ainsi, les autorités invitent les marchands d’œuvres d’art et d’antiquités à travailler sur quatre axes d’amélioration prioritaires en la matière.

La rédaction d’un protocole interne

Les marchands d’œuvres art et d’antiquités devront rédiger une base documentaire complète (dit « corpus normatif ») comprenant :
– une démarche permettant l’identification des clients, qu’ils soient réguliers ou occasionnels,
– et une description des diligences à réaliser, en fonction du profil de risque associé à chacun des clients.

Cela est possible via l’élaboration d’une classification des risques intégrant différents critères en fonction du client, du type de transaction et de son objet. Il s’agit donc pour le professionnel de se doter d’un système d’évaluation lui permettant d’évaluer le niveau de risques relatif au client ou à la relation d’affaire au moment de la prise de connaissance. Ce système de gestion des risques constitue le fondement de tout dispositif LCB-FT et la documentation afférente est à remettre à l’autorité de contrôle à la première demande.

L’application de la notion de vigilance normale et complémentaire

La notion de vigilance constante commence dès l’entrée en relation d’affaires. Concrètement, tout marchand doit identifier et vérifier l’identité de son client (notamment : nom, prénoms, date et lieu de naissance à l’aide d’un document probant) lors d’un achat. Cette connaissance du client doit être actualisée tout au long de la relation d’affaires et peut parfois s’avérer complexe ; particulièrement en présence de bénéficiaires effectifs si l’opération est réalisée par un intermédiaire (décorateur ou courtier) pour le compte d’une personne ou d’une société. La fréquence des contrôles et leur complexité sont déterminées en fonction du niveau de risque associé et de la profondeur des mesures de vigilance correspondantes (simplifiées, normales, renforcées, complémentaires ou spécifiques).

Des mesures de vigilance complémentaires doivent être mises en œuvre en sus de la vigilance normale si la transaction ou la relation d’affaires revêt un caractère particulier. Citons notamment : l’identification d’une PPE (Personne Politiquement Exposée), la recherche de l’éventuelle inscription du client sur la liste de gels des avoirs ou sa localisation dans un des pays considérés comme risqués par le GAFI ou l’UE.

Le renforcement du dispositif de contrôle interne

Le renforcement du contrôle interne repose essentiellement sur la nomination d’un responsable du contrôle interne, la rédaction d’une procédure dédiée (protocole interne) ainsi que la mise en place de critères et / ou seuils permettant la réalisation de contrôles pertinents. Le responsable du contrôle interne a également en charge le volet formation du personnel.

Au vu de la taille des acteurs et de leur cœur de métier, un point d’équilibre est nécessaire entre les attentes des autorités en la matière et l’application de solutions opérationnelles, simples et viables pour les entreprises concernées, limitant l’impact sur la relation commerciale, tout en améliorant la prévention et la détection d’opérations suspectes et de renforcer le dispositif LCB-FT.

La rédaction de déclaration de soupçon (DS)

En cas de doute sur une opération et après la réalisation de toutes les diligences nécessaires, les marchands d’œuvres d’art et d’antiquités doivent s’assurer de rédiger une déclaration de soupçon et de la transmettre à Tracfin dans des délais justifiables auprès des autorités. Pour ce faire et pour simplifier les démarches, l’établissement peut désigner un responsable cumulant les deux fonctions de Déclarant et Correspondant Tracfin.

Les premières visites de la DGDDI sur pièce et sur place

Une première évaluation réalisée en 2011 par le Groupe d’Action Financière (GAFI) avait révélé « une implication insuffisante des professionnels ainsi qu’une défaillance des procédures et mesures de contrôle interne en matière de LCB-FT applicables aux professions non financières ». L’absence de désignation d’une autorité de contrôle et de sanction avait rendu cet assujettissement peu opérant.

Aujourd’hui, la publication des nouvelles lignes directrices fait écho à la prochaine évaluation du dispositif français de lutte contre le blanchiment des capitaux et financement du terrorisme qui sera réalisée par le GAFI courant 2020 en vue de constater les progrès réalisés sur ce secteur.
Les premiers contrôles sur pièces et sur place réalisés par la DGDDI ont déjà débuté.

Sur quoi portent les contrôles ?

L’autorité de contrôle exige que les acteurs du secteur puissent remettre dès la première demande un corpus normatif LCB-FT complet ainsi que tous les documents relatifs au dispositif de contrôle interne. Lors des contrôles sur pièces et sur place, la DGDDI s’assure par ailleurs que les procédures sont appliquées et que les pistes d’audit associées aux contrôles et vigilances réalisés sont disponibles. Enfin, la vérification d’une rédaction systématique de déclarations de soupçon, en cas de doute sur une opération, ainsi que leur transmission à Tracfin fait partie des points d’attention importants.

Quelles sanctions encourues ?

En cas de non-respect de ces obligations, la DGDDI transmettra un rapport à la Commission nationale des sanctions (CNS), chargée de prononcer les sanctions administratives (avertissement, blâme, interdiction temporaire d’activité, retrait de l’agrément ou de la carte professionnelle) ou pécuniaires prévues par le code monétaire et financier.

Une réelle implication des acteurs du marché de l’art et des antiquités de ce secteur sera essentielle en 2020. La détection suivie du signalement des opérations potentiellement illicites renforcera le dispositif national de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, notamment en permettant une traçabilité plus efficace des transactions.

 

(1) Les représentants des professionnels du secteur (Comité professionnel des galeries d’art (CPGA), Syndicat national des antiquaires, négociants en objets d’art, tableaux anciens et modernes (SNA) et Syndicat national du commerce des antiquités de l’occasion et des galeries d’art (SNCAO-GA)) ont apporté leurs contributions à l’élaboration de ces lignes directrices.