Canon Business Services a racheté le spécialiste de la dématérialisation Safig en 2013 à la barre du tribunal de commerce. Claude Espinas a dirigé cette opération peu de temps après avoir quitté une grande entreprise américaine pour prendre la tête de la stratégie Europe de Canon et mener la transformation de l’activité Business Services. Choix des partenaires, gestion des enjeux humains, notion de pédagogie, socle de confiance : il détaille les différentes étapes et les enjeux-clé de cette reprise.

Retrouvez aussi notre interview vidéo de Claude Espinas en bas de cet article.

Vous avez très rapidement lancé un projet de reprise de l’entreprise Safig. Quelle était alors votre vision ?

A mon arrivée chez Canon Business Services, j’ai constaté les réels atouts de Canon en matière de technologies innovantes dans la dématérialisation, l’industrialisation et le digital. Je savais que ces compétences étaient indispensables pour industrialiser le flux documentaire. J’ai en revanche identifié des lacunes sur le terrain, ainsi qu’un manque de savoir-faire dans le BPO (Business Process Outsourcing) en France.

Mon constat : d’un côté se trouvaient des atouts technologiques indéniables, de l’autre des compétences non-exhaustives ne permettant pas à cette structure de construire une transformation digitale pour le compte de grandes entreprises.

Or, dans le même temps et peu après mon arrivée chez Canon, Safig, spécialiste du BPO, connaissait des difficultés. Familier des différents atouts de cette entreprise – j’avais déjà travaillé pour son actionnaire – j’ai proposé à Canon d’en considérer l’acquisition.

L’opération consistait à reprendre à la barre du tribunal de commerce cette société d’environ 170 collaborateurs et d’une dizaine de millions d’euros de chiffre d’affaires, forte de plusieurs centres en province. Le projet impliquait aussi l’intégration de métiers entièrement nouveaux pour Canon.

Nous avons rapidement été confrontés à un obstacle culturel de taille. Canon exige trois prérequis lors d’une acquisition : l’entreprise doit être profitable, en croissance et bénéficier d’un management fort. Naturellement, une société en cessation de paiement ne répond à aucune de ces conditions.

Quelles ont été les étapes suivantes ?

J’ai convaincu Canon de considérer cette option en expliquant ma volonté d’éliminer tous les risques du projet et de lever toute incertitude entourant ce mouvement. Pour ce faire, j’ai débloqué un budget et me suis rapidement mis à la recherche d’une équipe d’experts. Après une étude de marché, nous sommes parvenus à la conclusion que Deloitte Restructuring offrait la meilleure expertise.

Nos discussions ont porté sur l’ensemble des difficultés, mais aussi des opportunités que représentait cette opération, celle-ci s’inscrivant parfaitement dans notre stratégie. Deloitte Restructuring a su développer une pédagogie très utile à Canon.

Quelles ont été les difficultés internes et externes auxquelles vous avez été confronté ?

Cette reprise est une belle histoire dont la réalisation nous a demandé beaucoup de conviction. Après avoir constitué une équipe capable de « déminer » le projet, nous avons dû faire face à la dimension sociale. Nous avons là aussi privilégié l’excellence en faisant appel à un cabinet d’avocats reconnu, DLA Piper.

Nous sommes parvenus à surmonter les difficultés grâce à une attitude positive, un travail d’équipe et de cohésion, mais aussi la volonté d’instaurer une réelle transparence de l’information en interne comme en externe.

L’autre clef était la pédagogie. Nous avons constamment veillé à ce que le projet Canon soit compris. Il était indispensable de le marketer et de l’expliquer minutieusement à l’ensemble des parties prenantes.

J’aime comparer ce type de projet à l’ascension d’une montagne. C’est évidemment difficile, mais c’est précisément cette difficulté qui permet de se dépasser.

 

Il était impératif de déterminer comment emporter l’adhésion des salariés pour obtenir celle de toutes les parties prenantes de l’entreprise. Nous avons travaillé avec nos conseillers à construire des messages adéquats et pertinents pour établir avec eux cette relation de confiance.

 

Comment se tissent les liens de confiance dans une telle opération ?

La prise en compte de la dimension culturelle est fondamentale, or Canon et Safig étaient très différents. Ce dernier avait toujours connu une culture de petite structure, type PME / ETI. Le statut de corporation mondiale de Canon pouvait rassurer et effrayer à la fois, tant d’un point de vue financier et technologique que sur le plan de la pérennité.

La compréhension des enjeux humains, particulièrement aigus sur ce dossier, était primordiale.

Il était impératif de déterminer comment emporter l’adhésion des salariés pour obtenir celle de toutes les parties prenantes de l’entreprise. Nous avons travaillé avec nos conseillers à construire des messages adéquats et pertinents pour établir avec eux cette relation de confiance.

Un projet de cette nature est irréalisable sans faire appel à des personnes dotées d’une forte capacité à gérer une intensité élevée dans une fenêtre réduite de temps et d’actions. Les qualités humaines font réellement la différence. Cette réussite est celle d’un collectif qui a pris plaisir à travailler conjointement et à gravir chaque étape, parfois dans la douleur.

Avez-vous toujours su garder du recul au cours de cette reprise ?

Nous avons connu des effets de « stop and go », avec de nombreuses pauses dans la conduite de ce projet. A tout moment, l’épée de Damoclès d’un potentiel « non » définitif de la part de Canon menaçait de s’abattre, mais nous sommes restés confiants jusqu’au bout.

Le fait d’être toujours conscient que le projet était susceptible de s’arrêter du jour au lendemain nous a aidé à rester motivés et nous a poussé à avancer. La meilleure façon de démontrer que cette opération était réalisable consistait à n’accepter aucune compromission avec la possibilité d’un échec.

La reconnaissance de l’expertise et de la compétence de chacun a également été essentielle dans ce travail. Chaque membre de l’équipe a joué sa partition. Les savoir-faire externes apportés sur ce dossier, notamment ceux de Deloitte Restructuring, ont été inestimables.

Quel est le bilan de l’opération ?

L’intégration a eu lieu en août 2013. Depuis, le chiffre d’affaires a doublé et l’activité est très profitable. Le centre du Mans fait figure de modèle : il compte aujourd’hui 175 personnes contre 48 à l’époque. L’effectif dépassera la barre des 200 avant la fin de l’année.

L’ambition du groupe, à savoir construire des usines de gestion intelligentes, a été réalisée. D’une façon globale, c’est un résultat extrêmement positif tant socialement et économiquement, que du point de vue opérationnel. Il positionne Canon sur les sujets d’avenir.

Ce projet collectif a été un tremplin à la fois pour Canon et pour chaque acteur qui y a participé.

 

Faire appel à Deloitte Restructuring et DLA Piper a généré un retour sur investissement dans toutes les dimensions du projet.

 

Quel conseil donneriez-vous à un dirigeant qui se lancerait dans la reprise d’une entreprise ?

Il n’est jamais aisé de prodiguer des conseils à ses pairs. Je donnerais toutefois celui-ci pour affronter la situation dans laquelle je me suis trouvé : entourez-vous d’experts. Cela permet d’anticiper et d’exécuter rapidement. Faire appel à Deloitte Restructuring et DLA Piper a généré un retour sur investissement dans toutes les dimensions du projet.

En tant que leader de trois divisions, quelle est votre vision du futur ?

Par nature, ma vision du futur est positive et engageante. Elle est exigeante et pleine de défis. Cela ne va pas sans difficultés, car sans difficultés, nous ne prendrions pas de plaisir. Pour ce qui est de l’avenir il s’agit moins de le définir que de le rendre possible disait Saint Exupéry. Dans mon métier, cela se traduit par l’action. Le digital est sur toutes les lèvres : aujourd’hui nous devons nous donner les moyens de le rendre tangible pour chacun.

Retrouvez aussi notre interview vidéo de Claude Espinas.